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30/01/2020 | FRANCE | N°18PA03624

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 30 janvier 2020, 18PA03624


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 juin 2017 et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1800682/3-3 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2018, M. E... C..., représenté par Me F..., demande à la Cour :

) d'annuler le jugement n° 1800682/3-3 du 25 septembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 juin 2017 et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1800682/3-3 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2018, M. E... C..., représenté par Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800682/3-3 du 25 septembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 20 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 juin 2017 et a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de la société Compagnie française d'entretien et de maintenance (Cofrem) le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que la décision ministérielle litigieuse a considéré que le lien avec le mandat, qui avait été retenu par l'inspecteur du travail, n'était pas établi ;

- la ministre du travail s'est abstenue de se prononcer sur le motif de l'intérêt général, pourtant retenu par l'inspecteur du travail ;

- aucune faute lourde n'a été commise par lui, et aucune intention de nuire n'a été constatée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en observations, enregistré le 13 mars 2019, la société Compagnie française d'entretien et de maintenance, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., avocate de M. C..., et de Me D... substituant Me A..., avocat de la Compagnie française d'entretien et de maintenance (Cofrem).

La Compagnie française d'entretien et de maintenance (Cofrem) a produit le 21 janvier 2020 une note en délibéré.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... C... a été embauché le 6 janvier 2004 par la Compagnie française d'entretien et de maintenance (Cofrem), filiale du groupe Alhena, par un contrat à durée déterminée, comme gestionnaire de site ; il a été promu cadre CA1 le 12 octobre 2012. Il a exercé les mandats de délégué syndical C.F.D.T. et de représentant syndical C.F.D.T. au comité d'entreprise, et a été membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le 3 janvier 2017, le Syndicat Force Ouvrière Propreté Île-de-France l'a désigné comme représentant de la section syndicale et représentant syndical au comité d'entreprise. Cette désignation en tant que représentant syndical au comité d'entreprise a été annulée par le tribunal d'instance du 10ème arrondissement de Paris en raison de l'absence de représentativité du syndicat au niveau de l'unité économique et sociale Aquanet Services, Cofrem, Afranett, par un jugement RG n° 11-17-000011 du 17 mai 2017. Le 13 juin 2017, à la suite d'événements survenus le 20 février 2017, la société Cofrem a sollicité l'autorisation de licencier M. C... pour faute. Le 30 juin 2017, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. Le 20 novembre 2017, sur recours hiérarchique formé par la société Cofrem et reçu le 19 juillet 2017, la ministre du travail a annulé la décision du 30 juin 2017 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M. C.... Par le jugement du 25 septembre 2018 dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ministérielle.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de constat d'huissier du 20 février 2017, qu'à la suite du changement d'affiliation syndicale de plusieurs élus au comité d'entreprise et délégués du personnel, le syndicat CFDT Île-de-France Propreté a sollicité, sur le fondement des articles L. 2314-29 et L. 2324-27, la révocation des mandats de cinq employés de la société Alhena, qui détient la société Cofrem, par courrier du 19 janvier 2017. Eu égard à la dispersion de ses salariés sur un grand nombre de sites, la société Alhena a organisé des référendums par correspondance dont le dépouillement était prévu le 20 février 2017 au siège social de la société Alhena, situé 11 bis, rue Eugène Varlin à Paris (10ème arrondissement). Lors d'une manifestation organisée à cette occasion par le syndicat Force Ouvrière, des manifestants portant des chasubles siglés F.O. ont empêché le véhicule de fonction du directeur commercial de la société Alhena, dans lequel se trouvaient, outre ce dernier, le directeur des relations sociales, deux agents de sécurité et un huissier de justice, de quitter son emplacement de stationnement, à proximité immédiate du siège social de la société, pour aller récupérer le contenu de la boîte postale au bureau de poste situé 4, impasse Bonne Nouvelle à Paris (11ème arrondissement), les obligeant à s'y rendre à pied. Dans ce bureau de poste, les 436 enveloppes des votes par correspondance ont été placées dans trois sacs postaux. Au retour, une bousculade a eu lieu devant le siège social de la société Alhena, où se trouvaient des manifestants portant des chasubles siglés F.O., au cours de laquelle le directeur des relations sociales, après avoir été poussé par un manifestant, est tombé sur le dos dans le caniveau tandis que le sac postal qu'il portait lui a été arraché des mains par un manifestant qui est parti en courant avant d'être arrêté dans sa course par les forces de l'ordre ; le sac postal a alors été jeté par terre et son contenu répandu sur le sol ; les manifestants ont alors lu le contenu des enveloppes nominativement identifiées et en ont détruit certaines ; les forces de l'ordre, qui étaient présentes, sont intervenues pour contenir l'attroupement. Malgré celles-ci qui l'ont protégé, le directeur des relations sociales a été empêché à deux reprises par les manifestants de regagner les locaux de 1'entreprise, et n'a pu y parvenir qu'après avoir accepté la demande des manifestants que les enveloppes contenues dans les deux sacs postaux restés en la possession des agents de sécurité qui l'accompagnaient soient détruites, ce qui a été fait à l'aide d'un broyeur dans les locaux du rez-de-chaussée de la société Alhena. A la suite de ces incidents, le directeur des relations sociales, qui souffrait d'un hématome et d'érosion au niveau des membres inférieurs, sans incidence fonctionnelle, et d'un stress post traumatique moyen ne nécessitant pas, a priori, de suivi spécialisé, comme en témoigne le certificat médical rédigé à la suite de l'examen réalisé par le médecin de l'unité médico-judiciaire le 21 février 2017, a fait l'objet d'une interruption temporaire de travail de deux jours.

