Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Getty Images U.S, (Inc.) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le titre exécutoire n° 0001634 d'un montant de 5 500 euros TTC, émis le 23 août 2017 par le Centre des monuments nationaux à son encontre au titre de l'occupation privative de la terrasse de l'Arc de triomphe, ainsi que les décisions implicites de rejet de ses recours gracieux.
Par un jugement n° 1808220/4-2 du 3 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé le titre exécutoire du 23 août 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé auprès du Centre des monuments nationaux et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 juillet 2019 et un mémoire enregistré le 16 janvier 2020, le Centre des monuments nationaux, représentée par Me Vandepoorter, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1808220/4-2 du 3 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société Getty Images U.S, (Inc.) devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la société Getty Images U.S, (Inc.) le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif n'a pas répondu à l'un des moyens de défense de l'établissement, exposé dans son premier mémoire en défense et tiré de ce que le titre exécutoire trouve un fondement dans le règlement de visite de l'Arc de Triomphe ;
- la prise de vues depuis la terrasse de l'Arc de Triomphe, qui est imputable à l'intimée, n'a pu s'opérer que dans des conditions matérielles constitutives d'une occupation privative du domaine public ; il appartient à l'établissement d'assurer une égalité de traitement entre les professionnels qui utilisent le domaine public ;
- le règlement de visite du monument soumet toute prise de vue professionnelle à une autorisation et au paiement d'une redevance conformément à une grille tarifaire.
Par des mémoires en défense enregistrés le 23 octobre 2019 et le 17 janvier 2020, la société Getty Images U.S, (Inc.), représenté par Me Pech de Laclause conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à l'annulation du titre exécutoire du 23 août 2017, et à ce qu'il soit mis la somme de 3 000 euros à la charge du Centre des monuments nationaux en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code du patrimoine ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Vandepooter, avocat du Centre des monuments nationaux et de Me Raveendran, avocat de la société Getty Images U.S, (Inc.).
Considérant ce qui suit :
1. Le Centre des monuments nationaux a émis, le 23 août 2017, à l'encontre de la société Getty Images U.S, (Inc.) un titre exécutoire d'un montant de 5 500 euros au motif de " prise de vue réalisée sans autorisation destinée à un usage commercial " depuis la terrasse de l'Arc de triomphe à Paris, classé au titre des monuments historiques. La société Getty Images U.S, (Inc.) a formé à l'encontre du titre exécutoire un recours gracieux auprès du Centre des monuments nationaux, réceptionné le 21 septembre 2017, puis auprès de son comptable public le 28 septembre 2017. Elle a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation du titre exécutoire et des deux décisions. Par un jugement du 3 mai 2019 dont le Centre des monuments nationaux fait appel devant la Cour, ce tribunal a annulé le titre exécutoire du 23 août 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux.
2. Aux termes de l'article L. 141-1 du code du patrimoine : " Le Centre des monuments nationaux est un établissement public national à caractère administratif. / Il a pour mission d'entretenir, conserver et restaurer les monuments nationaux ainsi que leurs collections, dont il a la garde, d'en favoriser la connaissance, de les présenter au public et d'en développer la fréquentation lorsque celle-ci est compatible avec leur conservation et leur utilisation. (...) / Les ressources de l'établissement comprennent notamment les dotations de toute personne publique ou privée, le produit des droits d'entrée et de visites-conférences dans les monuments nationaux, les recettes perçues à l'occasion des expositions et des manifestations artistiques et culturelles, le produit des droits de prises de vues et de tournages, les redevances pour service rendu, les dons et legs et toute autre recette provenant de l'exercice de ses activités (...) ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Le Centre des monuments nationaux soutient que le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif n'a pas répondu à l'un des moyens de défense de l'établissement, exposé dans son premier mémoire en défense et tiré de ce que le titre exécutoire trouve un fondement dans le règlement de visite de l'Arc de Triomphe.
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le Centre des monuments nationaux s'est borné, en première instance, à justifier l'émission de l'état exécutoire par une " occupation privative du domaine public " par la société Getty Images U.S, (Inc.) du fait du nécessaire encombrement de la terrasse de l'Arc de Triomphe causé par la prise de vue, se bornant à mentionner, en fin des développements relatifs à ce moyen de défense, que " le règlement de visite du monument indique bien que les photographies professionnelles peuvent être autorisées sur demande selon les modalités fixées par le Centre des monuments nationaux ". Cette mention constituait ainsi, tout au plus, un argument destiné à démontrer le bien-fondé de la perception d'une redevance pour occupation privative du domaine public et ne constituait donc pas un moyen de défense auquel le tribunal administratif, qui n'avait pas à tenir compte des développements figurant dans une note en délibéré, aurait omis de répondre. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit donc être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous (...) ". L'article L. 1 de ce code précise : " Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics ". Aux termes de l'article L. 2125-1 du même code : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance ". Aux termes de l'article L. 2125-3 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d'une part, que l'occupation ou l'utilisation du domaine public n'est soumise à la délivrance d'une autorisation que lorsqu'elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d'usage appartenant à tous, d'autre part, que lorsqu'une telle autorisation est donnée par la personne publique gestionnaire du domaine public concerné, la redevance d'occupation ou d'utilisation du domaine public constitue la contrepartie du droit d'occupation ou d'utilisation privative ainsi accordé. Dès lors, si la personne publique est fondée à demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d'une indemnité calculée par référence à la redevance qu'il aurait versée s'il avait été titulaire d'un titre régulier à cet effet, l'occupation ou l'utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage appartenant à tous, qui n'est soumise à la délivrance d'aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d'une redevance.
