La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2020 | FRANCE | N°18PA03961

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 25 mai 2020, 18PA03961


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Électricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État, après avoir annulé les décisions implicites de rejet de ses demandes indemnitaires, à lui verser la somme de 32 078 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, le cas échéant capitalisés, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi entre le 1er novembre 2007 et le

31 octobre 2013 du fait de l'entrée en vigueur du décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006

approuvant

l'avenant n°1 au cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Duran...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Électricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État, après avoir annulé les décisions implicites de rejet de ses demandes indemnitaires, à lui verser la somme de 32 078 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, le cas échéant capitalisés, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi entre le 1er novembre 2007 et le

31 octobre 2013 du fait de l'entrée en vigueur du décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006

approuvant l'avenant n°1 au cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance, paru au Journal Officiel du 9 décembre 2006.

Par un jugement n° 1621915/4-2 du 26 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire en réplique, enregistrés le

18 décembre 2018, le 5 février 2019 et le 6 janvier 2020, la société Électricité de France, représentée par Me B... et Me A..., demande à la Cour :

Paris ;

1°) d'annuler le jugement n° 1621915/4-2 du 26 octobre 2018 du tribunal administratif de

2°) de condamner l'État, après avoir annulé les décisions implicites de rejet de ses demandes indemnitaires, à lui verser la somme de 32 078 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, le cas échéant capitalisés, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi entre le 1er novembre 2007 et le 31 octobre 2013 du fait de l'entrée en vigueur du décret n° 2006-1557 du

8 décembre 2006 approuvant l'avenant n°1 au cahier des charges spécial des chutes de Salon et de

Saint-Chamas, sur la Durance, paru au Journal Officiel du 9 décembre 2006 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise et de condamner l'État à réparer l'intégralité du préjudice subi du fait de l'entrée en vigueur du décret du 8 décembre 2006 ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Électricité de France soutient que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que la procédure contradictoire prévue à l'article L. 5 du code de justice administrative n'a pas été respectée ;

- le tribunal a commis des erreurs de droit et d'appréciation ;

- le ministre ne peut opposer l'autorité de chose jugée ;

- le décret du 8 décembre 2006 a modifié unilatéralement le cahier des charges de la concession susvisée, en abaissant la limite des apports annuels en eau douce et en limons dans l'étang de Berre et en imposant de nouvelles contraintes de salinité ; ces modifications ont diminué la capacité de production des ouvrages ; les modifications engagent la responsabilité de l'État, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 521-2 du code de l'énergie et L. 214-5 du code de l'environnement, dès lors qu'elles portent atteinte à l'équilibre général de la concession, justifiant l'indemnisation de son manque à gagner ; le ministre ne peut nier le principe de la responsabilité de l'État ni soutenir qu'elle se serait placée dans la situation créant le préjudice ;

- l'abaissement cumulé des plafonds de volume d'eau et de limons rejetés a été la cause de la limitation de la production d'électricité, leur respect imposant en outre l'adoption de marges de sécurité ; les autres facteurs tels que les conditions climatiques, l'hydraulicité, les conditions économiques et les opérations de maintenance sont lien avec la baisse de production ; le lien de causalité est ainsi établi ;

- la reconnaissance d'une atteinte à l'équilibre général de la concession ouvrant droit à

indemnisation n'est pas subordonnée à l'existence d'un déficit de l'exploitation ; elle est fondée à obtenir la réparation du préjudice tenant à la perte de production électrique, sans avoir à établir l'existence d'un préjudice anormal et spécial ; les charges de la concession sont sans lien avec sa demande ; le rapport d'expertise du 15 décembre 2016 produit justifie du montant du préjudice ; la perte de production liée aux contraintes résultant du décret du 8 décembre 2006 peut être évaluée à

229,5 GWh par an, entraînant un manque à gagner qui peut être évalué à 32 078 000 euros, après

reconstitution des volumes susceptibles d'être turbinés et leur valorisation ; les contraintes réglementaires ont également engendré une hausse des charges.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 décembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de première instance manque en fait ;

- la responsabilité de l'État ne peut être engagée pour la réparation de dommages qui découlent de la situation irrégulière dans laquelle la société Électricité de France s'est placée ; la requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'État pour rupture de l'équilibre général de la concession ;

- le lien de causalité entre le décret du 8 décembre 2006 et le préjudice allégué n'est pas établi, dès lors que les plafonds en eau et en limons n'ont presque jamais été atteints, y compris avant l'entrée en vigueur du décret, en raison notamment de la faible hydraulicité de la Durance, des prélèvements agricoles, des contraintes de gestion propres à l'exploitant, du climat, de la maintenance des équipements et de l'équilibre entre l'offre et la demande ; les chiffres annuels des volumes d'eau ne sont pas de nature à établir que ces volumes auraient pu être turbinés, compte tenu des périodes de forts débits et de maintenance nécessaire du fait de l'usure des équipements ;

