Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Ame du décor a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014.
Par un jugement n° 1704773 du 8 novembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à hauteur de 1 053 euros en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2013, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2019, la société Ame du décor, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1704773 du 8 novembre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, et des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration a fait usage de la procédure de taxation d'office, au motif que la perquisition et la saisie dans ses locaux rendaient impossible le respect de l'ensemble de ses obligations déclaratives au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est radicalement viciée, dès lors que les taux de marge nette retenus par l'administration fiscale au titre des trois exercices en litige sont dénués de toute pertinence, étant très supérieurs aux taux de marge brute moyens de 20 % observés dans le secteur du bâtiment ;
- le service ne saurait rejeter les écritures comptables non probantes en vue de rectifier d'office les résultats, tout en retenant certaines écritures pour refuser la prise en compte de factures de charges adressées postérieurement aux déclarations tardives et partielles de résultat ;
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée sont fondés sur l'assimilation de crédits bancaires à des opérations entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 256 du code général des impôts en vertu duquel une opération taxable à la taxe sur la valeur ajoutée est soit une livraison de biens, soit une prestation de services.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête de la société est recevable dans la limite de la somme de 135 702 euros, compte tenu du non-lieu à statuer prononcé par le Tribunal ;
- la société ne présente pas de moyens de contestation des rehaussements relatifs aux passifs injustifiés d'un montant de 37 430 euros au titre de l'année 2012 et de 19 468 euros au titre de l'année 2014, et au titre des impositions relatives à l'impôt sur les sociétés déclaré mais non acquitté, à concurrence de la somme de 4 947 euros ;
- les autres moyens soulevés par la société Ame du décor ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Ame du Décor exerce une activité dans le bâtiment. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié, suivant la procédure de taxation d'office pour défaut de déclaration prévue par les dispositions du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette reconstitution, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés selon la procédure de taxation d'office prévue par le 2° de l'article du même livre en ce qui concerne les exercices 2012 et 2014, et selon la procédure de rectification contradictoire au titre de l'exercice 2013. La société Ame du Décor relève appel du jugement du 8 novembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge de ces impositions et rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) / 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes ". Aux termes de l'article L. 68 de ce livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure / (...) ".
3. Il est constant que la société Ame du Décor, qui a opté pour le régime simplifié d'imposition au mois de mai 2008, n'a souscrit, au titre de la période vérifiée, aucune déclaration de taxe sur la valeur ajoutée dans le délai légal prévu à l'article 242 sexies de l'annexe II au code général des impôts, applicable aux entreprises placées sous le régime simplifié.
4. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que la société requérante n'a déposé la déclaration qu'elle était tenue de souscrire en sa qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2012 et 2014, que les 21 et 28 septembre 2015, malgré l'envoi d'une mise en demeure reçue le 20 août 2015. Elle se trouvait ainsi en situation d'être taxée d'office en application des dispositions précitées des 2° et 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a eu recours à la procédure de taxation d'office pour établir les impositions et rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, sans que la société ne puisse se prévaloir des difficultés résultant de la procédure pénale mise en oeuvre par le pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris, dès lors que la saisie de ses pièces comptables est intervenue postérieurement à l'expiration des différents délais de déclaration de ses résultats et chiffres d'affaires.
Sur le bien-fondé des impositions et rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
5. D'une part, il incombe à la société Ame du Décor, en application de l'article R. 193-1 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle a régulièrement fait l'objet d'une taxation d'office, d'établir l'exagération des impositions qu'elle conteste au titre des exercices clos en 2012 et 2014, et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'ensemble de la période vérifiée.
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré ".
7. La société Ame du Décor a présenté des observations par courrier du 1er février 2016, soit au-delà du délai de trente jours prévu par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales à compter de la notification de la proposition de rectification du 17 novembre 2015, que la société ne conteste pas avoir reçu le 24 novembre suivant. Il incombe par suite à la société requérante d'établir le caractère exagéré des impositions dont elle demande la décharge au titre de l'exercice clos en 2013.
