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16/06/2020 | FRANCE | N°18PA02990

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 16 juin 2020, 18PA02990


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au Tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Nogent-sur-Marne a rejeté sa demande de requalification de son emploi, d'enjoindre à cette commune de requalifier son emploi en celui d'agent non titulaire à temps partiel relevant du décret n° 88-145 du 15 février 1988 et de conclure par écrit un contrat à durée indéterminée, d'autre part, de condamner la commune à lui verser une somme de 12 544,71 euros, compensatrice de

ses seuls droits à congés ainsi qu'une somme de 118 505,14 euros assortie d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au Tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Nogent-sur-Marne a rejeté sa demande de requalification de son emploi, d'enjoindre à cette commune de requalifier son emploi en celui d'agent non titulaire à temps partiel relevant du décret n° 88-145 du 15 février 1988 et de conclure par écrit un contrat à durée indéterminée, d'autre part, de condamner la commune à lui verser une somme de 12 544,71 euros, compensatrice de ses seuls droits à congés ainsi qu'une somme de 118 505,14 euros assortie des intérêts légaux, en réparation de l'ensemble de ses préjudices.

Par un jugement n° 1606717 du 31 juillet 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 septembre 2018 et le 7 février 2019,

Mme C..., représentée par Me E..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1606717 du 31 juillet 2018 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Nogent-sur-Marne a rejeté sa demande de requalification de son emploi ;

3°) d'ordonner à la commune de requalifier l'emploi qu'elle occupait en celui d'agent non titulaire relevant du décret du 15 février 1988, avec reconstitution de ses droits à pension de retraite ;

4°) à titre principal, de condamner la commune de Nogent-sur-Marne à lui verser la somme de 115 047,76 euros, assortie des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable ;

5°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Nogent-sur-Marne à lui verser la somme totale de 105 534,62 euros, assortie des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé et entaché de contradiction dans sa réponse au moyen tiré du caractère permanent de l'emploi occupé ;

- le jugement a omis de répondre à ses conclusions principales tendant à la requalification de son emploi ;

- l'emploi qu'elle occupait ayant un caractère permanent, son statut d'agent vacataire était illégal ;

- le cadre d'emploi correspondant aux fonctions qu'elle exerçait est celui de la catégorie A ;

- la circonstance que les fonctions exercées relèveraient de la catégorie B est sans incidence sur son droit à bénéficier de l'application du décret n° 88-145 du 15 février 1988 applicable à tous les agents contractuels quelle que soit la catégorie de leur emploi ;

- la faute commise par la commune en l'employant illégalement en qualité de vacataire engage sa responsabilité ;

- elle a été illégalement privée d'un traitement indiciaire assorti du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence ;

- son préjudice financier pour la période non prescrite à compter du 1er janvier 2012 s'élève à la somme totale de 90 047,76 euros ou subsidiairement à celle de 80 534,62 euros, ces sommes étant à parfaire ;

- elle a également subi des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral devant être réparés à hauteur, respectivement, de 20 000 euros et 5 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 11 janvier 2019 et le 27 février 2019 la commune de Nogent-sur-Marne, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de ce que le jugement est entaché de contradictions est inopérant ;

- les autres moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale ;

- le décret n° 91-857 du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des professeurs territoriaux d'enseignement artistique ;

- le décret n° 2012-437 du 29 mars 2012 portant statut particulier du cadre d'emploi des assistants territoriaux d'enseignement artistique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- les observations de Me E..., avocat de Mme C...,

- et les observations de Me B..., avocate de la commune de Nogent-sur-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée par la commune de Nogent-sur-Marne en 1996 pour assurer l'animation d'ateliers d'arts plastiques au sein du musée municipal et a été rémunérée à la vacation. Par courrier du 23 mai 2016, elle a sollicité la requalification de son emploi comme permanent et la régularisation de sa situation par la conclusion d'un contrat à durée indéterminée ainsi que la réparation des préjudices subis du fait des fautes commises par la commune dans la gestion de son emploi. Mme C... fait appel du jugement du Tribunal administratif de Melun du 31 juillet 2018 en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision rejetant sa demande de régularisation et l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis entre 2012 et 2018 du fait des conditions irrégulières de son emploi.