- l'existence d'un préjudice n'est pas établie, dès lors que la diminution du résultat de

l'exploitation n'est pas inversement proportionnelle à la réduction de la production ; la méthode d'évaluation du préjudice, fondée sur une expertise non contradictoire, n'est pas fiable.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011 ;

- le décret du 6 avril 1972 approuvant la convention et le cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance (départements des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Gard) ;

- le décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006 approuvant l'avenant n° 1 au cahier des

charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance (départements des Bouches- du-Rhône, de Vaucluse et du Gard) ;

- le code de justice administrative,

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables

devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public ;

- et les observations de Me B..., pour la société Electricité de France.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'aménagement de la Durance, prévu par la loi n° 55-6 du 5 janvier

1955, une concession pour l'exploitation de l'énergie hydraulique des chutes de Salon et de Saint-

Chamas, nécessitant une dérivation des eaux de la Durance, rejetées après avoir été turbinées dans un étang d'eau salée, l'étang de Berre, encadrée par un cahier des charges, a été attribuée à la société Electricité de France par une convention conclue avec l'État le 22 novembre 1971 et approuvée par un décret du 6 avril 1972 approuvant la convention et le cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance (départements des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Gard). Les prescriptions techniques prévues au cahier des charges spécial de la concession, visant à limiter les incidences des rejets d'effluents sur le milieu aquatique de l'étang de Berre, ont été jugées insuffisantes par la Cour de justice de l'Union européenne, qui, par un arrêt du 7 octobre 2004, a condamné la République française pour manquement au protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique signée à Athènes le 17 mai 1980 et à la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution signée à Barcelone le

16 février 1976. Tirant les conséquences de cette décision, l'État a modifié le cahier des charges

spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, par un avenant approuvé par le décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006, en limitant les plafonds de volumes d'eau douce susceptibles d'être rejetés dans l'étang de Berre à 1 200 milliards de m3 par an et les plafonds d'apport de limons à

60 000 tonnes par an, des conditions sur la salinité de l'étang ayant également été introduites. La

société Électricité de France a demandé en vain à l'État de l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de ces modifications du cahier des charges. Elle relève appel du jugement du

26 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 32 078 000 euros, augmentée des intérêts au taux

légal capitalisés, en réparation de ce préjudice.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative, " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ". Aux termes de l'article L. 7 du même code, " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ".

3. D'une part, le principe du caractère contradictoire de l'instruction, rappelé à l'article L. 5 du code de justice administrative, qui tend à assurer l'égalité des parties devant le juge, implique la communication à chacune des parties de l'ensemble des pièces du dossier, ainsi que, le cas échéant, des moyens relevés d'office. Ces règles sont applicables à l'ensemble de la procédure d'instruction à laquelle il est procédé sous la direction de la juridiction. Le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement. L'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction. S'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la

solution qu'appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations préalablement à l'audience n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

4. La société Électricité de France soutient que le rapporteur public de première instance, dans ses conclusions lues à l'audience, a porté une appréciation sur le rapport d'expertise qu'elle avait produit qui n'avait pas été opposée en défense, se substituant ainsi aux parties en méconnaissance des principes d'indépendance, d'impartialité et du contradictoire. Toutefois, en procédant ainsi, le rapporteur public s'est borné à exercer sa mission, en faisant notamment connaître son appréciation sur les circonstances de fait et son opinion sur la solution qu'appelait le litige opposant la société Électricité de France à l'État, ce qui incluait de présenter son opinion sur le rapport d'expertise produit par cette société et soumis à l'instruction contradictoire, le contenu de ce rapport et l'existence d'un préjudice indemnisable étant au demeurant contestés en défense par l'Etat. La seule circonstance que le rapporteur public ne se soit pas borné à reprendre les arguments invoqués en défense et a porté une appréciation critique de ce rapport ne saurait caractériser un manquement aux principes d'indépendance et d'impartialité mais, bien au contraire, établit qu'il a rempli l'office lui incombant légalement. En outre, la fonction du rapporteur public n'étant pas soumise au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction, la société Électricité de France, qui a d'ailleurs produit une note en délibéré contestant les conclusions prononcées, ne peut utilement ni même sérieusement soutenir que les conclusions ne lui ont pas été préalablement communiquées pour pouvoir y répliquer. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la teneur des conclusions du rapporteur public de première instance entacherait d'irrégularité le jugement attaqué.