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
8. Il résulte de la proposition de rectification du 17 juin 2015 que la comptabilité de la société Ame du Décor n'étant pas probante, le vérificateur a procédé, à partir des crédits bancaires constatés sur les comptes bancaires de la société au titre des trois exercices en litige, et considérés comme des recettes toutes taxes comprises, à leur réintégration extra comptable au résultat de l'entreprise, pour leurs montants hors taxe, auxquels ont été ajoutées les sommes encaissées sur le compte personnel du gérant pour le seul exercice 2014. Ont été admises en déduction des chiffres d'affaires ainsi obtenus, les charges justifiées par la société pour les exercices clos en 2012 et 2013, et par souci de réalisme économique, un taux forfaitaire de charges de 59 % pour l'exercice clos en 2014. Ce taux de charge, arrêté à partir de la moyenne des taux de charge des exercices 2012 et 2013 obtenus par le rapport des charges déduites par la société sur son chiffre d'affaires annuel, a été appliqué au chiffre d'affaires imposable de la société de 330 502 euros hors taxe pour 2014 pour déterminer le montant des charges admises au titre de cet exercice de 194 996 euros, dès lors que la société, qui avait initialement déduit un montant de charges de 256 691 euros, n'avait justifié, lors des opérations de contrôle, qu'une seule facture de charges d'un montant de 2 393 euros.
9. La circonstance que la comptabilité de la contribuable ait été regardée comme non probante ne fait pas obstacle à ce que l'administration utilise des éléments tirés de celle-ci pour opérer les redressements contestés. La société ne peut, dès lors, critiquer le fait que l'administration ne pouvait à la fois rejeter les écritures comptables comme non probantes, tout en retenant certaines écritures pour refuser de prendre en compte les factures de charges qui lui ont été adressées postérieurement aux déclarations tardives et partielles de résultat, alors qu'elle ne justifie par aucune pièce du dossier, les motifs pour lesquels le service aurait dû retenir des charges complémentaires à celles admises par le service.
10. La société requérante soutient que la méthode de reconstitution de ses recettes au titre des trois exercices en litige est excessivement sommaire et conduit à des coefficients de marge nette globale dénués de toute pertinence, dès lors que s'élevant à plus de 100 % en 2012, à 58,8 % en 2013 et à 55,62 % en 2014, ils sont très supérieurs aux taux de marge brute moyens de 20 % observés dans le secteur du bâtiment. La société Ame du Décor, qui n'a présenté aucun document comptable lors de la vérification, et qui a déposé ses liasses fiscales avec retard au titre des exercices 2012 et 2014, n'apporte cependant aucun élément de nature à remettre en cause la méthode mise en oeuvre par le service en se bornant à verser au dossier une étude trop générale pour être pertinente sur les taux de marge brutes inférieurs à 20 % appliquées au secteur du bâtiment. Elle ne peut, en outre, reprocher au service d'avoir retenu les crédits bancaires figurant sur le compte personnel du gérant pour l'année 2014, celui-ci ayant admis lors de sa garde à vue " avoir encaissé sur ses comptes personnels des chèques destinés à la société Ame du Décor ". L'administration fiscale a ainsi pu regarder les sommes créditées sur les comptes bancaires de son gérant comme étant des recettes professionnelles encaissées au titre de cet exercice. Par suite, et dès lors qu'il résulte de ce qui a été exposé au point 7 que la reconstitution du chiffre d'affaires pour les trois exercices en litige s'appuie sur les données de la société, notamment pour les charges dont la déductibilité a été admise par le service, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la méthode utilisée par le vérificateur serait viciée.
En ce qui concerne les autres chefs de rehaussements à l'impôt sur les sociétés :
11. La société Ame du décor n'articule aucun moyen pour contester le bien-fondé des rehaussements d'imposition afférents aux passifs injustifiés d'un montant de 37 430 euros au titre de l'année 2012 et de 19 468 euros au titre de l'année 2014, ainsi que des impositions relatives à l'impôt sur les sociétés déclaré mais non acquitté à concurrence de la somme de 4 947 euros dont elle demande la décharge.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
12. Pour le motif exposé au point 10, dès lors que c'est à juste titre que l'administration fiscale a regardé les sommes créditées sur les comptes bancaires du gérant de la société Ame du Décor comme étant des recettes professionnelles encaissées au titre de 2014, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que le service ne devait pas en tenir compte pour arrêter le montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à reverser au titre du même exercice, alors qu'elle n'apporte de manière plus générale aucun élément sur les prestations ou travaux facturés qui ne pourraient être regardés comme constituant des éléments du prix d'une opération elle-même soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ame du décor n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Ame du Décor est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Ame du Décor et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de Paris, service du contentieux d'appel déconcentré (SCAD).
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme B..., premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00095