Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 11 septembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1807425/3-2 du 19 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 juin 2019 et 20 novembre 2019,
Mme F..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1807425/3-2 du 19 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 11 septembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement ainsi que la décision du 14 mars 2018 par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de la société immobilière 3F la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme F... soutient que :
- la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement n'est pas suffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'appréciation dès lors que, par un avenant du 23 mars 2007 à son contrat de travail, elle est devenue à compter du 1er mars précédent secrétaire du comité d'entreprise avec la qualification de " secrétaire de service 2ème échelon " ; l'inspectrice du travail ne pouvait en conséquence considérer qu'elle était en absence injustifiée sur une qualification qui n'était pas la sienne ; la convention collective invoquée par l'employeur ne lui est pas opposable ; l'employeur ne peut lui opposer une modification unilatérale de son contrat de travail, et, en tout état de cause, de ses conditions de travail, en conséquence de quoi, son refus de réintégrer l'entreprise dans les conditions demandées était légitime ;
- le licenciement dont elle a fait l'objet est en lien avec son mandat syndical.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2019, la société immobilière 3F, représentée par Mes Pourtier et Jammet, conclut au rejet de la requête et à ce que le paiement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société immobilière 3F fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 16 octobre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
La ministre du travail s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par ordonnance du 14 novembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. Le 4 juillet 1983, Mme F... a été recrutée par la société immobilière 3F en qualité de secrétaire. En 1998, alors qu'elle était assistante de projet, elle a été élue secrétaire du comité d'établissement et mise à disposition de ce dernier par son employeur, à temps plein. L'intéressée a démissionné de ses fonctions le 14 octobre 2014, puis a été arrêtée pour maladie à compter du
16 suivant. Le 11 février 2016, elle a été désignée déléguée syndicale d'établissement. Le médecin du travail l'ayant déclarée apte à la reprise du travail le 16 mai 2017, Mme F... a refusé d'occuper les postes proposés par son employeur. Par courriel du 8 juin 2017 et lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2017, la société immobilière 3F lui a formellement demandé de réintégrer la société au poste d'assistante construction au sein de la direction maîtrise d'ouvrage. Faute pour l'intéressée d'avoir rejoint ce poste le 27 juin 2017, son employeur l'a considérée comme en absence injustifiée et a saisi le 4 août 2017 l'inspectrice du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour absence injustifiée depuis le 21 juin 2017. L'inspectrice du travail a fait droit à cette demande le 11 septembre 2017 et Mme F... a été licenciée le 26 suivant. Le recours hiérarchique formé par cette dernière, dont la ministre a accusé réception le 12 décembre 2017, est demeuré sans réponse. Mme F... fait appel du jugement du tribunal administratif de Paris portant rejet de son recours contre les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre du travail.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Mme F... se borne à reprendre en appel le moyen développé dans sa demande de première instance, tiré de ce que la décision de l'inspectrice du travail du 11 septembre 2017 ne serait pas suffisamment motivée sans toutefois présenter aucun élément de fait ou de droit nouveau. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter ce moyen.
En ce qui concerne la légalité interne :
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
4. D'une part, lorsqu'à l'issue de la période de suspension de son contrat de travail pour une maladie ou un accident d'origine non professionnelle, le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il appartient à l'employeur de le réintégrer sur son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. D'autre part, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu soit des obligations souscrites dans le contrat de travail soit de son pouvoir de direction constitue, en principe, une faute. Confronté à un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ce changement doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de cette faute. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.
5. En l'espèce, ainsi qu'il a été rappelé, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de son élection en tant que membre titulaire du comité d'établissement Ile-de-France de la société Immobilière 3F, la requérante a été mise à disposition dudit comité pour y occuper les fonctions de secrétaire à compter de 1998. Par avenant à son contrat de travail du 23 mars 2007, elle a été promue à la qualification de " secrétaire de service 2ème échelon ", selon l'appellation de la grille de classification alors en vigueur. Mme F... a démissionné de ses fonctions au sein du comité d'établissement le 14 octobre 2014. Le 16 octobre suivant, elle a été placée en congé de maladie jusqu'au 14 mai 2017. A l'issue de ce congé, le médecin du travail l'a déclarée apte à reprendre le travail. Son employeur lui a alors proposé une affectation correspondant à la qualification de secrétaire de service 2ème échelon dans la nouvelle grille de classification, soit un poste classé G3 (chargé d'activité qualifié) de niveau " maîtrise " d'assistante de construction au sein de la direction de l'architecture et du développement qu'elle a refusé, puis un poste de chargée d'accession à la propriété, poste de niveau de responsabilité supérieure classé G4, qu'elle a également décliné. La société Immobilière 3F lui a fait grief d'avoir, sans motif légitime, refusé les deux postes qui lui ont été proposés et de s'être ainsi trouvée en situation d'absence injustifiée à partir du 21 juin 2017, date à laquelle elle a été mise en demeure d'occuper le poste d'assistante construction au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage.
