Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... et Mme F... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris, de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser respectivement les sommes de 528 538,86 euros et de 5 000 euros en réparation des préjudices causés par une infection nosocomiale contractée par M. E... lors d'une intervention chirurgicale réalisée le 18 septembre 2012 au sein de l'hôpital européen George Pompidou.
Par un jugement n° 1710373/6-1 du 5 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à M. E... la somme de 102 724,40 euros et à Mme F... A... celle de 2 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 décembre 2018, M. E... et Mme A..., représentés par Me G..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1710373/6-1 du 5 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a limité les sommes mises à la charge de l'AP-HP au titre de l'indemnisation de leurs préjudices respectivement à 102 724,40 euros et 2 000 euros ;
2°) de porter le montant de la condamnation de l'AP-HP à la somme totale de 528 538, 86 euros en réparation du préjudice de M. E... et à la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice de Mme A... ;
3°) de mettre à la charge de l'AP-HP le versement à M. E... de la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens comprenant les frais d'expertise.
Ils soutiennent que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. E... ouvre droit à l'indemnisation des sommes de :
- 80 678,81 euros au titre des frais d'allocation tierce personne, soit 13 782,24 euros jusqu'à la date de consolidation et 66 896.57 euros postérieurement à celle-ci,
- 56 263,87 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels et de 299 286,86 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,
- 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,
- 4 589,32 euros au titre des frais d'aménagement du véhicule automobile,
- 1 200 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total,
- 8 700 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel,
- 10 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 2 000 euros au titre du préjudice esthétique,
- 14 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 5 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
et Mme A... à celle de 5 000 euros au titre de son préjudice sexuel.
La requête de M. E... et de Mme A... a été communiquée à l'AP-HP, qui n'a pas présenté de mémoire en défense, en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le
14 novembre 2019.
La clôture de l'instruction a été fixée au 31 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant M. E... et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a été opéré d'une tumeur bénigne de la 6ème côte droite dont l'ablation a été pratiquée, le 15 janvier 2010, à l'hôpital Bichat. En raison de douleurs chroniques, il a subi le
18 septembre 2012 une nouvelle intervention consistant en l'ablation de l'arc postérieur de la 7ème côte, en une reconstruction et en la pose d'une prothèse, à l'hôpital européen Georges Pompidou (HEGP). Des prélèvements réalisés le 24 novembre 2012 ont mis en évidence la présence d'un staphylocoque doré et d'un staphylococcus warnéri (blanc) au niveau du site opératoire. Une nouvelle intervention chirurgicale a alors été pratiquée, le 25 novembre 2012, afin de procéder à l'ablation du matériel posé le 18 septembre 2012. Le 7 février 2014, une dernière intervention chirurgicale a été réalisée aux fins de résection partielle de l'omoplate et de réfection de la paroi costale durant laquelle l'équipe médicale a constaté la formation d'une fausse articulation au niveau d'une fracture mal consolidée. Le patient a rejoint son domicile, le 15 février 2014. Dans l'intervalle, le 25 octobre 2013, M. E... avait saisi la Commission de Conciliation et d'Indemnisation des Accidents Médicaux des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (CCI). Celle-ci a désigné le Dr Denis, pneumologue infectiologue, en qualité d'expert. A la suite des deux rapports rendus par ce dernier, en juillet 2014 puis en juillet 2016, par deux avis des 7 octobre 2014 et
21 novembre 2016, la CCI a estimé que la réparation des préjudices subis par M. E... consécutifs à l'infection nosocomiale survenue lors de sa prise en charge par l'HEGP incombait à l'AP-HP. M. E... et sa compagne, Mme A... ont alors saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices respectifs. Ils demandent la réformation du jugement du 5 octobre 2018 de ce tribunal en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs conclusions indemnitaires.
2. En l'absence de conclusions de l'AP-HP, a fortiori d'appel incident, le principe de la responsabilité de cette dernière n'est pas contesté. Seule la question de l'évaluation de certains des préjudices doit être tranchée par la cour.