Sur les conditions d'emploi de Mme C... :

2. L'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable au litige, détermine les cas dans lesquels les collectivités territoriales peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents, par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires selon lequel les emplois permanents des collectivités territoriales sont occupés par des fonctionnaires. L'article 136 de la même loi dispose que : " (...) les agents non titulaires recrutés pour exercer les fonctions mentionnées aux articles 3 (...) de la présente loi (...) sont régis notamment par les mêmes dispositions que celles auxquelles sont soumis les fonctionnaires en application [de l'article] 20, premier et deuxième alinéas [de la loi du 13 juillet 1983] (...) Les agents contractuels qui ne demandent pas leur intégration ou dont la titularisation n'a pas été prononcée continuent à être employés dans les conditions prévues par la législation et la réglementation applicables ou suivant les stipulations du contrat qu'ils ont souscrit en tant qu'elles ne dérogent pas à ces dispositions légales ou réglementaires ". Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ".

3. Il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que Mme C... a été employée par la commune de Nogent-sur-Marne, au demeurant sans conclusion d'un contrat écrit, sans discontinuer de 1996 à 2018, pour assurer tout au long de chaque année scolaire, à raison de quinze à seize heures par semaine, l'animation d'ateliers d'arts plastiques au sein du musée municipal. Quand bien même elle était rémunérée à la vacation et n'exerçait pas ses fonctions, sur certaines périodes, à temps complet, Mme C... est fondée à soutenir qu'elle occupait un emploi répondant à un besoin permanent de la commune, laquelle a dès lors instauré avec elle un lien contractuel présentant les caractéristiques énoncées à l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984.

4. Par ailleurs il résulte de l'instruction que Mme C... n'exerçant ni des fonctions d'enseignement d'une discipline artistique conduisant à la délivrance d'un diplôme au sens du décret du 2 septembre 1991 portant statut des professeurs territoriaux d'enseignement artistique, ni des fonctions d'assistance à un enseignement au sens du décret du 29 mars 2012 portant statut des assistants territoriaux d'enseignement artistique, elle pouvait prétendre à une régularisation de sa situation par la conclusion d'un contrat avec la commune, en l'absence de cadre d'emploi de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes.

5. Il résulte de ce qui précède que le maintien dans cette situation de vacataire et le refus de régulariser sa situation sont illégaux, et que Mme C..., sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du refus de requalification de son emploi et à l'indemnisation des préjudices résultant de cette illégalité fautive.

Sur les préjudices :

6. En application des dispositions combinées de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, les agents non titulaires des collectivités territoriales occupant un emploi permanent ont droit à un traitement fixé en fonction de cet emploi, à une indemnité de résidence, le cas échéant au supplément familial de traitement ainsi qu'aux indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire.

7. En premier lieu Mme C... ne disposait, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires relatives à la fixation de la rémunération des agents non titulaires, d'aucun droit à bénéficier des avancements d'échelon à l'ancienneté réservés aux fonctionnaires titulaires.

8. Par ailleurs il ne résulte pas de l'instruction, que, compte tenu de la nature des fonctions exercées, de son ancienneté, de son expérience et de ses qualifications, la rémunération perçue par Mme C... aurait été entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et que celle-ci aurait dû bénéficier en qualité d'agent public non titulaire d'une rémunération supérieure à celle qu'elle a perçue entre 2012 et 2018. Elle n'est par suite pas fondée à demander la condamnation de la commune à indemniser le préjudice que représenterait pour elle la différence entre les traitements perçus entre 2012 et 2018 et ceux auxquels elle aurait pu prétendre en qualité d'agent public non titulaire.