4. Il ressort d'une part du procès-verbal d'audition du 23 janvier 2018 de M. C..., convoqué par les services de police à la suite des incidents qui ont eu lieu le 20 février 2017 devant le 11 bis, rue Eugène Varlin, qu'il a répondu, à la question " on vous reproche d'avoir empêché le dépouillement. Qu'avez-vous à déclarer ' ", " c'est vrai. Le dépouillement devait se faire par correspondance, c'est par courrier en recommandé avec accusé réception conformément au code du travail. Sauf que ça n'a pas été le cas. Les enveloppes ont été données de la main à la main, sur ordre de la direction. La direction a donné les enveloppes aux gestionnaires (...) pour que les salariés puissent signer. Après les gestionnaires ont récupéré les enveloppes. Cette démarche, illégale, a été faite en collaboration avec la CFDT. Les salariés n'ont pas vraiment vu ce qu'ils signaient, ils ont été manipulés. ". D'autre part, il ressort d'un procès-verbal de constat d'huissier du 23 février 2017 de la page Facebook publique de M. C... qu'il y a publié des photos du rassemblement du 20 février 2017 représentant des syndicalistes en chasubles, ainsi qu'un texte : " Encore une excellente journée aujourd'hui chez Alhena avec la présence de deux camions de police CRS pour le dépouillement du scrutin. Au final toutes les enveloppes ont été détruites par un broyeur à 13 h 30 sous l'ordre du PDG en présence d'une délégation Force Ouvrière composée de trois membres. Nous vous remercions toutes et tous pour votre solidarité et votre présence durant toute la semaine dernière et aujourd'hui également. Le représentant de la section syndicale Force Ouvrière de l'UES Alhena. ". Ainsi, il ressort de ces pièces, quand bien même M. C... a indiqué, dans sa déclaration de main courante du 20 février 2017, avoir été violemment poussé ce même jour par le directeur des relations sociales et les agents de sécurité qui l'accompagnaient qui voulaient rentrer dans l'immeuble du siège social de l'entreprise et empêcher les manifestants d'y entrer, " [son] objectif étant soit de rentrer avec eux pour assister au dépouillement en tant que délégué du personnel soit de les empêcher de rentrer. Ça a dégénéré, ils ont été violents avec [eux, les manifestants] ", à la suite de quoi il a été légèrement blessé à l'auriculaire et à la main droite, comme en atteste l'arrêt de travail du 20 au 26 février 2017 rédigé par un médecin pour un " traumatisme de l'auriculaire droit ; syndrome anxio-dépressif réactionnel ", que M. C... a tenté d'empêcher le dépouillement du vote par correspondance, alors qu'il lui était loisible de contester par les voies de droit la régularité de ce scrutin devant le tribunal compétent, s'est réjoui, sur la page de son profil Facebook accessible à tous, de l'échec de ce scrutin et des incidents violents survenus le 20 février 2017 devant le siège de la société Alhena, et n'a pas exercé le rôle modérateur, lors de ces incidents, qui aurait dû être celui du représentant d'une section syndicale, sans que cela soit contredit par les attestations qu'il a produites, rédigées en termes très généraux, selon lesquelles il a joué un rôle très important pour maîtriser et encadrer toutes les manifestations pendant les dix jours de grève afin de rétablir le dialogue social. Il suit de là que la matérialité de l'un des deux griefs retenus à l'encontre de M. C..., l'entrave à l'organisation d'un scrutin professionnel et l'atteinte au secret des correspondances et à la confidentialité des votes, étant établi, la ministre du travail a pu légalement, par la décision litigieuse du 20 novembre 2017, autorisé son licenciement pour ce seul motif, qui est d'une gravité suffisante pour le justifier.

