Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 février 2018, par lequel le préfet de police lui a retiré sa carte de résident valable du 15 mai 2009 au 14 mai 2019.
Par un jugement n° 1805554 du 4 avril 2019, le Tribunal administratif de Paris a d'une part, annulé cet arrêté, d'autre part, a enjoint au préfet de police de restituer à Mme A... sa carte de résident dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et, enfin, a mis à la charge de l'Etat, la somme de 1 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2019, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1805554 du 4 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- la décision de retrait de la carte de résident n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à la gravité des faits sanctionnés et dès lors que ce retrait n'a pas été assorti d'une obligation de quitter le territoire français et que son droit au séjour a été maintenu par un récépissé de demande de titre de séjour.
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2020, Mme A..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me B..., avocate de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., ressortissante ivoirienne, née le 6 avril 1978, entrée en France en 2000, a été admise au séjour en 2006 en qualité de parent d'enfant français et a bénéficié d'une carte de résident de dix ans, valable du 15 mai 2009 au 14 mai 2019. Par un arrêté du 5 février 2018, le préfet de police, sur le fondement des dispositions de l'article L. 314-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a procédé au retrait de la carte de résident de Mme A... à raison des faits de travail dissimulé et de travail illégal, tout en l'invitant par les motifs de sa décision à quitter le territoire français ou à solliciter son admission au séjour. Le préfet de police relève appel du jugement du 4 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 314-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de résident peut être retirée à tout employeur, titulaire de cette carte, ayant occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du code du travail. (...). ". Aux termes des dispositions de l'article L. 8251-1 du nouveau code du travail, correspondant à l'article L. 341-6 de l'ancien code : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En premier lieu, la sanction prévue à l'article L. 314-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a pour effet, sauf lorsqu'elle s'accompagne de la délivrance d'un autre titre de séjour, de mettre fin au droit au séjour de l'étranger concerné. Par suite, la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut être utilement invoquée à l'appui d'un recours dirigé contre une telle sanction. A cet égard, d'une part, si le préfet de police fait valoir que la décision de retrait n'a pas été assortie d'une obligation de quitter le territoire français et que le droit au séjour de Mme A... a été maintenu par un récépissé de demande de titre de séjour, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la décision litigieuse, que si Mme A... n'a pas fait l'objet d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français, cette décision a néanmoins eu pour effet de la priver de tout droit au séjour, la décision attaquée l'ayant au demeurant expressément invitée à en tirer les conséquences en quittant le territoire français ou en sollicitant son admission au séjour. Et, d'autre part, si le préfet de police soutient que Mme A... a vu son droit au séjour maintenu par la délivrance d'un récépissé de demande de titre de séjour, ce récépissé n'a en tout état de cause été délivré que postérieurement à la décision attaquée.
4. En second lieu, la mesure de retrait de la carte de résident prévue par les dispositions précitées revêt le caractère d'une sanction dont la contestation conduit le juge à vérifier la proportionnalité à la gravité des faits reprochés. Les délits d'exécution de travail dissimulé et d'emploi d'étrangers sans titre de travail sanctionnés par la décision administrative attaquée, constatés en 2017 dans le salon de coiffure dont elle était gérante et n'ont donné lieu, au plan pénal, qu'à un emprisonnement délictuel de quatre mois et deux amendes de 500 euros. A la date de la décision contestée, l'intéressée résidait régulièrement en France depuis l'année 2006, est mère de quatre enfants, tous nés en France et âgés de cinq mois à dix-sept ans, dont trois sont scolarisés et deux sont de nationalité française. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de l'intéressée en France, et en dépit de l'atteinte portée à l'ordre public, l'application de la sanction prévue à l'article L. 314-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile présentait des conséquences disproportionnées par rapport à la gravité des faits qui en fondaient l'application.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 février 2018. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme C... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de police et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 10 mars 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 avril 2020.
Le président de la 7éme chambre,
C. JARDIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01858