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07/07/2020 | FRANCE | N°19PA01925

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 juillet 2020, 19PA01925


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du

29 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1718982 du 16 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 29 novembre 2017 de l'inspectrice du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 juin 2019 régularisée le 21 juin 2019 et un mémoire enregistré le 8 juin 2020,

la société Môme City, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du

29 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1718982 du 16 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 29 novembre 2017 de l'inspectrice du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 juin 2019 régularisée le 21 juin 2019 et un mémoire enregistré le 8 juin 2020, la société Môme City, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1718982 du 16 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. A... ;

3°) de mettre à la charge de ce dernier le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- l'enquête menée par l'inspectrice du travail a été contradictoire et M. A... a eu une parfaite et complète connaissance de tous les éléments déterminants recueillis par l'inspectrice du travail, des témoignages de ses collègues de travail ainsi que des griefs qui lui ont été reprochés ; l'inspectrice n'était pas tenue de procéder à une confrontation entre le salarié et l'employeur ou les témoins ; M. A... a bénéficié des délais nécessaires pour présenter utilement sa défense ;

- la matérialité et la gravité des faits sont établies ainsi que l'a jugé le conseil de prud'hommes dans son jugement du 6 mars 2019 et M. A... ne rapporte pas la preuve de ce qu'il invoque.

Par des mémoires enregistrés le 1er avril 2020 et le 11 juin 2020, M. A..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Môme City sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il n'a pas été confronté avec les témoins, et leurs témoignages, non probants, ne lui ont pas été communiqués en méconnaissance des règles du contradictoire ;

- la décision est insuffisamment motivée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me D... représentant la société Môme City et de Me B... représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. La société Môme City a demandé le 23 octobre 2017 à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. A..., salarié protégé en sa qualité de délégué du personnel suppléant. Elle relève appel du jugement du 16 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 29 novembre 2017 accordant cette autorisation.

2. En application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

3. M. A... travaillait depuis 2012 en qualité de coupeur de tissu dans l'atelier de la société Môme City qui fabrique des vêtements, et il est constant qu'à partir de 2016 les relations entre l'employeur et le salarié se sont gravement détériorées sans que ceux-ci parviennent ensuite à s'accorder sur les conditions d'une rupture conventionnelle du contrat de travail. Après qu'une altercation a opposé en atelier M. A... à l'un de ses collègues le 4 octobre 2017, la société Môme City a demandé le 23 octobre 2017 à l'inspectrice du travail de le licencier en faisant valoir qu'il avait proféré des insultes à l'égard d'un autre salarié sans motif avéré, qu'il avait voulu se battre avec lui et qu'il l'avait menacé de mort. Au cours de l'enquête contradictoire,

M. A..., qui n'a pas contesté qu'une altercation avait eu lieu, en a minimisé la portée et fait valoir que l'incident avait été provoqué à l'initiative de l'employeur. Pour accorder l'autorisation de licencier M. A..., l'inspectrice du travail a estimé " qu'il ressort(ait) de l'audition des témoins que tous déclarent que M. A... a insulté son collègue en prononçant beaucoup de gros mots et qu'il l'a poussé " et elle a relevé que " les collègues décrivent qu'en d'autres occasions M. A... avait eu un comportement grossier et insultant ". Elle en a déduit que la matérialité des faits était établie et elle a estimé qu'ils étaient suffisamment graves pour justifier un licenciement.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été entendu au cours de l'enquête contradictoire, le 6 novembre 2017, et qu'il a été confronté à son seul employeur. Les témoignages des autres salariés sur lesquels s'est fondée l'inspectrice du travail pour considérer que la matérialité des faits était pleinement établie et que le comportement " grossier et insultant " de M. A... lui était habituel n'ont été recueillis que le 9 novembre 2017. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le nom, la qualité des témoins et la teneur de leurs témoignages, qui constituaient pourtant un élément déterminant de la décision de l'inspectrice du travail, aient été communiqués au cours de l'enquête à M. A..., alors qu'en l'espèce aucune circonstance particulière ne justifiait qu'ils ne le soient pas. L'attestation en date du 31 mai 2019 de Mme E..., soeur et représentante de l'employeur, faisant état de ce que laquelle l'inspectrice du travail aurait fait connaitre le 6 novembre 2017 à M. A... la teneur de témoignages à charge alors que ceux-ci n'ont été recueillis que le 9 novembre, est dépourvue de force probante. Ainsi donc, il ne ressort pas des pièces du dossier que le salarié protégé aurait eu une connaissance complète et précise des témoignages retenus contre lui, et qu'il aurait été mis à même dans le cadre de l'enquête contradictoire de les contester utilement. Ce vice de procédure, compte tenu notamment du contexte durablement conflictuel des rapports entre l'employeur et le salarié et des circonstances controversées de cette altercation en atelier de confection, a privé M. A... d'une garantie substantielle et a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. Il a entaché d'illégalité la décision contestée.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Môme City, qui ne saurait utilement se prévaloir du jugement du tribunal des prud'hommes du 6 mars 2019, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 29 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. A....

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés par la société Môme City et non compris dans les dépens soient mis à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la SAS Môme City le paiement à M. A... d'une somme de 1 500 euros à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Môme City est rejetée.

Article 2 : La société Môme City versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Môme City, à la ministre du travail et à M. A....

Copie en sera adressée pour information à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme C..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 juillet 2020.

Le rapporteur,

M-F... C... Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA01925


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01925
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : DALLE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;19pa01925 ?
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