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30/01/2020 | FRANCE | N°19PA00922

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 30 janvier 2020, 19PA00922


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Vincennes à lui verser les sommes de 5 409,61 euros et de 5 000 euros au titre des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis suite à sa chute le 13 décembre 2015 alors qu'elle se rendait à son bureau de vote.

Par un jugement n° 1608807 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 20

19, Mme B..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 16088...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Vincennes à lui verser les sommes de 5 409,61 euros et de 5 000 euros au titre des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis suite à sa chute le 13 décembre 2015 alors qu'elle se rendait à son bureau de vote.

Par un jugement n° 1608807 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2019, Mme B..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1608807 du 28 décembre 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner la commune de Vincennes à lui verser la somme de 5 409,61 euros au titre de son préjudice matériel et de 5 000 euros au titre des douleurs endurées, des troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Vincennes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- la responsabilité de la commune de Vincennes est engagée du fait de la carence du maire dans ses pouvoirs de police de la circulation ;

- sa responsabilité est également engagée en raison du défaut d'entretien normal de cette voie ;

- aucune faute d'imprudence ou de négligence ne saurait lui être imputée ;

- la responsabilité de la commune de Vincennes est engagée par la faute commise par le maire de Vincennes dans l'exercice de ses pouvoirs de police des élections.

Par un mémoire en défense et en appel en garantie, enregistré le 18 avril 2019, la commune de Vincennes, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de la mettre hors de cause et d'appeler l'Etat à la garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre ;

2°) de rejeter la requête de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que la requérante s'est bornée à invoquer la responsabilité pour faute du maire en sa qualité d'agent de l'Etat dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif, elle ne pouvait se prévaloir plus de deux ans plus tard dans son mémoire du 15 novembre 2018 du fondement de responsabilité tiré du défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, qui relève d'une cause juridique nouvelle ;

- s'agissant de l'organisation des élections, le maire a agi en qualité d'agent de l'Etat et non de la commune et les fautes qu'il aurait commises dans ce cadre relèvent donc de la compétence de l'Etat qui doit ainsi être appelé à la cause ;

- la matérialité des faits et le lien de causalité entre la présence d'un éventuel obstacle et la chute de la requérante ne sont pas établis ;

- la requérante, en s'avançant sans précaution sur un chemin plongé dans le noir qu'elle connaissait a eu une conduite imprudente et cette faute constitue la cause exclusive de son préjudice ;

- aucune pièce ne permet d'établir l'état antérieur de la victime avant sa chute et la somme demandée par la requérante au titre de son préjudice matériel paraît largement majorée ;

- le préjudice moral est surévalué, la requérante se bornant à des considérations générales.

La procédure a été transmise à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne qui n'a pas produit d'observations.

Par ordonnance du 19 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., avocat de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 décembre 2015, vers 18 heures 40, alors qu'elle se rendait pour participer au deuxième tour des élections régionales au 27ème bureau de vote situé dans l'école Franklin Roosevelt de Vincennes, Mme B..., alors âgée de 76 ans, a chuté en butant contre un obstacle métallique situé au sol entre la rue du maréchal Maunoury et le 3, allée Georges Méliès. Cet accident a entrainé le bris de ses lunettes, un traumatisme de la face avec une atteinte de la mandibule supérieure, trois dents ayant été brisées, un traumatisme de la lèvre supérieure gauche, du genou gauche et de la main gauche. Mme B... relève appel du jugement du 28 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Vincennes à lui verser la somme totale de 10 409,61 euros, en réparation de l'ensemble des préjudices subis.

Sur la motivation du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort du point 4 du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient la requérante, les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les raisons les ayant conduit à considérer que l'appartenance de l'allée Georges Méliès à la voirie publique de la commune de Vincennes n'était pas établie. Le jugement est, dès lors, suffisamment motivé.

Sur la responsabilité pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune :

4. Si la commune de Vincennes soutient que les conclusions indemnitaires fondées sur le défaut d'entretien normal de l'ouvrage public sont irrecevables, ce fondement de responsabilité n'ayant été invoqué que dans un mémoire produit le 15 novembre 2018 devant le tribunal soit plus de deux ans après l'enregistrement de la requête, dont les conclusions indemnitaires reposaient sur le seul fondement de la faute, cette fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée dès lors que la responsabilité des personnes publiques à l'égard des usagers du domaine public du fait du défaut d'entretien normal de l'ouvrage a le caractère d'un régime de responsabilité sans faute, lequel présente un caractère d'ordre public, et, en conséquence, peut être invoqué à tout moment de la procédure.

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la commune et son étendue :

S'agissant de l'engagement de la responsabilité de la commune :

5. Il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure. La circonstance qu'un ouvrage n'appartienne pas à une personne publique ne fait pas obstacle à ce qu'il soit regardé comme une dépendance d'un ouvrage public s'il présente, avec ce dernier, un lien physique ou fonctionnel tel qu'il doive être regardé comme un accessoire indispensable de l'ouvrage. Si tel est le cas, la collectivité propriétaire de l'ouvrage public est responsable des conséquences dommageables causées par cet élément de l'ouvrage public. Un bien affecté directement à l'usage du public est un ouvrage public à la condition qu'une personne publique en assure l'entretien, la gestion et la surveillance.