Sur l'évaluation des préjudices de M. E... :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant à l'assistance par une tierce personne :
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par la CCI, que l'état de santé de M. E... a nécessité une aide humaine non spécialisée, exclusivement en rapport avec la complication infectieuse nosocomiale, à raison de quatre heures par jour pendant trente jours à la suite de chaque thoracotomie, puis à raison de deux heures par semaine du 21 janvier 2013 au
5 février 2014 ainsi que du 16 mars 2014 au 8 mars 2016, date de consolidation. Pour la période postérieure à celle-ci, l'expert a retenu que l'aide apportée en raison de l'infection contractée était de l'ordre de deux heures par semaine. Le tribunal a considéré que les frais afférents au besoin d'une telle aide devaient être indemnisés sur la base du salaire minimum de croissance applicable à cette période augmenté des charges sociales et en tenant compte des congés payés et jours fériés. Il a en conséquence alloué à M. E... la somme de 7 752,73 euros pour la période antérieure à la consolidation et celle de 3 891,15 euros pour la période allant du 8 mars 2016 au 5 octobre 2018, date de lecture de son jugement. S'agissant des frais futurs, au regard du besoin défini par l'expert et de l'âge de la victime à la date du jugement soit 55 ans, les premiers juges ont retenu un taux de rente viagère de 24,085 en se référant au barème de capitalisation des rentes des victimes publié le 28 novembre 2017 à la Gazette du Palais, soit un montant de rente capitalisée égal à 34 100 euros. M. E... réitère sa demande initiale en contestant le coût horaire retenu par les premiers juges et en se prévalant d'une évaluation faite par une association, l'HANDEO, demande que ce coût horaire soit fixé à 22 euros et que le taux de rente soit fixé à 24,792, soit le taux applicable pour un homme de 54 ans. S'agissant d'une aide familiale, les premiers juges ont toutefois fait une juste appréciation des besoins en assistance d'une tierce personne à domicile en les évaluant ainsi que précédemment rappelé ; l'appelant ne soutenant pas que le tribunal administratif n'aurait pas pris les bons taux du SMIC horaire figurant sur le site de l'INSEE et le calcul de la rente viagère ayant été effectué en tenant compte de l'âge exact de la victime à la date de lecture du jugement, les premiers juges ont fait une juste appréciation de cette aide en l'évaluant à la somme totale de 45 743,88 euros, en conséquence de quoi les conclusions d'appel de M. E... tendant à ce qu'il lui soit alloué davantage au titre de ce chef de préjudice doivent être rejetées.
Quant aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle :
4. M. E... demande à la Cour de mettre à la charge de l'AP-HP le versement des sommes de 56 263,87 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, de 299 286,86 euros au titre de la perte de gains futurs et de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle. Il fait valoir qu'il a été licencié pour inaptitude du fait des conséquences de l'infection nosocomiale contractée le 8 décembre 2014, expose également qu'il n'a pas retrouvé d'emploi et qu'il cherche, en vain, à se reconvertir, qu'il a été reconnu comme travailleur handicapé par la MDPH, le
17 octobre 2017. Il expose enfin que, ni l'expert, ni les premiers juges, n'ont considéré qu'une nouvelle intervention aurait été nécessaire aux fins de reconstruction, indépendamment de l'infection nosocomiale, et que l'on ne sait pas davantage, en l'état du dossier, si les séquelles de cette dernière n'ont pas rendu plus difficile l'intervention réalisée en février 2014 dont l'échec peut être imputable à l'infection.
5. L'expert a toutefois considéré, sans se contredire, que l'inaptitude professionnelle définitive de l'appelant serait intervenue indépendamment de la complication infectieuse dont ce dernier a été victime ; il résulte en effet clairement de son rapport que le retentissement de l'état thoracique de M. E... sur le fonctionnement de son épaule, ses problèmes respiratoires en cas d'efforts et les phénomènes de névralgies dont il souffrait avant même la complication litigieuse seraient survenus même en l'absence de cette dernière, cette appréciation étant corroborée par les parts respectivement imputées à l'état antérieur du patient et aux conséquences de l'infection dans l'évaluation du taux de déficit permanent, non contestée par l'intéressé. Il en résulte que les conséquences de l'infection nosocomiale ont été marginales au regard de l'état antérieur de l'appelant évoluant pour son propre compte et rendant à lui seul difficile l'exercice de sa profession de métallier poseur. Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise judiciaire, il ne résulte pas de l'instruction que l'infection nosocomiale aurait été à l'origine de l'impossibilité d'affecter
M. E... sur un poste aménagé.
En ce qui concerne la perte de gains actuelle :
6. En se référant aux revenus déclarés par l'intéressé pour 2011 -dernière année complète d'activité avant l'infection nosocomiale- et en déduisant de la période indemnisable celle inhérente à l'opération subie le 18 septembre 2012 sans complication, au vu du rapport de l'expert, les premiers juges ont à bon droit indemnisé la perte de revenus professionnels pour la période allant du 17 au
31 décembre 2012 à 381,30 euros. Pour l'année 2013, l'expert ayant retenu une période d'arrêt de travail de 161 jours, allant du 1er janvier au 10 juin, le préjudice évalué à 349,37 euros au vu de l'écart entre les revenus perçus en 2011 et en 2013, a été également exactement calculé. Enfin, les revenus de M. E... ayant été supérieurs en 2014 à ceux perçus en 2011, c'est à bon droit qu'il a été jugé qu'aucune indemnisation n'était due pour cette année. La somme totale de 730,37 euros allouée à ce titre pourra dès lors être maintenue.