7. D'autre part, si l'opération consistant en la prise de vues à partir d'un bien appartenant au domaine public est susceptible d'impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d'usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public.
8. Enfin, lorsque l'occupation privative du domaine public dans des conditions excédant le droit d'usage appartenant à tous conduit à une prise de vues photographiques faisant ultérieurement l'objet d'une commercialisation, le gestionnaire du domaine public est fondé à poursuivre l'indemnisation du préjudice résultant de cette occupation privative en la mettant soit à la charge exclusive de la personne ayant procédé à cette prise de vues, soit à la charge exclusive de la personne ayant acquis les droits, soit à la charge de l'une et de l'autre en fonction des avantages respectifs qu'elles en ont retiré.
9. Le Centre des monuments nationaux justifie sa décision tendant à ce que la société Getty Images U.S, (Inc.) s'acquitte du versement d'une somme de 5 500 euros au motif que la prise de vue professionnelle destinée à un usage commercial, réalisée sans autorisation depuis la terrasse de l'Arc de triomphe, qui ressortit au domaine public de l'État, constitue une occupation privative de ce domaine et doit être, à ce titre, assujettie au paiement d'une redevance.
10. Il est constant que la prise de vue dont s'agit, qui ne porte pas sur le monument lui-même, a été effectuée à partir de la terrasse panoramique de l'Arc de Triomphe par un photographe, dont la qualité de professionnel n'est pas établie et auprès duquel la société Getty Images U.S, (Inc.) admet avoir fait l'acquisition des droits liés à cette prise de vue en vue de la commercialisation du cliché. Dans ces conditions, et alors que le cliché litigieux porte la mention " Getty Images ", la société doit être regardée, de ce fait même, comme l'unique redevable du versement éventuel des sommes réclamées par le Centre des monuments nationaux au titre de l'indemnité mentionnée au point 6.
11. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la réalisation matérielle de la prise de vue sur Paris depuis la terrasse panoramique de l'Arc de triomphe, en extérieur, ait nécessité l'installation d'un pied ou d'un autre équipement, la société Getty Images U.S, (Inc.) faisant valoir, sans être sérieusement démentie sur ce point par le Centre des monuments nationaux, que l'utilisation des moyens technologiques les plus récents permet la réalisation de photographies de grande qualité en un minimum de temps et sans recours à des matériels encombrants ou difficiles à déployer. Le Centre des monuments nationaux se borne en outre à invoquer la surface restreinte de la terrasse panoramique au regard de sa fréquentation par les visiteurs, sans apporter sur ce point le moindre élément justificatif et sans démontrer, autrement que par des allégations à caractère hypothétique, la réalité de la gêne qui aurait été occasionnée aux autres visiteurs par l'opération de prise de vue objet du présent litige, pendant une durée présentée comme ayant été très longue sans davantage de justification. Par suite, et dès lors que le Centre des monuments nationaux n'établit pas, en l'espèce, la réalité de l'usage privatif du domaine public par l'intimée dans des conditions qui auraient excédé le droit d'usage de l'Arc de Triomphe appartenant à tous, il n'était pas fondé, en application des dispositions législatives précitées, à assujettir la société Getty Images U.S, (Inc.) au versement d'une indemnité calculée par référence à la redevance d'occupation du domaine public.
12. Par ailleurs, l'article 10 du règlement de visite de l'Arc de Triomphe, s'il autorise en principe " les prises de vue personnelles ", soumet à autorisation préalable " les prises de vues photographiques ou cinématographiques nécessitant l'emploi d'appareils sur pied ou de source particulière d'éclairage ou de drones, ainsi que les photographies professionnelles, tournages de films et autres enregistrements d'émissions (...) selon des modalités fixées par le Centre des monuments nationaux ". Ces dispositions constituent seulement des mesures de police, qui n'ont ni pour effet ni pour objet de fixer elles-mêmes le principe du versement d'une redevance exigible de tout occupation à fin privative des dépendances du domaine public, ni d'en déterminer le montant. Si la grille tarifaire approuvée par décision du président du Centre des Monuments nationaux du 3 février 2012 prévoit la perception de redevances pour " prises de vues photographiques ", d'un montant de 3 700 euros TTC " durant les heures d'ouverture " et 5 500 euros TTC " hors heures d'ouverture ", s'agissant des photographies sur support papier à usage publicitaire dans les monuments de catégorie A dont fait partie l'Arc de Triomphe, ce tarif forfaitaire permettant huit heures de prises de vue, il n'est pas établi par l'instruction que ces dispositions auraient fait l'objet des mesures de publicité nécessaires à leur entrée en vigueur. Le moyen tiré de ce que le règlement de visite du monument et la grille de tarifs pouvaient légalement fonder le titre exécutoire litigieux ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le Centre des monuments nationaux, partie perdante dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à sa charge la somme réclamée, sur le même fondement, par la société Getty Images U.S, (Inc.).
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du Centre des monuments nationaux est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Getty Images US, Inc. fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Centre des monuments nationaux et à la société Getty Images US, Inc.
Copie en sera adressée au ministre de la culture et de la communication.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 février 2020.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne ministre de la culture et de la communication en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02126