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03/03/2020 | FRANCE | N°19PA02285

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 03 mars 2020, 19PA02285


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Clinique Les Fontaines a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 mars 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme F... ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique par la ministre du travail, d'enjoindre à l'inspecteur du travail de réexaminer sa demande et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un j

ugement n° 1709196 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a rejet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Clinique Les Fontaines a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 mars 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme F... ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique par la ministre du travail, d'enjoindre à l'inspecteur du travail de réexaminer sa demande et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709196 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 15 et 19 juillet 2019, un mémoire en réplique enregistré le 23 septembre 2019, la société Clinique les Fontaines, représentée par Me C..., doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1709196 du 28 juin 2019 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 27 mars 2017 de l'inspecteur du travail portant rejet de sa demande d'autorisation de licenciement ainsi que la décision expresse de rejet de son recours hiérarchique du 23 janvier 2018 par la ministre du travail ;

3°) d'enjoindre à l'inspectrice du travail de réexaminer sa demande et d'autoriser le licenciement de Mme F... pour motif économique ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Clinique les Fontaines soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé faute de mentionner les dispositions légales applicables en matière de reclassement ;

- la réalité du motif économique du licenciement de Mme F... est établie, la clinique au sein de laquelle la salariée a exercé la profession de sage-femme ayant fermé à la suite d'une décision de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France ; son poste a en conséquence été supprimé ;

- elle établit avoir souscrit à son obligation de reclassement, dans les conditions définies par l'accord majoritaire définissant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), par une recherche personnalisée ; la profession de sage-femme étant réglementée, elle a en effet proposé à la salariée un emploi d'infirmière diplômée d'Etat, le plus comparable à celui de sage-femme, au sein de l'établissement de Fontainebleau ou d'autres établissements du groupe ; elle démontre également qu'elle était en mesure de proposer à Mme F... un emploi répondant en tous points aux exigences de l'article L. 1233-4 du code du travail, l'obligation de rechercher parmi les emplois disponibles de qualification inférieure ne valant que pour autant que la société se trouve dans l'impossibilité de proposer un emploi identique ou équivalent ; par ailleurs, Mme F... ne pouvait occuper un emploi de cadre de santé, de niveau supérieur à celui de sage-femme, qui relève de la catégorie des techniciens et agents de maîtrise, la salariée n'ayant pas suivi une formation spécifique prévue par un arrêté du 18 août 1998 et n'étant pas titulaire du diplôme d'Etat de cadre de santé ou de docteur en pharmacie ; elle ignorait que Mme F..., à laquelle un questionnaire d'actualisation des compétences a été remis, avait suivi une formation en comptabilité ; l'emploi de comptable relève de la catégorie des employés alors que ceux de sage-femme et d'infirmière relèvent de la catégorie des techniciens et agents de maîtrise, n'est ni équivalent, ni comparable, est notamment moins rémunéré ; en tout état de cause, au vu des éléments communiqués par Mme F... concernant ses qualifications professionnelles, elle a de nouveau cherché une solution de reclassement et la salariée a refusé d'occuper le poste de sage-femme devenu disponible au sein de la clinique de Tournan-en-Brie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que, par décision expresse du 23 janvier 2018, elle a rejeté le recours hiérarchique formé par la société requérante contre la décision de l'inspecteur du travail et que le recours formé par la société Clinique les Fontaines doit être regardé comme également dirigé contre cette décision ; que la société Clinique les Fontaines n'a pas respecté l'obligation de reclassement à laquelle elle est tenue en ne proposant à Mme F... que des emplois d'infirmière sans chercher à lui proposer un poste de cadre de santé et n'a pas effectué une recherche suffisamment précise et personnalisée en se contentant de demander aux entreprises du groupe la liste des emplois disponibles " compatibles " avec les qualifications professionnelles des cinq sages-femmes et dix auxiliaires de puériculture, sans mention de leur noms, compétences qualifications et expériences respectives, en sus du recensement effectué dans le cadre du PSE ; qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération les recherches de reclassement effectuées après la décision de l'inspecteur du travail dans la mesure où il appartient à l'autorité ministérielle d'apprécier la légalité de la décision contestée à la date à laquelle l'inspecteur du travail s'est prononcé.

Par un mémoire, enregistré le 4 novembre 2019, Mme F..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la société Clinique les Fontaines.

Elle fait valoir que :

- la demande d'autorisation de licenciement ne repose sur aucun motif économique, procède de la volonté de l'employeur d'organiser la fermeture du service de maternité à l'issue d'une opération de fusion-absorption, le groupe auquel appartient la société ne rencontrant ni difficultés économiques, ni problèmes de compétitivité économique ou n'établissant pas la nécessité de prendre des mesures de sauvegarde ; la décision de l'ARS invoquée est consécutive à la légèreté blâmable de l'employeur ; la fermeture du service de maternité, soit une cessation partielle d'activité, ne constitue pas en soi un motif de licenciement ;

- la société Clinique les Fontaines n'a pas souscrit à son obligation de reclassement ; en droit, ce n'est que si elle annule la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail que la ministre peut prendre en considération une recherche de poste effectuée postérieurement à la décision annulée ; en l'espèce, l'inspectrice du travail, au vu des circonstances de l'espèce, ne pouvait que refuser de délivrer l'autorisation demandée ; en tout état de cause, les démarches effectuées postérieurement à sa décision ne sont pas suffisantes, faute pour l'employeur d'avoir précisé ses compétences administratives.