5. En deuxième lieu, pour estimer qu'il existe un lien entre le représentant de la section syndicale Force Ouvrière qu'il détenait et la décision litigieuse autorisant son licenciement, M. C... soutient, d'une part, que son licenciement est intervenu dans un contexte de grève et de manifestations qui a donné lieu à deux ordonnances rendues par le tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, du 17 février 2017 et du 27 mars 2017, qui établissent clairement le lien entre son mandat et son licenciement. Il ne ressort toutefois pas de ces deux décisions, dont la première concerne le blocage de l'accès au siège de la société au 11 bis, rue Eugène Varlin, que le juge des référés n'a pas qualifié de trouble manifestement illicite, M. C... y étant cité parmi les organisateurs du mouvement social, et dont la seconde concerne la rédaction de l'ordre du jour du comité d'entreprise en vue de sa convocation, qu'elles établiraient un lien entre le mandat détenu par le salarié et son licenciement. En outre, comme l'ont à bon droit relevé les premiers juges, l'appel à la grève, qui s'est déroulée du 14 février au 24 février 2017, portait sur des revendications financières, la réintégration d'un employé, le remplacement des salariés absents, la remise des équipements de protection individuelle à tous les salariés, l'arrêt de l'acharnement moral et de surveillance abusive contre tous les syndicalistes ou salariés ayant défendu leurs droits, motifs sans lien avec l'action menée le 20 février 2017, laquelle ne concernait pas l'exercice des mandats de M. C.... D'autre part, M. C... fait valoir que la ministre du travail n'a pas pris en considération le constat d'entrave dans le déroulement des réunions du comité d'entreprise dressé par l'inspecteur du travail le 25 avril 2017 et la lettre du 28 avril 2017 des élus syndicaux F.O. à la direction de l'entreprise. Si ces deux documents, comme au demeurant l'ensemble des pièces du dossier, décrivent un climat social très mauvais au sein de l'entreprise, font état du fonctionnement heurté des institutions représentatives du personnel au sein de la société Cofrem et des relations tendues et difficiles des représentants syndicaux avec le directeur des relations sociales de la société, ils n'établissent pas l'existence d'une discrimination spécifique à l'encontre de M. C..., et par voie de conséquence un lien entre son mandat et son licenciement.

6. En troisième lieu, si M. C... soutient que la ministre du travail s'est abstenue de se prononcer sur le motif de l'intérêt général, pourtant retenu par l'inspecteur du travail, outre que ce motif de l'intérêt général n'avait pas été retenu par l'inspecteur du travail dans sa décision annulée du 30 juin 2017, il n'incombait pas à la ministre du travail d'indiquer, dans les motifs de la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles elle n'avait pas usé de la faculté qu'elle détenait de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Compagnie française d'entretien et de maintenance les frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Compagnie française d'entretien et de maintenance, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la société Compagnie française d'entretien et de maintenance et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Collet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.

Le rapporteur,

I. B...Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 18PA03624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03624
Date de la décision : 30/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : DE SAINT RAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-01-30;18pa03624 ?
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