6. Mme B... soutient qu'elle a chuté sur la butée centrale d'une grille dont les deux ventaux étaient exceptionnellement ouverts qui se dresse dans l'allée Georges Méliès qui mène à l'école maternelle Franklin Roosevelt se trouvant juste à côté. Elle se prévaut du défaut d'entretien normal de cette voie.

7. Il résulte de l'instruction, d'une part, que si dans des courriers des 22 décembre 2015 et du 29 avril 2016, la commune de Vincennes indique que l'allée Georges Méliès n'est pas une voie communale mais une voie privée dont la gestion et l'entretien relèvent de la responsabilité d'une copropriété tout comme la grille située sur cette allée, ces allégations, qui ne sont au demeurant appuyées d'aucun élément permettant d'établir leur véracité, ne sont pas reprises dans ses écritures devant les juridictions de première instance et d'appel. Or, il est constant que l'allée Georges Méliès qui permet de desservir une école publique est de ce fait affectée directement à l'usage du public, et la commune de Vincennes ne soutient ni n'établit, au stade contentieux, ne pas en assurer l'entretien, la gestion et la surveillance, alors que ces éléments sont présumés s'agissant d'une voie affectée à l'usage du public. Par suite, à supposer même que l'allée ne soit pas la propriété de la commune, ladite allée doit être qualifiée d'ouvrage public. En conséquence, la butée centrale de la grille du portail, fixée à la chaussée, présente, en sa qualité d'accessoire indissociable de l'ouvrage, également la nature d'ouvrage public.

8. D'autre part, s'agissant des circonstances de l'accident, il résulte de l'instruction, en particuliers des témoignages produits par la requérante, que la chute dont elle a été victime le 13 décembre 2015 vers 18 heures 40 a été causée par la butée de portail précitée, le lien entre la chute et l'ouvrage public étant ainsi établi et que " le chemin d'une vingtaine de mètres entre la rue et la porte d'entrée de l'établissement scolaire était sombre, sans éclairage d'aucune sorte ", la butée centrale du portail n'étant ainsi pas visible du fait du manque de lumière. Or, il résulte également de l'instruction que suite à sa chute, le service compétent est intervenu pour rétablir l'éclairage du site qui était défaillant. La commune ne rapporte ainsi pas la preuve qui lui incombe de l'entretien normal de l'ouvrage et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fondements de la responsabilité de la commune invoqués par Mme B..., sa responsabilité est engagée.

S'agissant de l'étendue de la responsabilité :

9. Il résulte de l'instruction que Mme B..., qui connaissait parfaitement les lieux, habitant à 200 mètres de l'école où elle accompagnait son petit-fils ne pouvait ignorer que la voie qu'elle empruntait comportait un portail. Elle se devait compte tenu de l'ouverture inhabituelle des deux grilles de ce portail, de la pénombre et de l'absence de fonctionnement de l'éclairage, de faire preuve d'une particulière vigilance. Son défaut d'attention est, en l'espèce, constitutif d'une faute de nature à exonérer la commune de Vincennes de la moitié de la responsabilité qu'elle encourt à raison des conséquences dommageables de l'accident.

En ce qui concerne l'existence et le montant des préjudices subis par Mme B... :

10. Mme B... établit, par les pièces qu'elle produit, avoir dû engager des frais dentaires pour un montant restant à sa charge de 5 409,61 euros, que ce montant n'est pas sérieusement contesté par la commune de Vincennes qui se borne à faire état d'un devis délivré au patient le 4 janvier 2016 faisant état des montants du coût des soins et des remboursements des organismes de couverture sociale, ces montants ne présentant qu'un caractère estimatif. Il y a donc lieu, compte tenu de ce qui précède, de mettre à la charge de la commune le versement d'une somme de 2 704,80 euros en réparation de ce chef de préjudice.

11. Mme B... fait valoir que les soins dentaires ont été éprouvants, qu'elle a souffert d'un traumatisme de la face, ainsi que de son genou et de sa main gauches et qu'elle a rencontré des difficultés dans son quotidien pendant plusieurs mois du fait notamment de douleurs persistantes au genou et à la tête et qu'elle a subi un préjudice moral du fait de l'ébranlement nerveux occasionné par l'accident. Il sera fait une juste évaluation des préjudices résultant des souffrances endurées, des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral en accordant, tous chefs de préjudices confondus, une indemnisation de 500 euros à Mme B..., soit 250 euros, compte tenu du partage de responsabilité sus évoqué.

12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la commune de Vincennes, à verser à Mme B... la somme de 2 954, 80 euros.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme B..., qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la commune de Vincennes la somme que cette dernière demande au titre des frais liés à l'instance. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Vincennes la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1608807 du tribunal administratif de Melun du 28 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : La commune de Vincennes est condamnée à verser à Mme B... la somme de 2 954,80 euros.

Article 3 : La commune de Vincennes est condamnée à verser à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Vincennes, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Vincennes.

Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.

Le rapporteur,

A. C...Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00922
Date de la décision : 30/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-01 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages sur les voies publiques terrestres.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : HOURDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-01-30;19pa00922 ?
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