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25/06/2020 | FRANCE | N°18PA02452

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 25 juin 2020, 18PA02452


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) SCAU a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et en 2012.

Par un jugement n° 1618980 du 21 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de ces impositions, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre

des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) SCAU a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et en 2012.

Par un jugement n° 1618980 du 21 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de ces impositions, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société SCAU.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2018, et des mémoires enregistrés les 9 novembre 2018 et 4 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1618980 du Tribunal administratif de Paris en date du 21 mars 2018 ;

2°) de remettre à la charge de la société SCAU les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales assises sur l'impôt sur les sociétés dont la décharge a été prononcée à tort par le tribunal.

Le ministre soutient que :

- les charges afférentes aux rémunérations du personnel doivent normalement être rattachées à l'exercice de leur engagement de sorte qu'une société ne peut déduire des résultats d'un exercice donné une provision destinée à faire face au versement de rémunérations se rapportant au travail d'un exercice ultérieur ;

- le fait générateur des charges salariales provisionnées est constitué non pas par la survenance d'un litige, mais par le contrat de travail liant les salariés à la société SCAU ; dès lors que le suivi des contentieux relatifs à la garantie décennale fait partie des tâches normales mises à la charge des salariés concernés, les charges salariales afférentes seront supportées par la société, qui supportera la même charge salariale globale, résultant de la réalisation des contrats de travail ; les charges salariales couvertes par la provision constituent donc des rémunérations se rapportant au travail d'un exercice ultérieur ;

- il n'existait pas de lien direct entre les frais de personnels provisionnés par la société et le risque de mise en cause de la garantie décennale.

Par des mémoires enregistrés les 22 octobre 2018, 21 décembre 2018 et 1er mars 2019, la société par actions simplifiée SCAU, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête du ministre de l'action et des comptes publics et, en outre, à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1993, à l'issue de laquelle la provision, qui était identique à celle en litige, a été soumise à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui a émis un avis défavorable à sa réintégration ; l'administration n'a pas donné suite à cet avis ; en 2001, elle a fait l'objet d'un autre contrôle fiscal qui n'a pas conduit à la remise en cause de la provision ; l'administration a ainsi formellement pris position sur la régularité de la provision, dont elle a estimé qu'elle remplissait l'ensemble des conditions pour être admise en déduction ;

- la restriction formulée par le Conseil d'État dans sa décision n° 404091 du 12 octobre 2012, crée une discrimination " dans les applications législatives " ;

- en cas d'absence de prise en compte des coûts dans le cadre du deuxième secteur d'activités correspondant aux prestations non facturées au client, la perte ou la charge n'est pas comptabilisée en méconnaissance des articles L. 123-30 et R. 123-179 du code de commerce, 321-1 et 325 du plan comptable général et de l'avis n° 00-01 de l'Autorité des normes comptables ; elle est pénalisée à double titre par la non inscription de la charge et l'absence de prise en compte de la provision, dès lors que cela génère une surimposition entrainant une rupture d'égalité devant les charges publiques et portant atteinte à ses capacités contributives ;

- la responsabilité décennale qui est imposée par la loi à l'architecte est indissociable de l'exercice de cette activité, ne repose pas sur les contrats de travail des collaborateurs mais sur celle de l'architecte signataire et responsable du projet ;

- la statistique, déterminée avec une approximation suffisante constatée et acceptée par l'administration établit que, dès l'obtention de la qualité d'architecte, le risque est permanent, probable et entraine obligatoirement des coûts liés aux prestations non facturables ; la dotation des provisions au titre des exercices clos en 2011 et 2012 est liée exclusivement à la survenance des litiges liés à la garantie décennale en raison de la responsabilité de l'architecte et non de l'exécution de contrats de travail déjà signés et à des frais fixes d'agence ;

- il faut provisionner les charges relatives aux périodes de suractivité probables liées à la mise en jeu de la garantie décennale ; la charge provisionnée correspond à un surcoût de dépenses du personnel et notamment des architectes dont les conditions d'exercice sont prévues dans la Convention Collective des entreprises d'architecture en période de suractivité ; l'appel en garantie décennale étant rendu probable à la clôture de l'exercice, il est nécessaire de procéder à la valorisation du droit au repos compensateur de remplacement qui n'est attribuée que lors de la mise en jeu de la responsabilité décennale et de la suractivité existante ; le repos compensateur de remplacement, qui n'a pas le caractère d'une charge récurrente, correspond à un surcoût qu'il est nécessaire de provisionner ;

- les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour la société SCAU.

Considérant ce qui suit :

1. La société SCAU, agence d'architecture située à Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service a remis en cause des provisions " pour services après travaux " que la société avait constituées pour couvrir des charges pour l'essentiel de personnels et de structure engagées pour le suivi des contentieux qu'elle estimait être appelées à acquitter en cas de mise en jeu de sa responsabilité décennale par ses clients, et qu'elle avait déduites de ses résultats imposables des exercices clos en 2011 et 2012. Elle a été assujettie en conséquence de la réintégration du montant de ces provisions à ses résultats à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et en 2012. Par un jugement en date du 21 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris, saisi par la société SCAU, a prononcé la décharge de ces impositions et mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'action et des comptes public relève appel de ce jugement et demande l'annulation des articles 1er et 2.

