Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris, par deux requêtes distinctes, d'une part, d'annuler la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO) a prononcé son changement d'affectation et d'enjoindre à l'administration hospitalière de le réintégrer dans ses fonctions, d'autre part, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler les décisions par lesquelles Mme B... et Mme H... ont été nommées successivement au poste de responsable d'encadrement de la résidence Saint-Louis, d'ordonner une enquête administrative et enfin de condamner le CHNO à lui verser une somme de 30 euros par jour en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis.
Par un jugement n°s 1602780-1702922/2-2 du 27 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris, après avoir donné acte du désistement des conclusions de la requête n° 1702922 de
M. D... tendant à l'annulation de la décision du 15 septembre 2016 par laquelle Mme B... a été nommée responsable d'encadrement de la résidence Saint-Louis, a rejeté la requête n° 1602780 et le surplus de la requête n° 1702922.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 mai 2018, le 24 octobre et le 6 décembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602780-1702922/2-2 du 27 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision du 10 décembre 2015 et d'injonction ;
2°) d'annuler la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO) a procédé à sa mutation ;
3°) d'enjoindre au CHNO de l'affecter sur un poste régulièrement vacant, dans les trois mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du CHNO le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir statué au-delà des conclusions et moyens de la requête dont il était saisi, et en requalifiant la décision attaquée sans demande de substitution de motifs présentée par le défendeur ;
- la décision du 10 décembre 2015 est entachée d'un vice de procédure, la commission administrative paritaire n'ayant pas été valablement informée de sa situation avant de se prononcer ;
- cette décision constitue une sanction déguisée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 décembre 2018, le 21 novembre et le 6 décembre 2019, le centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions aux fins d'injonction sont irrecevables car présentées au-delà du délai d'appel ;
- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire il y a lieu de substituer au motif initial de la décision attaquée le motif tiré de l'intérêt du service justifiant un changement d'affectation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, modifiée,
- le décret n° 2011-660 du 14 juin 2011 ;
- le décret n° 2003-655 du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Stoltz - Valette, rapporteur public,
- les observations de Me C..., avocat de M. D..., et de M. D...,
- les observations de Me G..., avocate du CHNO.
Une note en délibéré, enregistrée le 28 février 2020, a été présentée par Me F... pour le CHNO.
Une note en délibéré, enregistrée le 6 mars 2020, a été présentée par Me C... pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., adjoint des cadres hospitaliers titulaire, exerçant depuis octobre 2007 les fonctions de responsable et de régisseur de la résidence Saint-Louis, relevant du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO), a été, par une décision du directeur du CHNO du 10 décembre 2015, faisant suite à deux précédentes décisions du 31 octobre 2013 et du 5 décembre 2014 annulées par le Tribunal administratif de Paris, affecté sur un autre poste d'adjoint des cadres hospitaliers, à la suite d'un conflit l'opposant à un résident. Par deux requêtes distinctes M. D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler cette décision, ainsi que les décisions de nomination des deux personnes lui ayant succédé dans ses fonctions de responsable de la résidence Saint-Louis, d'enjoindre au centre hospitalier des Quinze-Vingts de le réintégrer dans ses précédentes fonctions, de faire procéder à une enquête et enfin de condamner le CHNO à l'indemniser des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de cette décision. Il fait appel du jugement du Tribunal administratif de Paris du 27 mars 2018 ayant joint ces requêtes en tant seulement que, après lui avoir donné acte du désistement de ses conclusions dirigées contre la nomination de Mme B..., il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 10 décembre 2015 ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort de l'article premier de la décision du 10 décembre 2015, qui ne comporte aucune motivation, que le changement d'affectation de M. D... a été prononcé uniquement pour assurer sa protection fonctionnelle. En considérant que cette décision ne pouvait être regardée comme fondée sur l'intention de protéger M. D..., mais qu'elle constituait en réalité une mutation d'office dans l'intérêt du service, et qu'elle n'était, par suite, pas entachée de détournement de pouvoir, les premiers juges ont procédé, d'office, à une substitution de motifs qui ne leur était pas demandée par le CHNO. M. D... est dès lors fondé à soutenir que le jugement est, pour ce motif, entaché d'irrégularité, et à en demander l'annulation en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 10 décembre 2015 ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction.
3. Il y a lieu en conséquence d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué et de statuer par voie d'évocation sur ces conclusions de la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 10 décembre 2015 :
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des déclarations de M. D... à sa hiérarchie lors des entretiens tenus en octobre et novembre 2013, que l'intéressé n'a pas sollicité l'assistance du CHNO dans la procédure pénale l'opposant à la personne avec laquelle il était en conflit, ni demandé à occuper un autre poste au sein de l'établissement. Par suite, la décision attaquée ne pouvait légalement être fondée sur la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle au bénéfice de M. D....
5. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour soutenir que la décision attaquée est légale le CHNO invoque, en appel, un autre motif tiré de ce que le changement d'affectation de M. D... était rendu nécessaire pour l'intérêt du service compte tenu du conflit l'opposant à une personne hébergée dans la résidence Saint-Louis.
