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10/06/2020 | FRANCE | N°20PA00144

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 10 juin 2020, 20PA00144


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2019 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités bulgares responsables de sa demande d'asile ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile dans le délai de dix jours à compter de la date de la notification du jugement ou, à défaut,

de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de la notification du juge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2019 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités bulgares responsables de sa demande d'asile ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile dans le délai de dix jours à compter de la date de la notification du jugement ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de la notification du jugement ;

Par un jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police de convoquer M. D... aux fins d'enregistrement de sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. D... et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 et 24 janvier 2020 sous le

n° 20PA00144, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de rejeter les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. D... devant ce tribunal.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. D..., il se réfère à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2020, M. D..., représenté par Me B... C..., demande à la Cour de rejeter le recours du préfet de police et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros à verser à son avocat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par une ordonnance du 14 mai 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2020.

M. D... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/15515 du bureau d'aide juridictionnelle du 3 juin 2020.

II - Par une requête enregistrée le 27 janvier 2020 sous le n° 20PA00269, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté en litige n'a pas été pris au terme d'une procédure irrégulière au regard des dispositions des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- cet arrêté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2020, M. D..., représenté par Me B... C..., demande à la Cour de rejeter le recours du préfet de police et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros à verser à son avocat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par une ordonnance du 14 mai 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2020.

M. D... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/15514 du bureau d'aide juridictionnelle du 3 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les observations de Me C... , avocat de M. D... et de Mme A..., élève avocate, en présence de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui indique être né le 2 mars 1998 en Afghanistan, pays dont il revendique la nationalité, s'est présenté aux services de la préfecture de police le 29 mai 2019 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 30 juillet 2019, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités bulgares, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable.

2. Les requêtes nos 20PA00144 et 20PA00269 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal s'est fondé sur le fait qu'en l'état actuel de la situation en Bulgarie, au vu de la généralité de pratiques, qui ne sont pas le fait de circonstances locales particulières mais du mode de traitement national des demandes, M. D... devait être regardé comme établissant que son transfert à destination de la Bulgarie devait conduire, selon toute vraisemblance, à un renvoi en Afghanistan. Le tribunal a, en outre, relevé qu'il ressortait de la documentation publique récente et librement accessible sur la situation sécuritaire en Afghanistan, des motifs sérieux de croire que tout civil renvoyé dans la province de Kaboul courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. D'une part, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. D... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers la Bulgarie. Si M. D... a soutenu en première instance qu'il craignait des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine au vu de la situation sécuritaire à Kaboul et dans la province dont il est originaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que la Bulgarie, Etat membre de l'Union européenne, qui est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'éloignera à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement. D'autre part, M. D..., qui cite un extrait d'un rapport d'Amnesty International, sans aucune précision de date, et qui évoque notamment la situation des " musulmans de Syrie [qui ne sont] pas les bienvenus " dans certaines villes bulgares ainsi qu'un extrait de la page du site Orient XXI, qui fait mention de conditions d'accueil inhumaines et dégradantes en Bulgarie, n'établit pas qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie. Par ailleurs, si M. D... a soutenu avoir " subi des conditions de détention d'une violence inouïe " en Bulgarie et avoir été placé en détention dans des conditions d'hygiène précaires, il n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a estimé qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler son arrêté du 30 juillet 2019.

6. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... en première instance.

Sur les autres moyens soulevés par M. D... :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre le

29 mai 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile et de l'entretien individuel, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de cette demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac " ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langue pachtou. Si le requérant a soutenu devant le tribunal qu'il n'aurait pas reçu les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend, il ressort des pièces du dossier que lors de l'entretien individuel réalisé en langue pachtou, il a confirmé comprendre les termes de cet entretien et n'a émis aucune réserve lors de la remise des brochures dans cette langue. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. D... n'aurait pas reçu dans une langue qu'il comprend, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été reçu à la préfecture de police le 29 mai 2019, par un agent de la préfecture, assisté d'un interprète. L'entretien a donc été mené par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du

26 juin 2013 et il ressort du résumé de cet entretien que l'intéressé, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mis en oeuvre à son encontre, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. En outre, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne la qualité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon cet article 5, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la circonstance que la qualification de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaît pas sur le résumé de l'entretiens individuel mené avec M. D... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

9. En troisième lieu, pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées au point 5

ci-dessus, M. D..., qui au demeurant est isolé sur le territoire français et n'a pas fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France, ne peut faire valoir que le préfet de police a entaché l'arrêté contesté d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'application de l'article 17 du règlement susvisé.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 30 juillet 2019, lui a enjoint de convoquer M. D... aux fins d'enregistrement de sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. D... devant le tribunal ainsi que ses conclusions présentées devant la Cour.

Sur la requête n° 20PA00269 :

11. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 20PA00144 du préfet de police tendant à l'annulation du jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête

n° 20PA00269 par laquelle le préfet de police a sollicité de la Cour le sursis à exécution de ce jugement.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA00269.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1917793/8 du 10 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions présentées devant la Cour, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... D....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2020.

Le président,

I. BROTONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20PA00144, 20PA00269


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00144
Date de la décision : 10/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : GONIDEC

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-10;20pa00144 ?
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