6. En premier lieu, Mme F..., qui au demeurant ne précise pas quel poste de la société elle aurait été en droit de réintégrer, soutient que celui d'assistante de construction ne correspond pas au niveau de ses responsabilités en tant que secrétaire du comité d'établissement. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, recrutée en qualité de sténodactylographe, elle est devenue secrétaire de service 3ème échelon et effectuait des tâches d'assistante de projet jusqu'en 1998. Suite à son élection comme secrétaire du comité d'établissement, elle a été détachée auprès de ce dernier à temps plein dans le cadre d'un accord interne tacite entre les organisations syndicales et son employeur. Si l'avenant à son contrat de travail du 23 mars 2007 stipulait qu'elle était " employée au poste de secrétaire du comité d'entreprise sous la qualification de secrétaire de service 2ème échelon ", pour autant, il est constant qu'il ne stipulait pas quelles seraient les conditions de sa réintégration dans la société. Il en résulte que c'est en raison de ses seules fonctions de secrétaire du comité d'établissement, qui ne sont pas référencées et n'ont pas d'équivalent dans la société comme Mme F... le reconnait elle-même dans le courrier adressé à son employeur le 14 mai 2014, que celle-ci s'est vue reconnaitre la qualification de " secrétaire de service 2ème échelon ". Dans ces conditions, et quand bien même son employeur n'aurait-il pas donné suite à sa contestation de la nouvelle qualification de ses fonctions à l'issue du processus de transposition au sein de la convention collective nationale du personnel des sociétés anonymes et fondation d'HLM, la requérante ne saurait à bon droit se prévaloir des termes de l'avenant du 23 mars 2007 dont elle ne tirait aucun droit s'agissant de sa réintégration dans l'entreprise. A défaut de stipulations expresses dudit avenant, la fin de ses fonctions entrainait ainsi nécessairement la perte de la qualification afférente et le retour à ses précédentes fonctions. Par ailleurs, ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il n'incombait pas à l'employeur, dans le cadre de son obligation de réintégration, de prendre en compte les responsabilités exercées par la requérante auprès d'une instance représentative du personnel, dont la seule énumération ne suffit pas à établir la nature. Par suite, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait commis une erreur de fait.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les nouveaux postes proposés à Mme F... à l'issue de son congé de maladie énoncés au point 5 comportaient à tout le moins les mêmes responsabilités, charges de travail et rémunérations que celles du poste qu'elle occupait précédemment, soit un poste de niveau maîtrise classé G3. Ainsi, son contrat de travail n'a fait l'objet d'aucune modification substantielle. Dans ces conditions, le refus par Mme F... d'accepter de se présenter sur les lieux de travail qui lui ont été désignés par son employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, a constitué une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, alors même qu'il n'est pas allégué que ce changement aurait porté atteinte à l'exercice du mandat dont elle était investie. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus opposé par Mme F... d'accepter le poste proposé par son employeur n'était pas fautif ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement dont Mme F... a fait l'objet, quand bien même aurait-elle entretenu des rapports conflictuels avec son employeur, a été en lien avec son mandat de déléguée syndicale.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société immobilière 3F, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme F... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 000 euros à la société immobilière 3F.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Mme F... versera la somme de 1 000 euros à la société immobilière 3F sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F..., à la ministre du travail et à la société immobilière 3F.
Délibéré après l'audience du 6 février 2020, à laquelle siégeaient :
- M. C..., premier vice-président,
- Mme A..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 mars 2020.
Le rapporteur,
M.D. A...Le président,
M. C...
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre du travail, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01968