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28/01/2020 | FRANCE | N°18PA02254

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 28 janvier 2020, 18PA02254


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2015 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1710471/2-3 du 18 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a réduit la base d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2015 à conc

urrence de la somme de 1 500 000 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire tra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2015 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1710471/2-3 du 18 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a réduit la base d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2015 à concurrence de la somme de 1 500 000 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire transactionnelle versée par son ancien employeur et mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 juillet 2018 et 11 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1710471/2-3 du 18 avril 2018 ;

2°) de rétablir M. B... à l'intégralité de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu qui lui a été assignée au titre de l'année 2015 ;

3°) d'ordonner la restitution de la somme de 1 500 euros versée à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en demandant dans sa lettre du 20 août 2015 son intention d'obtenir réparation des graves préjudices, matériel, moral et de carrière, M. B... n'a pas entendu demander l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse à son licenciement ;

- les premiers juges se sont fondés à tort sur les résultats d'ensemble du groupe international Julius Baer pour considérer que le déficit de la filiale française ne menaçait pas la compétitivité du groupe ;

- les licenciements qui comme en l'espèce sont consécutifs à la fermeture d'un établissement lourdement et structurellement déficitaire revêtent une motivation économique et ne peuvent donc être considérés comme dépourvus de cause réelle et sérieuse ;

- si la circonstance que l'entreprise qui licencie appartient à un groupe international modifie le périmètre d'appréciation du motif économique, le juge recourt surtout à l'appréciation de la compétitivité du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise ;

- au cas particulier, si la situation de la société française JBI SAS ne menaçait pas la pérennité du groupe Julius Baer, cette situation menaçait en revanche la compétitivité de la branche " Wealth Management " (gestion de patrimoine) de ce groupe.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 septembre 2018 et le 12 septembre 2019, M. A... B..., représenté par la SCP LBBA, conclut au rejet de la requête et au versement par l'Etat d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... occupait un emploi de conseiller financier au sein de la société " Merril Lynch, Pierce, Fenner et Smith ", filiale française du groupe Bank of America Merril Lynch, jusqu'à l'intégration de cette entreprise au groupe Julius Baer le 1er octobre 2014, date à laquelle elle a pris le nom de " E... D... "). Le groupe Julius Baer a décidé la cessation totale d'activité de sa filiale française et le licenciement de l'ensemble de ses 27 salariés. M. B... a conclu le 27 novembre 2015 avec la société en liquidation judiciaire " 112 Kleber SAS ", anciennement " JBI SAS ", un protocole d'accord transactionnel prévoyant notamment le versement à son profit d'une somme d'un montant brut de 1 500 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire transactionnelle. M. B... a contesté l'assujettissement de cette somme à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015. Par un jugement n° 1710471/2-3 du 18 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a réduit la base d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2015 à concurrence de la somme de 1 500 000 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire transactionnelle versée par son ancien employeur et mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement.

2. Aux termes du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts dans sa version applicable à l'imposition en litige : " Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : / 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-1, L. 1235-2, L. 1235-3 (...) du code du travail. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans la rédaction applicable à l'espèce : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. (...) ". L'article L. 1235-1 du même code dispose que " en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier (...) le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".

3. En premier lieu, pour déterminer si une indemnité versée en exécution d'une transaction conclue à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail est imposable, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l'objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d'être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail que s'il résulte de l'instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées.

4. M. B... a reçu le 28 juillet 2015 une lettre recommandée avec accusé réception de son employeur, la société JBI SAS, lui notifiant son licenciement pour motif économique en raison de la cessation définitive d'activité de la société. A la suite de la notification de son licenciement, l'intéressé a contesté cette mesure, par courrier du 20 août en faisant valoir que les motifs avancés pour fonder la suppression de son poste pour motif économique n'étaient pas avérés, dans la mesure où la situation économique du groupe Julius Baer ne justifiait pas la cessation d'activité de la société, rendant son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

5. Les difficultés économiques invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique s'apprécient au niveau du groupe ou du secteur d'activité du groupe, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national. La cause économique s'apprécie à la date du licenciement.

6. Il résulte de l'instruction que les bénéfices du groupe Julius Baer ont atteint 367 millions de francs suisses en 2014, en progression de 96 % par rapport à l'année précédente. Le rapport réalisé en mars 2015 par le cabinet d'expertise comptable mandaté par le comité d'entreprise, dont les énonciations ne sont pas contestées, relève que la situation financière du groupe Julius Baer est solide et que le déficit de sa filiale française, de 3 millions d'euros, ne menace pas la compétitivité du groupe. Il ressort en outre de la lettre de licenciement de M. B... que la cessation d'activité de la société " JBI SAS " est motivée par la particularité du marché français dont les produits ne correspondent pas à l'offre proposée par la société " JBI SAS ". Dans ces conditions, la cessation d'activité et liquidation de la société " 112 Kleber SAS ", anciennement " JBI SAS ", n'a résulté que de choix stratégiques décidés au niveau du groupe, sans que des difficultés économiques les justifient, tant au niveau du groupe qu'au niveau du secteur d'activité du groupe. Il suit de là que le licenciement de M. B... doit être regardé comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

7. En second lieu si les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne sont pas imposables, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d'être exonérées.

8. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du préambule ni des termes mêmes du protocole transactionnel conclu le 27 novembre 2015 entre M. B... et la société en liquidation judiciaire " 112 Kleber SAS ", anciennement " JBI SAS ", que l'indemnité en litige aurait eu pour objet de couvrir des préjudices autres que ceux liés au licenciement de M. B.... Dans ces conditions, en application du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts cette indemnité constitue, dans sa totalité, une rémunération exonérée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Paris a réduit la base d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2015 à concurrence de la somme de 1 500 000 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire transactionnelle versée par l'ancien employeur de l'intéressé. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2: L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à M. A... B....

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris - Pôle fiscal parisien 1.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président,

- Mme C..., premier conseiller,

- Mme Notarianni, premier conseiller.

Lu en audience publique le 28 janvier 2020.

Le rapporteur,

A. C...

Le président,

P. HAMONLe greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02254


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02254
Date de la décision : 28/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: Mme Anne MIELNIK-MEDDAH
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS LBBA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-01-28;18pa02254 ?
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