5. D'autre part, la société Électricité de France soutient que la formation de jugement s'est fondée sur une interprétation du rapport d'expertise qui n'a pas été soumise au contradictoire. Toutefois, ce rapport d'expertise a été soumis au contradictoire, et les premiers juges, qui n'étaient pas liés par les arguments avancés en défense par l'État, lequel a au demeurant contesté le principe de responsabilité, le lien de causalité et le préjudice, se sont bornés à exercer leur office, en appréciant s'il résultait de l'instruction un lien de causalité entre les faits invoqués et le préjudice invoqué et en examinant l'existence de ce préjudice. Le principe du caractère contradictoire de la procédure n'a ainsi pas été méconnu par la formation de jugement.

6. Par ailleurs, dès lors qu'il appartient au juge d'appel de statuer sur les moyens invoqués par la société Électricité de France dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, la circonstance que les premiers juges auraient commis des erreurs de droit et d'appréciation quant à l'existence d'un lien de causalité et d'un préjudice relève en tout état de cause de la critique du bien-fondé et n'entache donc pas le jugement attaqué d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

7. Aux termes de l'article L. 214-4 du code de l'environnement, " (...) II. L'autorisation peut être retirée ou modifiée, sans indemnité de la part de l'État exerçant ses pouvoirs de police, dans les cas suivants : (...) en cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation (...) ". Aux termes de l'article L. 214-5 du même code, régissant également la concession en cause, et dont les dispositions sont actuellement codifiées à l'article L. 521-2 du code de l'énergie, " Les règlements d'eau des entreprises hydroélectriques (...) peuvent faire l'objet de modifications, sans toutefois remettre en cause l'équilibre général de la concession ". Il résulte

de la combinaison de ces dispositions légales, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011, qu'une modification unilatérale des conditions d'exploitation d'une installation d'énergie hydroélectrique concédée par l'État, même lorsqu'elle porte sur le règlement d'eau annexé au cahier des charges et constitue ainsi une mesure de police, et qu'elle est motivée, comme en l'espèce, par une menace majeure pour le milieu aquatique, ouvre droit à indemnisation lorsqu'elle emporte une rupture de l'équilibre général de l'exploitation, voire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général qu'elle poursuit.

8. La société Électricité de France se prévaut d'une rupture de l'équilibre général de la concession du fait de l'entrée en vigueur du décret du 8 décembre 2006, réduisant les plafonds de volumes d'eau douce susceptibles d'être rejetés dans l'étang de Berre de 2 100 milliards de m3 par an à 1 200 milliards de m3 par an et les plafonds d'apport de limons des 100 000 à 60 000 tonnes par an et introduisant des conditions de maintien de la salinité de l'étang. Elle fait ainsi valoir que l'abaissement cumulé des plafonds de volume d'eau et de quantités de limons rejetés dans l'étang de Berre a été la cause de la limitation de la production d'électricité par les installations de la concession de Salon et Saint-Chamas, le respect de ces plafonds imposant en outre l'adoption de marges de sécurité. Ces circonstances seraient à l'origine d'une forte baisse de la production hydroélectrique moyenne entre les périodes 1996-2006 et 2007-2013, les apports en eau ayant été réduits d'une moyenne annuelle de 1 362,4 hm3 avant la campagne 2006-2007 à une moyenne de

908,6 hm3 à compter de cette campagne. Ainsi, alors que la moyenne de production hydroélectrique

entre les années 1996 et 2006 s'élevait à 479,85 GWh, entre 2007 et 2013, elle s'établit à

250,40 GWh, ce qui caractériserait une perte de production de 229,5 GWh par an au titre de la

période en litige, entraînant un manque à gagner de 32 078 000 euros et portant atteinte à l'équilibre économique de la concession.

9. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des données issues du groupement d'intérêt public pour la réhabilitation de l'étang de Berre, devenu le syndicat mixte pour la gestion intégrée, la prospective et la restauration de l'étang de Berre, présentées par le ministre et qui ne sont pas contredites, que la production hydroélectrique de la concession n'est pas liée aux seuls plafonds de rejet de volumes d'eau et de limons. En effet, au titre des campagnes 2004-2005 et

2005-2006, soit antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 8 décembre 2006, les volumes rejetés sont inférieurs aux plafonds fixés par ce décret. Il ne ressort ainsi pas du seul constat des volumes rejetés que les contraintes nouvelles instaurées par ce décret auraient entraîné une baisse de la production et, a fortiori, une rupture de l'équilibre général de la concession. Par ailleurs, il résulte également de la présentation des résultats d'exploitation faite par la société Électricité de France au titre des années 2011 à 2013 que ces résultats ne varient pas exclusivement avec le volume de la production hydroélectrique. Dans ces conditions, et alors qu'il résulte de l'instruction que les plafonds de rejet en eau et en limons n'ont quasiment jamais été atteints au titre de la période en litige, seuls les plafonds en limons ayant été atteints en 2008 et 2012, la société Électricité de France, qui ne peut se borner à opérer des comparaisons par moyennes annuelles, n'apporte pas d'éléments suffisamment probants de nature à établir, ou a minima à présumer de façon convaincante, que le manque à gagner dont elle se prévaut résulterait des contraintes issues du décret du 8 décembre 2006.

