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23/06/2020 | FRANCE | N°19PA03328

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 23 juin 2020, 19PA03328


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 14 juin 2019 par lesquels le préfet de police a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, a procédé à son signalement au Système d'Informations Schengen (SIS) et l'a informée qu'elle

faisait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'inform...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 14 juin 2019 par lesquels le préfet de police a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, a procédé à son signalement au Système d'Informations Schengen (SIS) et l'a informée qu'elle faisait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de séjour.

Par un jugement n° 1913399 du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés attaqués et a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés le 21 octobre 2019 et le

31 décembre 2019, le préfet de police demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1913399 du 19 septembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête de première instance de Mme D....

Il soutient que :

- il établit à l'aide d'un faisceau d'indices suffisamment précis que l'enfant de Mme D... a été reconnue frauduleusement par un ressortissant français qui ne contribue pas à son entretien et son éducation, en conséquence de quoi sa décision de refus de renouvellement de titre de séjour est fondée ;

- les décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans sont régulières.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2020, Mme D..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'une somme de 1 000 euros, à verser à son conseil, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le préfet de police n'a pas procédé à un examen suffisant de sa situation individuelle et personnelle et a méconnu ses droits, la fraude opposée s'agissant de la reconnaissance du père de son enfant, de nationalité française, n'étant pas suffisamment établie ;

- la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour méconnait les articles L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 332 du code civil ;

- les décisions portant refus de délai de départ volontaire, d'interdiction de retour sur le territoire français pour une période de trois ans et de signalement aux fins de non-admission sont susceptibles d'avoir des conséquences graves sur la situation de sa fille, méconnaissent les intérêts de celle-ci ; elle est socialement intégrée en France où elle établit avoir sa vie privée et familiale ;

- elle encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... D..., ressortissante haïtienne née le 21 mai 1987, est entrée en France le 4 juillet 2013 selon ses déclarations. Le 1er avril 2015, elle a donné naissance à Claude-Anaëlle A... D..., reconnue par M. C... A..., ressortissant français. Le 25 janvier 2016, Mme D... a sollicité son admission au séjour en qualité de parent d'enfant français. Elle s'est vue délivrer un titre de séjour valable du 4 juillet 2016 au 3 juillet 2017. Le 4 juillet 2018, elle en a sollicité le renouvellement. Par arrêté du 14 juin 2019, le préfet de police a pris à son encontre un arrêté portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire sans délai et fixant le pays de destination. Par un deuxième arrêté du même jour, il a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de 36 mois. Ce même jour également, le préfet de police a signalé la situation de Mme D... au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. Le préfet de police relève appel du jugement du 19 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé ses deux arrêtés du 14 juin 2019.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article

L. 311-7 soit exigée (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Pour refuser le renouvellement de son titre de séjour à Mme D..., le préfet de police s'est fondé sur le fait que M. A... avait déclaré aux services de la police aux frontières lors de son audition, le 8 septembre 2015, ne pas être le père biologique de l'enfant, reconnue à la demande de Mme D..., ce que cette dernière conteste. Il ressort des pièces du dossier, des déclarations mêmes de M. A..., que sa relation avec Mme D... a débuté en mai 2014 alors que l'enfant est née en avril 2015. Si le premier a déclaré aux services de police avoir eu des relations sexuelles protégées avec Mme D..., cette dernière le conteste. Par ailleurs, M. A... ayant déclaré " savoir " que l'enfant n'était pas de lui et avoir accepté de le reconnaitre pour pouvoir être hébergé occasionnellement par Mme D..., de telles circonstances, imprécises, ne sont pas établies, voire sont contredites par d'autres déclarations de l'intéressé, dont il ressort qu'il voit ponctuellement " son " enfant et que, s'il ne verse aucune somme pour son entretien, c'est parce qu'" il doit s'occuper de ses deux enfants ". Il ressort enfin des pièces du dossier que le signalement effectué auprès du parquet le 14 juin 2019 est resté sans suites. Ainsi, en présence de déclarations floues -voire contradictoires- de M. A..., non corroborées par les autres pièces du dossier et contestées fermement par Mme D... qui soutient que celui-ci aurait mal vécu leur séparation et serait jaloux, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que le préfet de police n'était pas légalement fondé à refuser la délivrance de la carte de séjour sollicitée par Mme D... et avait méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées du 14 juin 2019.

Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Aux termes de l'article 8 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : " Toute personne admise à l'aide juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d'exercice d'une voie de recours ". Aux termes de l'article 20 de la même loi : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me G..., avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de sa cliente à l'aide juridictionnelle en première instance et en appel, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me G... de la somme de 1 500 euros. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros sera versée à Mme D....

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Sous réserve de l'admission définitive de Mme D... à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me G... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me G..., avocat de Mme D..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros sera versée à Mme D....

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience publique du 9 juin 2020 à laquelle siégeaient :

- M. E..., premier vice-président,

- Mme B..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 23 juin 2020.

Le rapporteur,

M-H... B... Le président,

M. E...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA03328


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03328
Date de la décision : 23/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET TAMEZE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-23;19pa03328 ?
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