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27/02/2020 | FRANCE | N°19PA02327

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 27 février 2020, 19PA02327


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association de Moyens Klesia a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 mai 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail du 25 octobre 2017, annulé cette décision et refusé d'autoriser le licenciement de Mme D... B....

Par un jugement n° 1811364/3-2 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association de Moyens Klesia a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 mai 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail du 25 octobre 2017, annulé cette décision et refusé d'autoriser le licenciement de Mme D... B....

Par un jugement n° 1811364/3-2 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juillet 2019 et 24 janvier 2020, complétés par une pièce le 27 janvier 2020, l'association de Moyens Klesia, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1811364/3-2 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 9 mai 2018 de la ministre du travail ;

3°) de l'autoriser à procéder au licenciement de Mme B... ;

4°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la ministre du travail n'a pas pris en considération l'ensemble des éléments qu'elle a présentés, en particulier les déclarations auprès de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et l'existence d'un " correspondant informatique et libertés " ;

- les dispositifs d'accès et de contrôle du temps de travail qu'elle a mis en place sont légaux et sont utilisés conformément à leur finalité ; disposant d'un " correspondant informatique et libertés ", elle n'était pas tenue de procéder aux déclarations auprès de la CNIL ; c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle avait effectué un croisement de fichiers alors qu'elle s'est contentée de rapprocher des fichiers au moyen d'une comparaison visuelle pour constater que Mme B... a délibérément déclaré un temps de travail alors qu'elle ne se trouvait pas dans l'enceinte de la société ; le moyen de preuve des manquements de Mme B... est licite ;

- Mme B... a méconnu l'article 5 du règlement intérieur, l'article 2.3 de la charte d'utilisation des ressources informatiques des utilisateurs annexée au règlement intérieur, l'article 4 de l'accord du 26 mars 2014 sur les modalités de l'horaire variable, d'une part, en déclarant un temps d'activité non effectué et une présence dans les locaux de l'AMK alors qu'elle ne s'y trouvait pas et, d'autre part, en communiquant ses identifiants et mot de passe à l'un de ses collègues de travail pour que celui-ci " badge " à sa place depuis son ordinateur et en utilisant les identifiants et mot de passe de ce collègue pour " badger à sa place " ; ces manquements sont matériellement vérifiables et sont d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement ;

- la mesure de licenciement n'a aucun lien avec le mandat exercé par Mme B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et renvoie à ses observations devant le tribunal administratif de Paris.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2019, Mme B..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'association de Moyens Klesia au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., avocat, pour l' association de Moyens Klesia et Me E... substituant Me C..., avocat de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée le 13 mars 2012 en qualité d'assistante par l'association de moyens DetO, groupe de gestion de retraite complémentaire et de prévoyance. Le 5 juillet 2012, la fusion de cette association avec l'association de gestion du groupe Mornay a donné naissance à l'association de Moyens Klesia (AMK). Par un courrier en date du 25 août 2017, reçu le 28 août suivant, l'AMK a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire Mme B... qui exerçait le mandat de déléguée du personnel du site Strato de l'AMK depuis le 30 mars 2017 et qui avait été candidate aux élections du comité d'entreprise la même année. Par une décision en date du 25 octobre 2017, l'inspectrice du travail a refusé l'autorisation sollicitée. L'AMK a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Par une décision du 9 mai 2018, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 27 avril 2018, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 25 octobre 2017 et a refusé d'autoriser le licenciement de Mme B.... Par un jugement du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'AMK tendant à l'annulation de cette décision. L'AMK relève appel de ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. L'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée, dispose que : " Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes :1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ; / 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. (...) ". Aux termes de l'article 22 de la même loi, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " I. - (...) les traitements automatisés de données à caractère personnel font l'objet d'une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) III - Les traitements pour lesquels le responsable a désigné un correspondant à la protection des données à caractère personnel chargé d'assurer, d'une manière indépendante, le respect des obligations prévues dans la présente loi sont dispensés des formalités prévues aux articles 23 et 24 (...). / (...) Le correspondant (...) tient une liste des traitements effectués immédiatement accessible à toute personne en faisant la demande (...) ". Aux termes de l'article 47 du décret du 20 octobre 2005 en vigueur à la date de la décision contestée : " Le responsable des traitements fournit au correspondant tous les éléments lui permettant d'établir et d'actualiser régulièrement une liste des traitements automatisés mis en oeuvre au sein de l'établissement, du service ou de l'organisme au sein duquel il a été désigné et qui, à défaut de désignation d'un correspondant, relèveraient des formalités de déclaration prévues par les articles 22 à 24 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée. ". Enfin, aux termes de l'article 48 de ce même décret alors en vigueur : " Dans les trois mois de sa désignation, le correspondant à la protection des données à caractère personnel dresse la liste mentionnée à l'article 47. La liste précise, pour chacun des traitements automatisés : / (...) 2° La ou les finalités de traitement ; / (...) La liste est actualisée en cas de modification substantielle des traitements en cause. Elle comporte la date et l'objet de ces mises à jour au cours des trois dernières années. (...) ".