10. En outre, en ce qui concerne l'hydraulicité de la Durance, la société Électricité de France soutient que, dès lors que les ouvrages de la concession de Salon et de Saint-Chamas sont en aval de la concession de Mallemort, l'eau disponible en ce dernier lieu peut être turbinée dans les

ouvrages en cause. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'il existe un prélèvement agricole entre Mallemort et les ouvrages de Salon et de Saint-Chamas, dont les volumes demeurent inconnus. Le rapport d'expertise produit révèle également que la ressource hydraulique est soumise à d'autres contraintes que celles résultant du décret du 8 décembre 2006 dont l'impact demeure également inconnu. Ces contraintes sont notamment constituées de l'instauration d'un débit minimal devant être restitué à la Durance, d'une variation limitée du débit dans le lit de la Durance pour des raisons de sécurité des usagers de la rivière et de l'alimentation des canaux agricoles. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que les volumes d'eau constatés à Mallemort, compte tenu par ailleurs de la turbidité des eaux, auraient pu être turbinés dans les usines de Salon et de Saint-Chamas, indépendamment des plafonds fixés par le décret du 8 décembre 2006 et dans les limites antérieures. Par ailleurs, la société Électricité de France soutient que les opérations de maintenance des installations seraient sans lien avec la perte de production d'électricité constatée. Toutefois, ainsi que le fait valoir le ministre, les installations sont anciennes et la requérante reconnaît au demeurant qu'elle effectue des travaux d'entretien et de maintenance même si les installations sont désormais amorties. Il résulte d'ailleurs de l'instruction, notamment des rapports annuels d'exploitation des années 2012 et 2013, d'une part, que la concession a fait l'objet d'un arrêt pour maintenance des groupes de production, et, d'autre part, que les groupes de Saint-Chamas ont fait l'objet d'une rénovation et qu'une vanne a été remplacée, aucune information n'ayant été fournie par la société Électricité de France sur les travaux réalisés avant 2012. Ainsi, l'impact des opérations de maintenance et de l'usure des équipements, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ont nécessairement un impact sur le niveau de production, n'est pas précisé par la société Électricité de France, qui se borne à faire état d'une hausse ponctuelle des charges entre 2012 et 2013, et les capacités techniques de production réelle des usines au titre des années en litige demeure inconnue. En outre, et ainsi que le fait valoir le ministre, la requérante n'a apporté aucun élément sur les décisions de gestion qu'elle aurait pu prendre s'agissant de l'exploitation et du niveau de production de la concession du fait de la variation intra-journalière des prix de l'électricité et de ses choix économiques, en se bornant à soutenir de façon générale que les prix du marché auraient augmenté à compter de 2007.

11. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le manque à gagner allégué par la société Électricité de France, à supposer même que son ampleur puisse être regardé comme caractérisant une rupture de l'équilibre général de la concession, serait lié de façon certaine et directe aux contraintes résultant de l'entrée en vigueur du décret du 8 décembre 2006 en matière de rejet de volumes d'eau, de quantités de limons et de salinité, le rapport d'expertise produit se bornant à affirmer l'existence d'un lien de causalité présenté comme une évidence, alors que tel n'est pas le cas pour les motifs précédemment cités. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le lien de causalité entre ces contraintes et le préjudice allégué serait établi. A cet égard, à défaut de lien de causalité, la société Électricité de France ne peut utilement soutenir que les causes mentionnées au point 10 auraient pour seule conséquence de réduire la part du préjudice indemnisé. Par ailleurs, dès lors que la réalité du lien de causalité que la requérante invoque entre le préjudice allégué et les contraintes résultant du décret du 8 décembre 2006 n'est pas établie, l'expertise sollicitée sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative est dépourvue d'utilité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Électricité de France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation du jugement, de condamnation de l'État et, en tout état de cause, d'annulation des décisions de rejet de ses demandes indemnitaires, doivent ainsi être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Électricité de France demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Électricité de France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié Me B... et Me A... représentant la société

Electricité de France et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (premier alinéa) et R. 222-6 (premier alinéa) du code de justice administrative,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 25 mai 2020.

Le président de la formation de jugement,

S. DIÉMERT

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03961
Date de la décision : 25/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

17-03-02-05-02-01 Compétence. Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel. Responsabilité. Responsabilité contractuelle. Contrats administratifs.


Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : SCP BAKER et MACKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-25;18pa03961 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award