La clôture de l'instruction a été fixée au 20 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... a été recrutée le 1er décembre 2001, en qualité de sage-femme, par la société polyclinique de la Forêt et affectée à la clinique de Fontainebleau. La société Clinique les Fontaines, qui appartient au groupe Saint-Gatien, s'est substituée en qualité d'employeur à la société polyclinique de la Forêt, en août 2016. Mme F... a été désignée représentante d'une section syndicale. Elle a fait l'objet d'une procédure de licenciement pour motif économique dans le cadre de la cessation de l'activité du service de gynécologie-obstétrique au sein duquel elle exerçait. Un accord majoritaire intervenu le 3 novembre 2016 mettant en place un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été validé par l'administration le 29 suivant. En l'absence de reclassement de la salariée, son employeur a adressé à l'inspecteur du travail une demande d'autorisation de licenciement, rejetée le 27 mars 2017 pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement. Le recours hiérarchique formé par la société Clinique les Fontaines le 23 mai 2017 contre cette décision a d'abord été implicitement rejeté 24 septembre 2017, puis expressément, le 23 janvier 2018. Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de la société Clinique les Fontaines tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et de la décision implicite de rejet de la ministre du travail. Par la requête susvisée, la société Clinique les Fontaines demande l'annulation de ce jugement et doit être regardée comme demandant l'annulation de la décision l'inspectrice du travail du 22 mars 2017 et de la décision du 22 septembre 2017 rejetant son recours hiérarchique, qui s'est substituée à la décision implicite née le 11 août 2017.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Melun a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par la requérante. En particulier, le tribunal administratif n'a pas omis de répondre au moyen tiré du respect de l'obligation de reclassement par l'employeur, quand bien même n'aurait-il pas expressément cité le texte applicable. Par suite, la société Clinique les Fontaines n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

4. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à cette obligation, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement de la salariée, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Au titre de son obligation de reclassement, l'employeur doit également rechercher les possibilités de reclasser la salariée aux meilleures conditions possibles dans un emploi équivalent compte tenu des postes disponibles, tant au regard de la situation professionnelle de cette dernière de sa qualification, de sa rémunération et de ses responsabilités, de la nature de son emploi que des conditions d'exercice de ses fonctions représentatives.

6. Contrairement à ce que soutient la société Clinique les Fontaines, l'offre de reclassement doit être faite avant la date à laquelle l'inspecteur du travail statue sur la demande de l'employeur. En cas de recours hiérarchique, ce n'est que si elle annule une décision créatrice de droit de l'inspecteur du travail, illégale, que la ministre est compétente pour examiner la demande d'autorisation de licenciement sur laquelle elle doit se prononcer compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle elle prend sa propre décision. A défaut, elle ne tient compte que des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle s'est prononcé l'inspecteur du travail. En l'espèce, la ministre du travail n'ayant pas annulé la décision de l'inspecteur du travail, la société Clinique les Fontaines ne saurait se prévaloir, pour contester les décisions en cause, d'une recherche de reclassement intervenue postérieurement au 22 mars 2017.

7. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les postes proposés à Mme F... l'ont été après une recherche effectuée par la société Clinique les Fontaines auprès des établissements du groupe. Cette consultation, qui concernait l'ensemble des salariées dont le licenciement était envisagé, qu'elles soient sages-femmes ou aides-puéricultrices, ne mentionnait toutefois que leur emploi, était dépourvue de mentions relatives aux capacités et aux profils professionnels de chacune des intéressées. A l'issue d'une telle recherche, les postes proposés à Mme F... ont été uniquement des postes d'infirmières qui ne sont pas équivalents à ceux de sage-femme, et aucun autre poste de niveau inférieur, notamment d'auxiliaire de puériculture, ne lui a été proposé. Enfin, faute pour l'employeur d'avoir mis à même Mme F... de faire état de sa formation en comptabilité, le poste administratif pourvu par un recrutement externe en cours de procédure de licenciement, ne lui a pas été proposé. La salariée étant libre de refuser les postes proposés et l'employeur n'étant pas juge de la pertinence d'un refus pour lui opposer l'impossibilité de la reclasser, faute pour la société Clinique les Fontaines d'établir qu'elle a fait un inventaire exhaustif et personnalisé de tous les postes qu'elle pouvait proposer, il résulte de ce qui précède que l'appelante est défaillante à rapporter la preuve qui lui incombe et que c'est ainsi sans commettre d'erreur d'appréciation que l'inspecteur du travail, puis la ministre du travail, ont considéré qu'en ne procédant à aucune recherche de solution de reclassement individualisée et en limitant sa recherche aux seuls postes d'infirmières qu'elle estimait être les plus proches de l'emploi de sage-femme exercé par Mme F..., la société Clinique les Fontaines a méconnu son obligation de reclassement.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Clinique les Fontaines n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation des décisions litigieuses, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Clinique les Fontaines une somme de 1 500 euros à verser à Mme F... au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Clinique les Fontaines est rejetée.

Article 2 : La société Clinique les Fontaines versera à Mme F... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Clinique les Fontaines, à la ministre du travail et à Mme E... F....

Délibéré après l'audience du 6 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- Mme A..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 mars 2020.

Le rapporteur,

M.D. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA02285


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02285
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : BARTHELEMY AVOCATS CLERMONT-FERRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-03-03;19pa02285 ?
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