Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Novae Aerospace Services a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 août 2018 par laquelle la ministre du travail a refusé de l'autoriser à licencier M. C... F... et d'enjoindre à l'administration de l'autoriser à procéder à ce licenciement.
Par un jugement n° 1818285/3-3 du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et a enjoint à la ministre du travail de réexaminer la demande de la société Novae Aerospace Services dans le délai de quatre mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 juillet 2019, M. C... F..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de la société Novae Aerospace Services ;
3°) de mettre à la charge de la société Novae Aerospace Services la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 29 août 2018 n'est entachée d'aucun vice de forme au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- à supposer que son contrat de travail soit réellement un contrat de chantier, le non renouvellement des commandes de la société Euro Cryospace auxquelles il était affecté n'impliquait pas la fin de ce chantier, et par voie de conséquence celle de sa mission d'ingénieur qualité ; la réalisation de certifications et d'audits demeure nécessaire tant que le programme Ariane 5 se poursuit ; son contrat de travail lui permettant d'exercer de telles missions, l'autorisation de licenciement sollicitée par son employeur ne pouvait être accordée ;
- eu égard à son ancienneté d'emploi et aux irrégularités contractuelles qu'il a soulevées, la demande d'autorisation de licenciement doit être regardée comme étant en lien avec son élection en qualité de membre de la délégation unique du personnel.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 octobre 2019, la société Novae Aerospace Services, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. F... et de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, car elle est dépourvue de critique du jugement attaqué ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 23 janvier 2020, la ministre du travail conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris en s'associant à la requête de
M. F....
Elle s'en rapporte à ses écritures produites en première instance.
La clôture de l'instruction est intervenue le 6 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
-et les observations de Me B..., représentant M. F..., et les observations de
Me G..., représentant la société Novae Aerospace Services.
Considérant ce qui suit :
1. La société Novae Aerospace Services a sollicité le 17 novembre 2017 l'autorisation de licencier M. F..., membre de la délégation unique du personnel, titulaire d'un contrat de chantier. Le refus opposé par l'inspecteur du travail le 29 décembre 2017 a été annulé sur recours hiérarchique par le ministre du travail qui, par décision du 29 août 2018, a également refusé de faire droit à la demande d'autorisation de licenciement. M. F... relève appel du jugement du 14 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. La requête de M. F..., qui tend à ce que " soit infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions ", et donc nécessairement à son annulation, et à ce que " soit confirmée la décision du 29 août 2018 par laquelle le ministre du travail a refusé le licenciement ", comporte des conclusions d'appel et est suffisamment motivée. Elle est dès lors recevable.
Sur le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen retenu par le tribunal administratif :
3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 2411-1 du code du travail : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel ; / 3° Membre élu du comité d'entreprise ; (...) 7° Représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; (...) ". Aux termes, d'autre part, de l'article L. 1236-8 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le licenciement qui, à la fin d'un chantier, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l'exercice régulier de la profession, n'est pas soumis aux dispositions du chapitre III relatives au licenciement pour motif économique, sauf dérogations déterminées par convention ou accord collectif de travail. / Ce licenciement est soumis aux dispositions du chapitre II relatives au licenciement pour motif personnel ".
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur l'achèvement d'un chantier pour la durée duquel le salarié intéressé avait été embauché, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la réalité de ce motif.
5. M. F... a été recruté à compter du 30 octobre 2006 par la société Novae Aerospace Services par un contrat à durée indéterminée de chantier sur un poste de qualiticien-produit chargé notamment de la responsabilité et de la coordination de la gestion des faits techniques, du traitement des anomalies, de la réalisation des points clé internes, des audits internes, des analyses de risque, et de l'élaboration du tableau de bord qualité sur un chantier situé au sein du service qualité pour une société de conception et de réalisation de réservoirs cryogéniques. Par un avenant qui a pris effet le 1er janvier 2016, M. F... est devenu ingénieur qualité en charge du suivi de la qualité, des certifications et des audits au sein du chantier Eurocryospace.
6. Pour demander à l'administration l'autorisation de licencier M. F..., la société Novae Aerospace Services, son employeur, a fait valoir que la société Eurocryospace, son client, auquel la lie un contrat-cadre conclu en 2012, lui avait fait connaître sa décision, en raison d'une baisse de cadence, de ne pas renouveler au-delà du 31 décembre 2017 la commande PO 016846 sur laquelle travaillait son salarié. Pour rejeter cette demande, le ministre a relevé que la prestation qualité pour laquelle M. F... avait été recruté pour le chantier de contrôle de la qualité liant son employeur à la société Eurocryospace, se poursuivait avec d'autres salariés de la société Novae Aerospace Services, et que la simple réduction de l'activité du chantier, alors même qu'elle était susceptible d'entrainer une diminution importante des tâches assurées par M. F..., ne présentait pas en l'espèce le caractère d'une fin de chantier.
7. En considérant qu'une réduction importante de l'activité d'un chantier, consécutive au non-renouvellement d'une commande, n'était pas une fin de chantier dès lors que celui-ci se poursuivait, fût-ce à un rythme ralenti et alors même que les activités du salarié dont le licenciement était demandé continueraient à être assurées par un personnel de moindre qualification, le ministre du travail a fait une exacte application du droit. Il est constant que des salariés de la société Novae Aerospace Services assurent toujours le contrôle de la qualité du programme Ariane 5 qui lui a été confié par la société Eurocryospace. Ainsi, en retenant pour rejeter la demande de l'employeur que la réalité de la fin du chantier n'était pas établie, le ministre n'a pas entaché sa décision d'erreur. Enfin, à supposer que les stipulations de l'avenant n° 11 du 8 juillet 1993 relatif aux fins de chantier dans l'ingénierie puissent être en l'espèce utilement invoquées, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il vient d'être dit, que la mission qu'Eurocryospace avait confiée à l'employeur n'était pas totalement achevée et que d'autres salariés effectuaient certaines des tâches de M. F....
8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, pour annuler la décision du ministre du travail du 29 août 2018, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'achèvement du chantier en ce qui concerne M. F... pouvait justifier son licenciement.
S'agissant des autres moyens :
9. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Novae Aerospace Services tant en première instance qu'en appel.
10. La décision contestée a été signée pour le ministre du travail par M. D... A..., chef du bureau du statut protecteur au sein de la direction générale du travail, régulièrement habilité à cette fin par décision du 24 mai 2017. Elle porte mention en caractères lisibles du nom, du prénom et de la qualité du signataire et satisfait dès lors aux exigences de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre du travail du 29 août 2018.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Novae Aerospace Services la somme de 2 000 euros à verser à M. F... sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de cette société tendant à ce que soit mise à la charge de M. F... et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes, la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 mai 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Novae Aerospace Services devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : La société Novae Aerospace Services versera à M. F... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Novae Aerospace Services sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., au ministre du travail et à la société Novae Aerospace Services.
Copie en sera adressée pour information à la direction interrégionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Ile-de-France (Pôle travail, unité départementale de Paris).
Délibéré après l'audience du 3 mars 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 mai 2020.
Le rapporteur,
G. E...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre du travail, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02249