Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Soultz-Haut-Rhin a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 478 179,12 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2015 en réparation des préjudices subis du fait la carence de l'Etat dans l'encadrement des conditions dans lesquelles les collectivités territoriales et les établissements publics pouvaient avoir recours à des prêts de nature spéculative.
Par un jugement n° 1715914/2-1 du 19 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2019, et un mémoire en réplique, enregistré le 13 février 2020, la commune de Soultz-Haut-Rhin, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1715914/2-1 du 19 février 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 392 085,19 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2015, avec capitalisation des intérêts annuellement échus, en réparation du préjudice subi du fait du paiement de l'indemnité de remboursement anticipé du prêt structuré diminué du montant de l'aide allouée par l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article 92 de la loi n° 2013-127 du 29 décembre 2013 et du surcoût généré par la souscription d'un nouveau prêt en vue de financer le restant à charge de l'indemnité de remboursement anticipé ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 086 093,93 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2015, avec capitalisation des intérêts annuellement échus, en réparation du préjudice induit par les coûts du prêt structuré excédant ce qui aurait été si elle avait souscrit un emprunt à taux fixe tel que pratiqué en 2011 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée dès lors que, malgré le fait que celui-ci connaissait les risques afférents à la souscription par les collectivités territoriales de prêts structurés, aucune règlementation adaptée n'a été mise en place permettant de pallier les conséquences préjudiciables desdits prêts ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour incompétence négative du législateur ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée dès lors que le préfet du Haut-Rhin a manqué à son obligation de conseil et d'alerte en ne signalant pas, à l'occasion du contrôle de légalité de l'arrêté de refinancement du prêt structuré, au moyen d'une lettre d'observation, les risques encourus par la commune ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée dès lors que le comptable public a manqué à son devoir d'alerte en ne signalant pas les risques encourus par la souscription d'un prêt structuré ;
- elle a subi un préjudice estimé à 5 478 172,12 euros correspondant, d'une part, au montant de l'indemnité de remboursement anticipé, après déduction de la somme allouée par l'Etat au titre du fonds de soutien, et, d'autre part, aux surcoûts induits par la souscription d'un nouveau prêt pour rembourser le restant à charge d'indemnité de remboursement anticipé et par la souscription du prêt structuré litigieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2019, et un nouveau mémoire, enregistré le 20 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 72-2 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2013-127 du 29 décembre 2013 ;
- le décret n° 2014-144 du 29 avril 2014 ;
- la circulaire n° 10-020-M0 du 6 août 2010 relative au devoir d'alerte dans le secteur public local ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C... substituant Me B..., avocat de la commune de Soultz-Haut-Rhin.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Soultz-Haut-Rhin a souscrit le 19 avril 2011 auprès de la caisse française de financement local, filiale de Dexia Crédit Local, un contrat d'emprunt à taux structuré dont la deuxième phase de remboursement comprenait l'application d'un taux fixe de 4,14 % couplé à l'application d'un taux de variation de 50 % indexé sur la parité d'échange entre l'euro et le franc suisse. A la suite du décrochage en 2015 de l'euro vis-à-vis du franc suisse, le coût du prêt a fortement augmenté, fragilisant de manière importante la situation financière de la commune. Elle a alors sollicité une aide au titre du fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risque institué par l'article 92 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014. Par une décision du 21 octobre 2015, le service à compétence nationale en charge de la gestion du fonds de soutien a informé la commune qu'une aide maximale de 3 704 201,58 euros lui serait attribuée, représentant 60,37 % du montant de l'indemnité de remboursement anticipé induite par le refinancement du prêt structuré. Par une convention du 15 mars 2016 conclue avec le préfet du Haut-Rhin, la commune de Soultz-Haut-Rhin a accepté l'aide allouée au titre du fonds de soutien. Par un courrier du 21 décembre 2015, elle a sollicité auprès du ministre des finances et des comptes publics le versement d'une indemnité complémentaire tendant à une prise en charge intégrale de l'indemnité de remboursement anticipé ainsi que des surcoûts induits par le prêt structuré et son refinancement. Par une décision du 22 janvier 2016, notifié à la commune de Soultz-Haut-Rhin le 27 janvier 2016, le ministre des finances et des comptes publics a refusé de faire droit à sa demande au motif que l'effort de solidarité financière consenti était déjà important. La commune a ainsi demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser, en réparation de ses préjudices, la somme de 5 478 172,12 euros correspondant d'une part, au montant de l'indemnité de remboursement anticipé après déduction faite du montant alloué par l'Etat au titre du fonds de soutien, et d'autre part, aux surcoûts induits par la souscription d'un nouveau prêt pour rembourser le restant à charge d'indemnité de remboursement anticipé et par la souscription du prêt structuré litigieux. La commune de Soultz-Haut-Rhin relève appel du jugement n° 1715914/2-1 du 19 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. En premier lieu, la commune de Soultz-Haut-Rhin soutient que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant de prévenir, par l'édiction d'une règlementation adaptée, les risques induits par la souscription par les collectivités territoriales de contrats de prêt structurés et que cette carence fautive méconnait ainsi le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales telle que garantie par l'article 72-2 de la Constitution dès lors qu'elle implique une dégradation importante de la situation financière des collectivités territoriales.
