Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 février 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite par laquelle elle a rejeté le recours hiérarchique formé par la société Servidis, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 juin 2017 et a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 1806206 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 août 2019, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1806206 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris et d'annuler la décision de la ministre du travail du 23 février 2018 ;
2°) de mettre à la charge de la société Servidis la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas recherché si les faits de discrimination syndicale étaient constitués et n'a pas motivé sa décision ;
- contrairement à ce qu'a considéré la ministre du travail, l'inspectrice du travail a apprécié le lien entre la dégradation de son état de santé et les conditions dans lesquelles elle exerçait son mandat sans examiner la cause de son inaptitude ;
- son employeur, qui n'a pas effectué de recherche dans un autre établissement du groupe, n'a pas respecté son obligation de reclassement ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, la société Servidis, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Une mise en demeure a été adressée le 19 décembre 2019 en application de l'article
R. 612-3 du code de justice administrative à la ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Servidis.
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er novembre 2010, Mme D... a été recrutée en contrat à durée indéterminée en qualité d'employée libre-service par la société Servidis, qui exploite un supermarché du groupe Super U. Elle a bénéficié de la qualité de salariée protégée en qualité de déléguée du personnel titulaire à compter de 2014. Mme D... a été placée en arrêt de travail à compter du 3 octobre 2016. Le médecin du travail ayant estimé, par avis du
16 mars 2017, qu'elle était inapte à tout poste, son employeur a saisi le 10 avril 2017 l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de la licencier. Par une décision du 8 juin 2017, l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Paris a refusé de faire droit à cette demande. Sur recours hiérarchique de l'employeur, par une décision du 23 février 2018, la ministre du travail après avoir retiré un rejet implicite initial de ce recours, a annulé la décision de l'inspectrice du travail et a autorisé le licenciement de Mme D.... Cette dernière relève appel du jugement du 7 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif, au point 6 de son jugement, qui est suffisamment motivé, s'est prononcé sur lien susceptible d'exister entre l'exercice par Mme D... de son mandat de déléguée du personnel et son licenciement. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit en conséquence être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.
4. Si l'autorité administrative doit ainsi vérifier que l'inaptitude du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. Il en va ainsi, y compris s'il est soutenu que l'inaptitude résulte d'une dégradation de l'état de santé du salarié protégé ayant directement pour origine des agissements de l'employeur dont l'effet est la nullité de la rupture du contrat de travail, tels que, notamment, un harcèlement moral ou un comportement discriminatoire lié à l'exercice du mandat.
5. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Ainsi, alors même qu'il résulterait de l'examen conduit dans les conditions rappelées aux points précédents que le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait légalement obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée.
6. En premier lieu, la ministre du travail, après avoir relevé que l'inspectrice du travail n'avait pas exercé la plénitude de son contrôle, notamment en ne précisant pas si l'avis d'inaptitude était contesté, a conclu à cette inaptitude après avoir relevé qu'elle n'était contestée ni par l'employeur ni par la salariée. La ministre du travail a ainsi vérifié que l'inaptitude de la salariée était réelle et justifiait son licenciement.
7. En deuxième lieu, si Mme D... soutient que son inaptitude trouve son origine dans des mesures de rétorsion et dans le comportement discriminatoire de son employeur à son égard, en vertu du principe énoncé au point 4, il n'appartient pas à l'autorité administrative de rechercher la cause de l'inaptitude de la salariée. Par suite, la ministre du travail n'avait pas à rechercher si l'inaptitude de la requérante était en lien avec la situation de harcèlement moral qu'elle dénonçait.
8. En troisième lieu, si l'existence de fréquents conflits et des difficultés relationnelles entre la requérante et sa hiérarchie n'est pas contestable, il ressort des pièces du dossier que cette situation préexistait à la désignation de Mme D... comme déléguée syndicale en 2014 et que, par ailleurs, l'intéressée rencontrait des difficultés du même ordre avec les autres salariés. Si des frictions avec la direction ont pu survenir dans des situations où Mme D... intervenait en sa qualité de déléguée du personnel, les éléments dont fait état la requérante ne permettent pas d'établir que la demande d'autorisation de licenciement présenterait un lien avec le mandat qu'elle détenait. Par suite, la ministre du travail a pu, sans erreur, autoriser le licenciement qui lui était demandé par la société Servidis au motif qu'un tel lien n'était pas établi.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : " (...) L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article
L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. (...) ".
10. Mme D... se borne à reprendre en appel le moyen développé dans sa demande de première instance, tiré de ce que son employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement en n'effectuant aucune recherche dans un autre établissement du groupe. Toutefois, dès lors qu'en application des dispositions citées au point précédent dans leur version applicable depuis le 1er janvier 2017, l'employeur est dispensé de rechercher un reclassement si l'avis d'inaptitude mentionne expressément que " tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ", ce moyen ne pourra qu'être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Servidis la somme que réclame Mme D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Servidis.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Servidis présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E..., à la ministre du travail et à la société Servidis.
Délibéré après l'audience publique du 3 mars 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 mai 2020.
Le rapporteur,
M-F... B... Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 19PA02647