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02/07/2020 | FRANCE | N°19PA01298

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 02 juillet 2020, 19PA01298


Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires enregistrés les 12 avril 2019, 5 décembre 2019, 22 janvier 2020 et 16 mars 2020, M. E... F..., représenté par la SCP Didier et A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'État à lui verser la somme de 3 324 345 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts ;

2°) de mettre à la charge du CSA et de l'État la somme de 6 000 euros sur le fondeme

nt des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires enregistrés les 12 avril 2019, 5 décembre 2019, 22 janvier 2020 et 16 mars 2020, M. E... F..., représenté par la SCP Didier et A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'État à lui verser la somme de 3 324 345 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts ;

2°) de mettre à la charge du CSA et de l'État la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'illégalité fautive de la décision du 5 avril 2011, annulée par le Conseil d'Etat, engage la responsabilité du CSA ;

- la société Média Bonheur, dont il est le gérant et actionnaire majoritaire, a perdu une chance sérieuse d'exploiter une fréquence à Laval, dès lors notamment que les programmes qu'elle propose auraient permis de mieux satisfaire aux critères définis par l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 ;

- la période durant laquelle la responsabilité du CSA est engagée court du 10 juillet 2011, date à laquelle pouvait commencer l'exploitation de la fréquence qui a été illégalement refusée à la société Média Bonheur, au 10 juillet 2016, l'autorisation étant délivrée pour cinq ans ; cette société a également perdu une chance sérieuse de bénéficier de deux reconductions quinquennales de l'autorisation d'exploitation, ce qui engage la responsabilité du CSA jusqu'au 10 juillet 2026 ;

- il a subi un préjudice résultant de la perte de rémunérations, variables chaque année, ayant pour origine l'exploitation du service tant par la société Média Bonheur que par la société Régie Bonheur, client exclusif de la première à laquelle elle a reversé, entre 2011 et 2018, 75 % des recettes publicitaires encaissées ; or, la perte de chance d'exploiter le programme Radio Bonheur dans la zone de Laval a entraîné une perte de recettes publicitaires d'exploitation ;

- l'arrêt indemnisant la société Média Bonheur des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 5 avril 2011 ne prend pas en compte le montant de ses rémunérations ; dans ces conditions, la perte de ces sommes constitue pour lui un préjudice propre ;

- eu égard notamment aux résultats d'audience de Radio Bonheur dans la zone de Saint-Brieuc, ville comparable à Laval, et aux recettes publicitaires qu'aurait générées l'exploitation d'un émetteur à Laval, il y a lieu d'évaluer le préjudice financier subi à 3 324 345 euros pour la période allant du 10 juillet 2011 au 10 juillet 2026.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 16 septembre 2019, 2 mars 2020 et 4 juin 2020, le CSA, représenté par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. F... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me A..., représentant M. F....

- et les observations de Me D... G..., représentant le CSA.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... dirige la société Média Bonheur, qui exploite depuis avril 2000 un service de radio de catégorie B nommé " Radio Bonheur ", en Bretagne. Le 1er juin 2010, le CSA a lancé un appel à candidatures pour l'exploitation d'un service de radio dans la zone de Laval. La société Média Bonheur a présenté sa candidature, qui a été rejetée par décision du 5 avril 2011. Par une décision du 23 septembre 2013, le Conseil d'Etat a annulé cette décision et a enjoint au CSA de prendre les mesures nécessaires au réexamen de la candidature de la société Média Bonheur. Par une décision du 16 octobre 2013, le CSA a de nouveau rejeté cette candidature, au motif qu'aucune fréquence n'était disponible dans la zone de Laval. Par une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat a rejeté les conclusions de la société Média Bonheur tendant à ce qu'il soit enjoint au CSA de lui attribuer une fréquence dans la zone de Laval, faute de fréquence disponible, et a annulé la décision du 16 octobre 2013 en tant qu'elle refusait de lancer un appel à candidatures.

2. M. F..., considérant qu'il a été privé des rémunérations que l'exploitation de Radio Bonheur sur la zone de Laval lui aurait procurées, a demandé au CSA, par courrier du

10 décembre 2018, d'indemniser les préjudices qu'il a subis. Une décision implicite de rejet est née le 12 février 2019 du silence gardé par le Conseil. Par la requête susvisée, M. F... demande à la cour de condamner le CSA et l'État à lui verser la somme de 3 324 345 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018.