4. Lorsqu'il a recours à des données à caractère personnel issues d'un traitement automatisé de données à caractère personnel pour établir l'existence d'un comportement fautif d'un salarié protégé, l'employeur ne peut utiliser que des données collectées et traitées de manière licite et loyale. En particulier, il doit respecter la finalité assignée au traitement automatisé de données à caractère personnel, telle qu'elle est déclarée auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ou, si un correspondant à la protection des données à caractère personnel a été désigné, telle qu'elle figure sur la liste tenue par ce correspondant.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir les faits de fraude au temps de travail reprochés à Mme B..., l'association de Moyens Klesia a comparé les informations issues des " badgeages " virtuels lors de l'ouverture et de la fermeture du poste de travail informatique de la salariée avec celles provenant du système de contrôle des accès aux bâtiments et au parking. Toutefois, il ressort de la déclaration effectuée par l'AMK auprès de la CNIL le 31 octobre 2012, modifiée en 2015, que le traitement automatisé des données collectées à partir du système de " badgeage " situé à l'entrée des bâtiments de l'AMK n'a pour seule finalité que le contrôle des accès des locaux et des parkings. Si l'AMK soutient qu'elle n'était pas tenue d'effectuer une déclaration auprès de la CNIL dès lors qu'elle a désigné un " correspondant informatique et libertés ", une telle désignation ne la dispense pas de l'obligation de respecter la finalité qu'elle a assignée au fichier en cause dans la déclaration adressée à la CNIL. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la finalité du fichier en cause aurait été par la suite modifiée, soit dans la déclaration faite à la CNIL, soit sur la liste des traitements automatisés tenue par le correspondant à la protection des données à caractère personnel désigné au sein de l'AMK, et notamment qu'une finalité de gestion des horaires et de contrôle du temps de présence des salariés aurait été ajoutée. Dans ces conditions, l'AMK ne pouvait pas se fonder sur les informations issues du système de contrôle des accès aux bâtiments et au parking destinées à garantir la sécurité des personnes et les rapprocher de celles issues du système de " badgeages " virtuels pour contrôler le temps de travail de Mme B.... Par suite, la ministre du travail, qui a procédé à l'examen de l'ensemble des éléments présentés par l'AMK, a pu légalement estimer que les moyens de preuve utilisés par l'AMK étaient illicites alors qu'au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait été préalablement informée, conformément aux exigences de l'article L. 1222-4 du code du travail, que ses horaires d'entrée et de sortie des bâtiments et des parkings étaient enregistrés et susceptibles d'être contrôlés.

6. L'AMK persiste à soutenir devant la Cour que Mme B... a déclaré un temps de travail sans être présente dans les locaux et qu'à cette fin, elle a communiqué ses identifiants et mot de passe de connexion à un collègue afin que ce dernier " badge " virtuellement à sa place depuis une connexion VPN alors qu'en outre, elle a utilisé, depuis son ordinateur professionnel, les identifiants et mot de passe de connexion de ce même collègue pour procéder au nom de ce dernier au " badgeage " virtuel en méconnaissance de l'article 5 du règlement intérieur, de l'article 4 de l'accord d'entreprise du 26 mars 2014 et de l'article 2.3 de la charte d'utilisation des ressources informatiques. Toutefois, l'AMK, qui comme il a été dit ne peut légalement utiliser les données collectées par les bornes d'accès aux bâtiments et aux parkings pour établir la matérialité de faits reprochés à Mme B..., n'apporte aucun élément nouveau en appel. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 6 du jugement attaqué, d'écarter le moyen tiré de ce que la matérialité des faits reprochés à Mme B... est établie.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'association de Moyens Klesia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction tendant à ce qu'elle soit autorisée à procéder au licenciement de Mme B... ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'association de Moyens Klesia au titre des frais liés à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'association de Moyens Klesia la somme demandée par Mme B... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association de Moyens Klesia est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de Moyens Klesia, à la ministre du travail et à Mme D... B....

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 février 2020.

Le rapporteur,

V. F... Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 19PA02327


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02327
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : AFFANE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-27;19pa02327 ?
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