En ce qui concerne la perte de gains futurs et l'incidence professionnelle :
7. A la date à laquelle est survenu l'accident médical, M. E..., ainsi qu'il a dit au point 5, était employé en qualité de métallier poseur depuis 2002 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et percevait un salaire net mensuel imposable de 2 151,76 euros. Reconnu travailleur handicapé, il a perçu une pension d'invalidité à partir de 2014. Comme indiqué au point 5, il ne résulte pas de l'instruction que la perte de son emploi par M. E... soit directement et exclusivement imputable à l'infection nosocomiale. Par ailleurs, l'expert ayant considéré que toutes les possibilités de reconversion professionnelle de l'intéressé n'avaient pas suffisamment été explorées, le fait d'être titulaire d'une pension d'invalidité de catégorie 2 en application des articles L. 341-1 et 4 et R. 341-2 du code de la sécurité sociale, en raison d'une invalidité réduisant au moins aux 2/3 la capacité de travail ou de gain, ne signifie pas nécessairement que la victime est devenue définitivement inapte à toute activité rémunérée en conséquences du fait générateur. Ainsi, et alors même que les avis d'imposition de l'appelant ne révèlent pas de baisse symptomatique de ses revenus depuis la consolidation de son état, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation de la perte de gains futurs.
8. Au regard de la pénibilité dans l'exercice d'une reconversion, compte tenu du taux de déficit fonctionnel permanent évalué à 10 % par l'expert et eu égard à la dévalorisation des capacités du requérant sur le marché du travail, les premiers juges ont également fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle résultant de l'infection nosocomiale en l'évaluant à la somme de 25 000 euros. Les conclusions d'appel de M. E... tendant à ce qu'il lui soit alloué davantage au titre de ce chef de préjudice doivent en conséquence être rejetées.
Quant aux frais de véhicule adapté :
9. L'expert ayant indiqué dans son rapport qu'il était nécessaire que M. E... utilise une boîte de vitesses automatique, il y a lieu de confirmer le tribunal en ce qu'il a imputé dans la proportion de 50 % l'indemnisation de ce chef de préjudice à l'infection nosocomiale et, sur la base des devis produits, a alloué au titre des coûts futurs d'adaptation du véhicule la somme de 4 093,85 euros après avoir évalué le surcoût moyen du recours à ce type d'équipement à 1 699,75 euros et appliqué le taux de rente viagère cité au point 3, en considérant que le véhicule devait être renouvelé tous les cinq ans.
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
10. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise du docteur Denis, que le requérant a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 8 au 11 octobre 2012, du 25 novembre au 19 décembre 2012 et du 6 au 15 février 2014, de 30 % du 20 décembre 2012 au 20 janvier 2013, de 20% du 12 au 24 novembre 2012 et du 21 janvier 2013 au 5 février 2014 et de 10% du 16 février 2014 au 8 mars 2016 ; sur la base d'une indemnisation à hauteur de 20 euros par jour pour les périodes d'incapacité fonctionnelle totale telle que retenue par les premiers juges, il y a lieu de maintenir au montant total de 3 500 euros l'indemnité allouée à ce titre.
Quant aux souffrances endurées :
11. Il résulte de l'expertise que M. E... a éprouvé, durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé, des souffrances physiques et psychiques, pour moitié imputables à l'infection nosocomiale, dont l'intensité totale a été évaluée par l'expert à 4,5/7. La somme de 7 000 euros qui lui a été allouée par les premiers juges à ce titre n'est dès lors pas insuffisante.
Quant au préjudice esthétique temporaire :
12. C'est également par une juste appréciation que les premiers juges ont accordé à M. E... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice esthétique temporaire, évalué à 2/7 sur une échelle de 1 à 7 et, là encore, estimé par l'expert à hauteur de 50 % comme imputable à l'infection nosocomiale.
Quant au préjudice d'agrément :
13. Il résulte de l'instruction que, du fait de son préjudice, M. E... a dû renoncer à une activité physique régulière, l'expert ayant qualifié de " léger " le préjudice d'agrément qu'il a subi, imputable pour moitié à l'infection nosocomiale. La somme de 2 000 euros qui lui a été allouée par les premiers juges à ce titre n'est dès lors pas insuffisante.
Quant au préjudice sexuel :
14. M. E... invoque une baisse de libido et l'absence de rapports sexuels et se prévaut d'une attestation de sa compagne, l'expert n'ayant retenu aucun préjudice à ce titre. En l'absence de tout autre justificatif, il y a lieu de maintenir la somme allouée à ce titre au montant fixé par les premiers juges, soit 2 000 euros.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme A... :
15. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 14, les conclusions d'appel de Mme A... tendant à ce qu'il lui soit alloué la somme de 5 000 euros au lieu de celle de 2 000 euros accordée par le tribunal administratif de Paris doivent être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Paris a limité respectivement à 102 724,40 euros et à 2 000 euros les sommes au paiement desquelles devait être condamnée l'AP-HP en réparation de leurs préjudices.
Sur les frais d'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
18. En l'absence de dépens dans la présente instance l'expertise ayant été diligentée par la CCI, les conclusions de M. E... et de Mme A... tendant à ce que ces derniers soient mis à la charge de l'AP-HP ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C... E..., à Mme F... A..., à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, à la Mutuelle Pacifica, à Pro BTP et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 6 février 2020, à laquelle siégeaient :
- M. D..., président de chambre,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 mars 2020.
Le rapporteur,
M.D. B...Le président,
M. D...
Le greffier,
E. MOULINLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03771