Sur la responsabilité :

3. Aux termes de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " (...) Le conseil accorde les autorisations en appréciant l'intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socio-culturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence. / Il tient également compte : / 1° De l'expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ; / 2° Du financement et des perspectives d'exploitation du service notamment en fonction des possibilités de partage des ressources publicitaires entre les entreprises de presse écrite et les services de communication audiovisuelle ; / 3° Des participations, directes ou indirectes, détenues par le candidat dans le capital d'une ou plusieurs régies publicitaires ou dans le capital d'une ou plusieurs entreprises éditrices de publications de presse ; / 4° Pour les services dont les programmes comportent des émissions d'information politique et générale, des dispositions envisagées en vue de garantir le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, l'honnêteté de l'information et son indépendance à l'égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ; / 5° De la contribution à la production de programmes réalisés localement ; / 6° Pour les services dont les programmes musicaux constituent une proportion importante de la programmation, des dispositions envisagées en faveur de la diversité musicale au regard, notamment, de la variété des oeuvres, des interprètes, des nouveaux talents programmés et de leurs conditions de programmation. / Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille, sur l'ensemble du territoire, à ce qu'une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion. / Le conseil veille également au juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion, d'une part, et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants, d'autre part. (...) ".

4. Pour annuler la décision du 5 avril 2011 rejetant la candidature de Radio Bonheur sur la zone de Laval, le Conseil d'Etat a estimé que le CSA ne pouvait légalement opposer à la candidate la situation du marché publicitaire local, dès lors notamment qu'elle n'y aurait eu recours que dans une mesure limitée et que son financement était également assuré par la diffusion de publicités nationales. Le Conseil d'Etat a en outre considéré que le CSA avait commis une erreur d'appréciation en choisissant d'attribuer les trois fréquences disponibles à des services relevant de la catégorie D, déjà représentée par neuf services, dès lors qu'il en résulterait un déséquilibre entre catégories contraire à l'impératif de diversification des opérateurs et à l'objectif, fixé à l'avant-dernier alinéa de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986, de juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants.

5. Eu égard au large pouvoir d'appréciation que confèrent au CSA les dispositions précitées de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986, du fait de la multiplicité des critères qu'elles lui permettent de prendre en compte et de combiner pour accorder des autorisations d'émettre, il ne peut être déduit des motifs, rappelés au point précédent, qui ont conduit le Conseil d'Etat à annuler la décision du 5 avril 2011 rejetant la candidature de Radio Bonheur pour la zone de Laval que cette dernière disposait d'une chance sérieuse d'obtenir l'autorisation qu'elle sollicitait. Par suite, les préjudices financiers dont M. F... réclame réparation, correspondant aux rémunérations dont il aurait été privé du fait de l'absence d'exploitation d'une fréquence dans la zone de Laval par la société Média Bonheur, dont il est salarié et actionnaire principal, sont dépourvus de caractère certain. En tout état de cause, et alors qu'il s'agissait pour Radio Bonheur de s'implanter dans un nouveau secteur géographique, distinct de ceux dans lesquels elle avait jusqu'alors développé ses activités, les projections relatives aux gains qui auraient pu résulter de l'exploitation de l'autorisation qui aurait pu lui être attribuée ne reposent, compte tenu du caractère concurrentiel du secteur et des limites du marché publicitaire, que sur des hypothèses. Celles-ci ne sont pas, en l'espèce, suffisamment étayées pour que les préjudices que fait valoir à ce titre M. F... puissent être regardés autrement que comme purement éventuels. Les conclusions indemnitaires présentées par le requérant ne peuvent en conséquence qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CSA, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement de la somme de 2 000 euros au CSA.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : M. F... versera la somme de 2 000 euros au CSA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F... et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 juillet 2020.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. C...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de la culture, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01298


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01298
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

56-04-01 Radio et télévision. Services privés de radio et de télévision. Services de radio.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP H. DIDIER - F. PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-02;19pa01298 ?
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