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26/05/2020 | FRANCE | N°19PA03728

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 26 mai 2020, 19PA03728


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet de police, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et, d'autre part, lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant trois ans.

Par un jugement n° 1904152 du 29 mai 2019 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Pro

cédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 novembre 2019, M. C..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet de police, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et, d'autre part, lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant trois ans.

Par un jugement n° 1904152 du 29 mai 2019 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 novembre 2019, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1904152 du 29 mai 2019 du tribunal administratif de

Paris ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet de police du 16 novembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, dans ce même délai et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur de fait dès lors que le préfet de police s'est mépris sur son identité et l'a confondu avec un homonyme ;

- la saisine de la commission du titre de séjour aurait dû être effectuée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non sur celui de l'article R. 312-10 du même code dès lors qu'il justifie d'une résidence habituelle de dix ans sur le territoire ;

- la saisine de la commission du titre de séjour est également irrégulière dès lors qu'elle se fonde sur des éléments de fait erronés ;

- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 ainsi que celles du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est, en outre, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les faits qui lui sont reprochés ne lui sont pas imputables et qu'il ne représente pas de menace pour l'ordre public ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire, enregistré le 28 février 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

-en dépit de l'erreur de fait résultant de la prise en compte de différentes infractions inscrites à tort sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire du requérant, il aurait pris la même décision portant refus d'admission exceptionnelle au séjour, M. C... ne satisfaisant pas aux autres conditions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

-les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 1er octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité ukrainienne, entré en France le 2 septembre 2001 selon ses déclarations, a sollicité en octobre 2017 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 16 novembre 2018, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. C... relève appel du jugement du 29 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".

3. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet, qui a considéré que le demandeur résidait en France depuis plus de dix-sept ans, s'est essentiellement fondé sur la circonstance que " F... C... " avait fait l'objet, d'une part, de plusieurs condamnations pénales entre 2001 et 2015 sous différentes identités pour des faits ayant donné lieu à des peines d'emprisonnement, d'autre part, de plusieurs interdictions de retour sur le territoire français et que les peines d'une durée cumulée de plus de trente années d'interdiction de territoire français faisaient obstacle à ce que les années passées en France soient prises en compte dans le calcul de l'ancienneté de sa résidence habituelle sur le territoire national. Il a également relevé que

M. C... n'avait pas présenté devant la commission du titre de séjour d'éléments susceptibles d'infléchir sa décision au regard de ses condamnations pénales.

4. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il existe une quasi-homonymie entre

" M. F... C... " qui figure au fichier national des étrangers sous le numéro 7503513663 et " M. D... C... " qui y figure sous le numéro 7803076413, et que le refus de titre de séjour repose sur une confusion entre ces deux personnes. Par ailleurs, il ressort de la lettre adressée le 29 juillet 2019 au requérant par le substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris que l'analyse du relevé d'empreintes digitales avait permis d'établir la réalité de l'usurpation d'identité dont le demandeur avait déclaré être victime et qu'à la seule exception d'une condamnation intervenue le 13 décembre 2010, les faits et condamnations pénales que le préfet de police avaient pris en considération pour lui refuser un titre de séjour étaient imputables à deux autres individus. Il en résulte qu'en se fondant sur des condamnations pénales pour des faits que M. C... doit, en l'état du dossier, être réputé ne pas avoir commis et qui font actuellement l'objet d'une procédure de rectification de son casier judiciaire, le préfet de police, ainsi qu'il l'admet lui-même dans son mémoire en défense, s'est fondé sur des faits matériellement inexacts.

5. Dans son mémoire en défense communiqué à M. C..., le préfet de police fait toutefois valoir que, quand bien même sa décision était fondée sur un motif matériellement erroné, il aurait en toute hypothèse rejeté la demande de titre de séjour de M. C... en l'absence de considérations humanitaires ou motifs exceptionnels exigés par l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'avis de la commission du titre de séjour qui s'est déclarée dans l'impossibilité de statuer sur la situation de M. C... en raison des incertitudes liées à l'usurpation d'identité dont il déclarait avoir été victime, et de la motivation même de l'arrêté contesté, que la demande d'admission exceptionnelle au séjour a été exclusivement examinée en considération des faits délictuels graves qui étaient imputés, a priori à tort, au demandeur, et au regard de la menace qu'il était susceptible de présenter pour l'ordre public sans que les mérites propres de sa demande aient fait l'objet d'une appréciation sérieuse. Il ne résulte pas dès lors de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur un autre motif que celui, essentiellement tiré de l'ordre public, qu'elle a retenu. Il n'y a dès lors pas lieu pour la Cour de faire droit à la demande de substitution de motif demandée par le préfet de police.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour. Les décisions distinctes lui faisant obligation de quitter le territoire sans délai et fixant le pays de destination, ainsi que l'arrêté du même jour qui lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans sont entachés d'illégalité par voie de conséquence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt n'implique pas, eu égard au motif d'annulation ci-dessus énoncé, qu'un titre de séjour soit délivré à M. C... mais seulement que sa demande d'admission exceptionnelle au séjour soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de statuer à nouveau sur cette demande, au terme d'un nouvel examen impliquant la consultation de la commission du titre de séjour, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et de délivrer au demandeur, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B..., avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me B... de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°1904152 du 29 mai 2019 du tribunal administratif de Paris et les arrêtés du préfet de police du 16 novembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer dans l'intervalle au demandeur une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me B..., avocat de M. C..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre de l'intérieur, au préfet de police et à Me B....

Délibéré après l'audience publique du 3 mars 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme A..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 mai 2020.

Le rapporteur,

M-E... A... Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

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N° 19PA03728


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03728
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : BREVAN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;19pa03728 ?
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