3. Toutefois, d'une part, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que l'Etat aurait été tenu à l'égard des collectivités territoriales, lesquelles s'administrent librement en vertu de l'article 72 de la Constitution, à une obligation de prévention des risques liés à la souscription de tels contrats, comme l'ont à bon droit rappelé les premiers juges, tandis qu'il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que les dispositions ayant pour effet de restreindre les ressources propres des collectivités territoriales jusqu'à entraver leur libre administration sont contraires au principe constitutionnel d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales. Par suite, et en tout état de cause, la commune de Soultz-Haut-Rhin n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait dû édicter une règlementation visant à prévenir les risques induits par la souscription par les collectivités territoriales de contrats de prêt structurés. D'autre part et en tout état de cause, il résulte de l'instruction que l'Etat a organisé dès 2008 une concertation entre les représentants d'associations d'élus locaux et les principaux établissements bancaires actifs dans le secteur qui a conduit à la conclusion en 2009 d'une charte de bonne conduite, dite " Charte Gissler ", permettant une classification des prêts proposés aux collectivités territoriales selon les risques que présentent la structure et l'indice sous-jacent servant au calcul de la formule du taux prévu au contrat. En outre, une circulaire NOR IOCB1015077C conjointe des ministres chargés de l'économie, de l'intérieur et du budget, relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, a été édictée le 25 juin 2010 afin d'appeler l'attention sur les risques inhérents à la gestion active de la dette par les collectivités territoriales et notamment ceux induits par le recours à des produits financiers structurés ; une annexe (annexe n° 3) spécifiquement dédiée à l'identification des prêts structurés était jointe à cette circulaire. Si, à cet égard, la commune de Soultz-Haut-Rhin fait valoir que les informations données par cette circulaire étaient tardives dès lors que l'emprunt en litige qu'elle a souscrit le 19 avril 2011 ne visait qu'à refinancer un emprunt déjà structuré conclu en 2008, il lui appartenait alors, à la lumière des conseils de prudence quant aux risques inhérents au recours à des produits financiers structurés contenus dans cette circulaire, de refinancer ce précédent emprunt par un emprunt à taux fixe, ou moins à risque que celui qu'elle a souscrit. Par suite, la commune de Soultz-Haut-Rhin n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une carence fautive de nature à engager sa responsabilité.
4. En deuxième lieu, la commune de Soultz-Haut-Rhin soutient que la responsabilité de l'Etat pour faute est engagée dès lors que le législateur n'a pas voté de textes législatifs visant à prémunir les collectivités contre les risques induits par la souscription de prêts structuré. Comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, cette question, qui concerne l'opportunité de l'adoption d'un texte de loi et se rattache ainsi aux rapports du pouvoir exécutif avec le Parlement, n'est pas susceptible, par sa nature, d'être portée devant la juridiction administrative.
5. En troisième lieu, si la commune de Soultz-Haut-Rhin soutient que le préfet du Haut-Rhin n'a pas signalé à l'occasion du contrôle de légalité de l'arrêté de refinancement du prêt structuré les risques financiers encourus par la commune au moyen d'une lettre d'observations, il ne résulte pas de l'instruction que l'arrêté du 25 mars 2011 par lequel le maire de la commune a souscrit le prêt en cause, transmis par la commune de Soultz-Haut-Rhin au préfet du Haut-Rhin au titre du contrôle de légalité, aurait été entaché d'illégalité, quand bien même cet arrêté mentionnait la circonstance que le prêt souscrit était hors charte, la souscription d'un prêt hors charte étant déconseillée mais non illégale et qu'il aurait ainsi appartenu au préfet du Haut-Rhin d'intervenir, cet arrêté n'étant, par ailleurs, pas entaché d'illégalité quant à la compétence du maire de la commune pour souscrire le prêt en cause. Par suite, la commune de Soultz-Haut-Rhin n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée du fait d'une faute dans l'exercice du contrôle de légalité.
6. En quatrième lieu, aux termes de la circulaire n° 10-020-M0 du 6 août 2010 relative au devoir d'alerte dans le secteur public local : " Les faits de nature à déclencher une alerte sont ceux qui sont susceptibles de constituer soit une infraction (c'est-à-dire une violation de la loi) soit une dérive de gestion des organismes publics ", " La dérive de gestion s'apprécie au regard de la règlementation en vigueur (...) Le devoir d'alerte doit ainsi s'exercer en présence de cas graves et manifestes d'irrégularités de gestion non sanctionnées pénalement (...), c'est-à-dire la faute de gestion et la gestion de fait ". Si la commune de Soultz-Haut-Rhin soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée pour carence du comptable public dans l'exercice de son devoir d'alerte dès lors que la conclusion d'un prêt structuré était constitutive d'une dérive de gestion, il ne résulte pas de l'instruction que la conclusion d'un tel contrat présentait des irrégularités en matière budgétaire et comptable qui auraient justifié le signalement du comptable public aux juridictions financières. Par suite, la commune de Soultz-Haut-Rhin n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée pour carence fautive du comptable public dans l'exercice de son devoir d'alerte.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Soultz-Haut-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 19 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fins d'indemnisation.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Soultz-Haut-Rhin demande au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Soultz-Haut-Rhin est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Soultz-Haut-Rhin et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 27 février 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. A..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mai 2020.
Le président de la 8ème chambre,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01351