7. En premier lieu il ressort des pièces du dossier qu'un conflit d'ordre privé est survenu en octobre 2013 entre M. D... et une personne mal voyante hébergée au sein de la résidence Saint-Louis, et que ce conflit a engendré des tensions non seulement entre M. D..., ses collègues et les autres résidents, entre les résidents, mais aussi entre les personnels de la résidence, sollicités pour prendre parti dans ce conflit. M. D... ne conteste pas sérieusement l'impossibilité, compte tenu de son état de santé, d'exclure de la résidence la personne avec laquelle il était en conflit, laquelle n'a quitté la résidence qu'au mois de janvier 2017, ni le fait que, comme le relèvent plusieurs attestations, les tensions au sein de la résidence se sont apaisées après qu'il a rejoint sa nouvelle affectation.
8. Il résulte de ce qui précède que le CHNO, qui disposait du pouvoir de procéder d'office à un changement d'affectation au sein de l'établissement dans l'intérêt du service après consultation de la commission administrative paritaire compétente, aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur le motif tiré de l'intérêt du service.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 49 du décret n° 2003-655 du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière : " Le secrétaire établit un procès-verbal de chaque séance, conformément à un modèle fixé par arrêté des ministres chargés de la santé et des affaires sociales. / Il est signé par le président, le secrétaire et le secrétaire adjoint et transmis dans le délai d'un mois aux membres de la commission. ". Ni ces dispositions, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe, ne font obligation de communiquer le procès-verbal d'une commission administrative paritaire à d'autres personnes qu'aux membres de ladite commission. Par suite, M. D... ne peut en tout état de cause utilement invoquer le défaut de communication du procès-verbal de la réunion de la commission administrative paritaire du 3 décembre 2015.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 65 du décret du 18 juillet 2003 : " (...) Le président de la commission veille à ce que les membres des commissions administratives paritaires reçoivent communication de toutes pièces et documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission deux semaines au moins avant la date de la réunion. / Dans un délai de dix jours précédant la réunion, ils ont accès, sur leur demande, aux dossiers individuels des agents dont la situation doit être examinée en commission. (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier que les membres de la commission administrative paritaire locale qui s'est réunie le 3 décembre 2015 pour réexaminer la situation de M. D... ont été mis à même de consulter le dossier de l'intéressé et ont reçu, dans le délai de deux semaines qui précède, communication du texte intégral des jugements du Tribunal administratif de Paris des 15 septembre 2014 et 1er juin 2015 ayant annulé des décisions précédemment prises sur la situation de M. D..., ainsi que du rapport établi à la suite des entretiens de M. D... avec sa hiérarchie en octobre et novembre 2013. En outre, M. D... a communiqué aux membres de la commission, le 30 novembre 2015, vingt et un documents complémentaires sur sa situation. Dans ces conditions, cette commission ayant pu émettre un avis éclairé sur la situation de M. D... et l'intérêt de son changement d'affectation, même deux ans après les faits ayant justifié le premier changement d'affectation, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure et que la substitution de motif le prive d'une garantie procédurale.
12. En quatrième lieu un changement d'affectation revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné, et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
13. En l'espèce, ni les termes de la décision attaquée, qui ne formulent aucun grief à l'encontre de M. D..., lequel a toujours bénéficié d'une appréciation favorable et a conservé le bénéfice d'un logement de fonction, ni aucun autre élément du dossier n'établissent que la décision de changement d'affectation, réitérée à la suite des annulations pour vice de procédure prononcées par le Tribunal administratif de Paris compte tenu du maintien dans la résidence de la personne avec laquelle il était en conflit, révèle une intention de sanctionner M. D.... Par ailleurs, si la nouvelle affectation de M. D... ne comporte plus comme la précédente des fonctions d'encadrement, pour autant ses nouvelles fonctions de chargé du suivi du plan des équipements médicaux et des marchés de maintenance de ces équipements, et d'inventaire du patrimoine immobilier de l'établissement, telles que mentionnées dans la fiche de ce poste, sont conformes aux attributions statutaires des membres du corps de catégorie B des adjoints des cadres hospitaliers tels que définies à l'article 9 du décret du 14 juin 2011 portant statuts particuliers des personnels administratifs de la catégorie B de la fonction publique hospitalière, et n'ont par ailleurs entraîné pour M. D... ni changement de localisation géographique, ni diminution de son traitement au-delà de l'indemnité afférente à l'activité de régisseur, qu'il n'exerçait plus et dont il ne supportait plus les risques. Dans ces conditions M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée constituerait à son égard une sanction déguisée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO) a procédé à son changement d'affectation. Par voie de conséquence ses conclusions aux fins d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHNO, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... le versement de la somme que le CHNO demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n°s 1602780-1702922/2-2 du 27 mars 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de la décision du 10 décembre 2015 prononçant son changement d'affectation et ses conclusions aux fins d'injonction.
Article 2 : Les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de la décision du 10 décembre 2015, ses conclusions aux fins d'injonction et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts.
Délibéré après l'audience du 25 février 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme A..., président assesseur,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 10 mars 2020.
Le rapporteur,
P. A...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01814