Sur l'appel du ministre de l'action et des comptes publics :

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5,

notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l'entreprise. Lorsque la nature des charges ou leurs caractéristiques interdisent de procéder autrement, elles peuvent faire l'objet d'une évaluation selon une méthode statistique à la condition que cette évaluation soit faite de manière précise et suffisamment détaillée et qu'elle prenne en compte notamment la probabilité de réalisation du risque liée à l'éloignement dans le temps.

4. La responsabilité décennale d'un constructeur peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage. Dès lors, les charges futures induites statistiquement par les contentieux liés à la garantie décennale peuvent faire l'objet de provisions déductibles à compter de l'exercice de la réception des travaux, cette dernière constituant l'événement de nature à la rendre probable au sens des dispositions citées au point 2 ci-dessus.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la société a provisionné les charges salariales qu'elle pensait devoir supporter pour la rémunération de ses salariés chargés d'assurer la gestion et le suivi des litiges futurs liés à la mise en oeuvre de la garantie décennale à laquelle elle est légalement tenue, ainsi qu'une quote-part de frais fixes d'agence. Toutefois, il résulte de l'instruction que ces charges correspondent à l'exécution des contrats de travail déjà signés par la société SCAU avec ses salariés et que leur engagement est indépendant de la survenance des contentieux de garantie décennale. Par suite, ces charges ainsi que les frais fixes de structure ne peuvent être regardés comme probables à la date de constitution des provisions en litige mais constituent des charges futures présentant un caractère certain. Si la société requérante évoque un surcoût de dépenses du personnel lié à l'attribution du repos compensateur de remplacement auquel ont droit les salariés à raison des heures supplémentaires qu'ils ont réalisées du fait d'un surcroît d'activité trouvant son origine dans la gestion des dossiers de garantie décennale, elle n'établit pas que ces heures supplémentaires ont été consacrées à ces dossiers. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont admis la déduction des provisions en litige sur le fondement du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.

6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société SCAU devant la Cour et le Tribunal administratif de Paris.

7. En premier lieu, si la société SCAU fait valoir que les provisions en litige répondent aux critères fixés par l'autorité des normes comptables, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'elles ne remplissent pas les conditions posées par la loi fiscale pour être déduites de ses résultats imposables.

8. En deuxième lieu, la société requérante soutenait également devant les premiers juges, à titre subsidiaire, que la déductibilité des provisions ne pouvait être remise en cause sans tenir compte des régularisations effectuées, lesquelles avaient été assujetties à l'impôt sur les sociétés. Toutefois, il résulte de l'instruction que la contribuable ne procède, au cours de chaque exercice, qu'à la reprise de la provision constituée l'exercice précédent et qu'aucune des reprises effectuées au cours des exercices en litige ne correspond à une provision dont la déductibilité a été remise en cause par le service.

9. En troisième lieu, la société ne saurait se prévaloir de l'autorité attachée au jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 14 novembre 2014, confirmé par un arrêt de la Cour en date du 29 juillet 2016, qui ont statué sur le caractère déductible de provisions de même nature dotées par la société SCAU au titre d'exercices antérieurs, l'arrêt de la Cour ayant été annulé par une décision n° 404091 du Conseil d'État en date du 12 octobre 2018.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ".

11. Si la société SCAU fait valoir qu'au cours de vérifications de comptabilité, qui se sont déroulées en 1994 et en 2001, les provisions qu'elle avait constatées notamment à la clôture des exercices 1991, 1992 et 1993 et qui, selon elle, répondaient aux mêmes conditions que celles qui avaient servi à déterminer les caractéristiques des provisions en litige, n'ont pas donné lieu à des redressements, l'absence de redressement lors d'un précédent contrôle ne peut être regardé comme constituant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait du contribuable au regard de la loi fiscale qui lui serait opposable sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles la société SCAU a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et en 2012 et à demander l'annulation des articles 1er et 2 de ce jugement.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société SCAU demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1618980 du Tribunal administratif de Paris en date du 21 mars 2018 sont annulés.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales assises sur l'impôt sur les sociétés dont la décharge a été prononcée à tort par le tribunal sont remises à la charge de la société SCAU.

Article 3 : Les conclusions de la société SCAU présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la société par actions simplifiée SCAU.

Délibéré après l'audience du 13 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme B..., président assesseur,

- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 juin 2020.

Le président de la 5ème chambre,

S.-L. FORMERY

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 18PA02452


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02452
Date de la décision : 25/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-04 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices industriels et commerciaux. Détermination du bénéfice net. Provisions.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Valérie POUPINEAU
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : SELARL MICHEL CAZEAUX AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-25;18pa02452 ?
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