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13/02/2020 | FRANCE | N°18PA03670

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 13 février 2020, 18PA03670


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la communication à son ancienne épouse par le consulat général de France à Alger de courriels qu'il a échangés avec ce consulat et de courriels échangés entre le consulat général de France à Alger et le ministère des affaires étrangères.

Par un jugement n° 1620618/6-2 du 5 octobre 2018, le tribunal administrat

if de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la communication à son ancienne épouse par le consulat général de France à Alger de courriels qu'il a échangés avec ce consulat et de courriels échangés entre le consulat général de France à Alger et le ministère des affaires étrangères.

Par un jugement n° 1620618/6-2 du 5 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 novembre 2018, le 14 mars 2019 et le 11 avril 2019, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement 1620618/6-2 du 5 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'ordonner avant dire-droit une mesure d'instruction ou une enquête sur le fondement de l'article R. 623-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C... soutient que :

- le jugement est irrégulier, faute d'avoir statué sur le préjudice moral résultant de la violation du secret de la correspondance et ordonné une enquête en vue d'établir une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le consulat général de France à Alger a porté atteinte à son droit au respect du secret des correspondances, garanti par l'article 2 de la Constitution, l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du code civil et les articles 226-13, 226-15 et 432-9 du code pénal, en communiquant à son ancienne épouse des courriels échangés avec lui et avec le ministère ;

- cette communication irrégulière a causé une perte de chance de se défendre avant l'octroi de laissez-passer consulaires à ses enfants ; ce préjudice doit être évalué à 10 000 euros ;

- il n'a pas pu exercer son autorité parentale et son droit de visite de ses enfants entre novembre 2013 et juillet 2014 ; ce préjudice doit être évalué à 10 000 euros ;

- il a subi un préjudice résultant de l'utilisation devant le juge civil en France de ces courriels afin d'induire le juge en erreur ; ce préjudice doit être évalué à 10 000 euros ;

- il ne peut exercer un droit de visite pérenne en France et n'a plus vu ses enfants ; ce préjudice doit être évalué à 3 000 euros ;

- la violation du secret de ses correspondances génère à elle seule un préjudice, qui doit être évalué à 3 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 décembre 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que :

- les premiers juges n'ont pas omis d'examiner un chef de préjudice ;

- la faute invoquée n'est pas établie ;

- le lien de causalité entre la faute et les préjudices invoqués n'est pas établi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F... ;

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., pour M. C....

Une note en délibéré présentée pour M. C... a été enregistrée le 23 janvier 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui possède la double nationalité algérienne et française, s'est marié avec une ressortissante algérienne le 23 décembre 2009 en Algérie. Deux enfants sont nées à Paris de leur union, le 19 décembre 2010 et le 18 mai 2012. Le divorce des époux a été prononcé par un jugement du 17 décembre 2012 du tribunal d'El Harrach à Alger, confirmé par un arrêt du 9 avril 2013 de la chambre des affaires de la famille de la Cour de justice d'Alger, et transcrit sur les registres de l'état civil français le 4 février 2014. Le 21 octobre 2013, le consulat général de France à Alger a délivré des laissez-passer aux enfants à la demande de leur mère, elle-même munie d'un visa le 24 octobre 2013, ce qui leur a permis d'entrer sur le territoire français. Par un jugement du 31 juillet 2014, confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 janvier 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris a interdit toute sortie du territoire français aux enfants sans l'accord écrit des deux parents et a fixé, à titre provisoire, leur résidence habituelle chez leur mère et les modalités d'exercice du droit de visite de leur père ainsi que le montant de la contribution de ce dernier à leur entretien et à leur éducation. M. C... a demandé au tribunal administratif de Paris la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros, en réparation des préjudices que lui aurait causés la communication à son ancienne épouse par le consulat général de France à Alger de courriels qu'il a adressés à ce consulat et de courriels échangés entre le consulat et le ministère des affaires étrangères, courriels que celle-ci a utilisés dans les procédures précitées devant le tribunal de grande instance et la Cour d'appel de Paris. M. C... fait appel du jugement du 5 octobre 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal a rejeté la demande de M. C... sans se prononcer sur les fautes invoquées mais en se fondant sur l'absence de lien direct de causalité entre la communication de courriels personnels et d'échanges entre le consulat général de France à Alger et le ministère des affaires étrangères à l'ancienne épouse de M. C... et les préjudices allégués, constitués selon le jugement de la privation du droit de visite reconnu par les juridictions civiles et de l'obtention de décisions du juge civil favorables à son épouse. M. C... avait toutefois également soutenu que son préjudice moral résultait directement de la violation du secret des correspondances, sans que le tribunal se prononce sur ce point. M. C... est ainsi fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.

3. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la demande indemnitaire :

4. M. C... soutient que la communication à son ancienne épouse par le consulat général de France à Alger de courriels qu'il a échangés avec ce consulat et de courriels échangés entre le consulat général de France à Alger et le ministère des affaires étrangères, en violation du secret des correspondances garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 9 du code civil et le code pénal, notamment son article 432-9, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

5. D'une part, M. C... fait valoir qu'au cours de la procédure devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, qui a donné lieu au jugement du 31 juillet 2014, son ancienne épouse aurait produit des courriels qu'il avait échangés avec le consulat général de France à Alger, transférés par un tiers. Il se borne néanmoins à produire un bordereau de production de pièces à la juridiction établi par l'avocat de son ancienne épouse, qui se limite à lister en " pièce jointe 8 " les courriels de cinq personnes physiques datés des mois de juillet et août 2013, dont aucun élément ne permet de supposer qu'il s'agirait de correspondances adressées par M. C... à ces personnes, et en " pièce jointe 14 " un courriel du requérant, dont ni le destinataire, ni la date ni la teneur ne sont précisés. Aucun de ces documents n'est produit, alors que, de surcroît, ce bordereau de pièces a été communiqué à M. C... par un courriel de son avocat du 14 mai 2014 qui lui précise que toutes les pièces énoncées dans cette liste n'ont pas été communiquées au juge.

6. M. C... fait également valoir que, dans ses conclusions en défense au cours de l'instance d'appel qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 janvier 2017, son ancienne épouse a cité et joint un courriel confidentiel du 30 septembre 2012 qu'il a adressé au consulat général de France à Alger, dont la Cour d'appel de Paris a d'ailleurs fait état dans son arrêt du 12 janvier 2017. Toutefois, aucune pièce du dossier ne permet de déterminer la partie qui a produit en premier ce courriel, dont le requérant n'allègue pas avoir alors contesté l'utilisation, et il ne résulte ainsi pas de l'instruction, compte tenu par ailleurs de la multiplicité des procédures et des productions judiciaires entre les anciens époux, que la Cour se serait fondée sur une pièce produite par l'ancienne épouse et communiquée à celle-ci par le consulat général de France à Alger en violation du secret des correspondances.

7. Enfin, si M. B... se prévaut d'un bordereau de pièces produit par l'avocat de son ancienne épouse en vue d'une audience du 15 juin 2017 devant la Cour d'appel de Paris, qui fait état " d'échanges de mails entre M. C... et le consulat de France en Algérie ", cette pièce n'est pas produite. La teneur de ces courriels demeure ainsi inconnue et il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu par ailleurs de la multiplication des procédures et des pièces produites antérieurement par les anciens époux devant les juridictions civiles, que ces documents auraient été transmis à un tiers sans le consentement de l'intéressé par le consulat général de France à Alger.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 qu'il ne résulte pas de l'instruction que le consulat général de France aurait irrégulièrement communiqué à un tiers des courriels échangés avec M. C..., sans le consentement de celui-ci. La faute dont se prévaut le requérant n'est dès lors pas établie.

9. D'autre part, M. C... fait valoir que des échanges de courriels entre le consulat général de France à Alger et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 23 juillet et du 21 août 2013 ont été communiqués à son ancienne épouse et produits par celle-ci au cours de la procédure devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, qui a donné lieu au jugement du 31 juillet 2014, qui mentionne expressément le contenu de ces courriels. Il ressort toutefois explicitement de ces courriels, dont M. C... n'est ni l'auteur ni le destinataire, qu'ils ne constituent pas des correspondances du requérant mais des échanges internes à l'administration. M. C... ne saurait dès lors se prévaloir d'une violation de son droit au secret des correspondances du fait de la production de cet échange de courriels par son ancienne épouse. Dans ces conditions, la faute invoquée n'est pas plus établie de ce chef.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la communication à son ancienne épouse par le consulat général de France à Alger de courriels qu'il a échangés avec ce consulat et de courriels échangés entre le consulat général de France à Alger et le ministère des affaires étrangères. A cet égard, dès lors que M. C... ne produit aucun élément suffisant permettant d'établir l'existence de la faute qu'il invoque, ni même d'ailleurs de la présumer, il n'y a en tout état de cause pas lieu de procéder à une mesure d'instruction ou d'ordonner une enquête sur le fondement de l'article R. 623-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais qu'il a exposés en première instance et en appel.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1620618/6-2 du 5 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande de M. C... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme E..., présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2020.

Le rapporteur,

F. F...La présidente,

S. E...Le greffier,

M. D...La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03670


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03670
Date de la décision : 13/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : BODA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-13;18pa03670 ?
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