9. En deuxième lieu, si Mme C... soutient qu'elle avait droit à bénéficier de l'indemnité de résidence, du supplément familial de traitement et des " primes, indemnités complémentaires et autres accessoires de rémunération " prévues par les délibérations du conseil municipal au profit des agents non titulaires occupant un emploi permanent, elle n'établit nullement, ni même n'allègue, remplir les conditions pour l'octroi de ces deux premières indemnités, et n'explicite pas quelles seraient les autres primes ou indemnités dont elle aurait été illégalement privée.

10. En revanche, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que Mme C... n'a jamais bénéficié entre 2012 et 2018 des congés annuels prévus par le premier alinéa de l'article 5 du décret n°88-145 du 15 février 1988, qui dispose que : " L'agent non titulaire en activité a droit, dans les conditions prévues par le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux, à un congé annuel dont la durée et les conditions d'attribution sont identiques à celles du congé annuel des fonctionnaires titulaires ". Aux termes des deuxième, troisième et quatrième alinéas ajoutés à ce même article 5 du décret du 15 février 1988 par l'article 2 du décret n° 98-1106 du 8 décembre 1998 : " A la fin d'un contrat à durée déterminée ou en cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, l'agent qui, du fait de l'administration, n'a pu bénéficier de tout ou partie de ses congés annuels a droit à une indemnité compensatrice./Lorsque l'agent n'a pu bénéficier d'aucun congé annuel, l'indemnité compensatrice est égale au 1/10 de la rémunération totale brute perçue par l'agent lors de l'année en cours.(...)". Il résulte de ces dispositions qu'aucune indemnité compensatrice n'est due pour des congés annuels non pris, hormis les cas de la fin d'un contrat à durée déterminée ou d'un licenciement, situations qui ne correspondent pas à celle de Mme C... qui a bénéficié d'une prolongation d'activité avant de faire valoir ses droits à la retraite. Dans ces conditions, Mme C... ne peut prétendre au bénéfice de cette indemnité compensatrice mais a seulement droit à être indemnisée du préjudice que représente l'absence de congés annuels payés entre 2012 et 2018. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de la commune à ce titre une somme de 15 000 euros.

11. En troisième lieu, Mme C... n'établit pas, compte tenu de ce qui est jugé au point 8 sur le montant de ses rémunérations, et alors qu'il résulte de l'instruction que les rémunérations qui lui ont été versées ont supporté des cotisations à l'IRCANTEC, que l'absence de régularisation de sa situation lui aurait fait perdre des droits à pension de retraite.

12. Si par ailleurs Mme C... soutient par ailleurs avoir subi des troubles dans ses conditions d'existence du fait de son maintien dans une situation de vacataire l'ayant privée de congés payés, elle ne justifie d'aucun préjudice qui ne serait pas réparé par l'octroi de l'indemnité réparant absence de congés payés ci-dessus, alors qu'elle n'a jamais formulé de demande de régularisation avant 2016.

13. Enfin Mme C... justifie d'un préjudice moral résultant de son maintien dans une situation précaire irrégulière, dont il sera fait une juste appréciation en mettant à la charge de la commune une somme de 5 000 euros.

14. Mme C... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme totale de 20 000 euros à compter de la réception de sa demande préalable par la commune le 23 mai 2016.

Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Nogent-sur-Marne demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1606717 du 31 juillet 2018 du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La décision implicite par laquelle la commune de Nogent-sur-Marne a rejeté la demande de requalification de l'emploi de Mme C... est annulée.

Article 3 : La commune de Nogent-sur-Marne est condamnée à verser à Mme C... la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2016.

Article 4 : La commune de Nogent-sur-Marne versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Nogent-sur-Marne présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... et à la commune de Nogent-sur-Marne.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme A..., président assesseur,

- Mme Notarianni, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 juin 2020.

Le rapporteur,

P. A...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02990


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02990
Date de la décision : 16/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-01-01-01 Fonctionnaires et agents publics. Qualité de fonctionnaire ou d'agent public. Qualité d'agent public. Ont cette qualité.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SAFATIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-16;18pa02990 ?
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