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20/12/2019 | FRANCE | N°17PA22779

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 20 décembre 2019, 17PA22779


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au Tribunal administratif de la Guyane de condamner la commune de Matoury à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral causé par le refus implicite du maire de Matoury de lui accorder la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 qu'elle avait demandée pour des faits de harcèlement moral et de diffamation publique et par les agissements de harcèlement moral qu'elle a subis ainsi quede la rétablir dans ses fonctions de resp

onsable du service du développement social urbain et de faire procéder à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au Tribunal administratif de la Guyane de condamner la commune de Matoury à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral causé par le refus implicite du maire de Matoury de lui accorder la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 qu'elle avait demandée pour des faits de harcèlement moral et de diffamation publique et par les agissements de harcèlement moral qu'elle a subis ainsi quede la rétablir dans ses fonctions de responsable du service du développement social urbain et de faire procéder à une enquête interne administrative sur ces faits de harcèlement moral et de diffamation.

Par un jugement n° 1600278 du 20 avril 2017, le Tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2017 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, dont le jugement a été attribué à la Cour administrative de Paris par ordonnance n° 428220 du 1er mars 2019 du président de la section du contentieux de Conseil d'Etat sur le fondement des dispositions de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, et des mémoires, enregistrés les 27 septembre et 20 novembre 2019, Mme A..., représentée en dernier lieu par Me C..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'annuler le jugement n° 1600278 du 20 avril 2017 du Tribunal administratif de la Guyane en tant seulement qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation de son préjudice moral ;

2°) de condamner la commune de Matoury à lui payer à la somme de 25 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Matoury le versement de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a subi un harcèlement moral au travail entre juin 2014 et 2017 ;

- elle a fait l'objet de diffamations publiques liées à ses fonctions par des tracts et messages électronique anonymes en septembre et octobre 2015 ;

- ses demandes de bénéfice de la protection fonctionnelle à raison de ces faits de harcèlement moral et de diffamation ont fait l'objet d'un rejet implicite du maire de Matoury ;

- la commune a implicitement refusé de lui accorder la protection fonctionnelle à raison de ces faits alors que les conditions de cette protection étaient réunies, alors que ce refus ne repose sur aucun motif d'intérêt général et que la commune était en situation de compétence liée pour accorder cette protection ;

- le harcèlement moral subi et le refus fautif de protection fonctionnelle de la commune de Matoury lui ont causé un préjudice moral qu'il y a lieu d'indemniser ;

- la fin de non-recevoir opposée par la commune à ses conclusions à fin d'injonction est dépourvue d'objet dès lors que, dans le dernier état de ses conclusions, elle renonce à ces conclusions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2019, la commune de Matoury, représentée par la SCP Sartorio-Lonqueue-Sagalovitsch et associés, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme A... de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'injonction sont irrecevables dès lors qu'elles sont présentées à titre principal et méconnaissent l'office du juge ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour Mme A... et de Me D... pour la commune de Matoury.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A... a été recrutée par la commune de Matoury à compter du 3 janvier 2008 par contrat à durée déterminée pour trois années sur un emploi d'attachée en tant que responsable du service de développement social urbain (DSU), renouvelé à plusieurs reprises, avant d'être recrutée sur le même poste par un contrat à durée indéterminée en 2013 et titularisée en tant qu'attachée territoriale à temps complet au 1er janvier 2017. Estimant qu'elle faisait l'objet d'un harcèlement moral au travail depuis le changement d'équipe municipale ayant suivi les élections de mars 2014, elle a saisi le maire de Matoury d'une demande de protection fonctionnelle par lettre du 19 juin 2015, restée sans réponse. Par un recours administratif préalable du 30 décembre 2015, elle a sollicité à nouveau auprès du maire de Matoury le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison, d'une part, du harcèlement moral subi au travail et, d'autre part, de ce qu'elle avait fait l'objet en septembre et octobre 2015 de propos diffamatoires anonymes par tracts et messagerie auprès d'autres agents et habitants de la commune, et a demandé le versement d'une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral. En l'absence de réponse, Mme A... a saisi le 6 mai 2016 le Tribunal administratif de la Guyane d'une demande, d'une part, de condamner la commune de Matoury à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral et, d'autre part, d'enjoindre à cette commune de faire cesser les agissements de harcèlement moral, de la rétablir dans ses fonctions de responsable du service du développement social urbain et de procéder à une enquête interne administrative sur les faits de harcèlement moral et de diffamation. Elle relève appel du jugement du 20 avril 2017 par lequel le Tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses demandes. Dans le dernier état de ses conclusions, Mme A..., qui renonce expressément à ses conclusions à fin d'injonction, demande à la Cour d'annuler ce jugement en tant seulement que, par ce jugement, les premiers juges ont rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation de son préjudice moral.

Sur la responsabilité de la commune de Matoury :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public ". Pour l'application de ces dispositions, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

3. D'autre part, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions (...) d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

En ce qui concerne les faits de harcèlement moral :

4. La requérante fait notamment valoir que depuis l'arrivée en mars 2014, à la suite des élections municipales, d'une nouvelle équipe d'élus et d'une nouvelle directrice générale des services, le nouveau maire l'a informée qu'elle faisait partie des " têtes à couper " du fait qu'elle était " encartée " et qu'elle n'a cessé à partir de juin 2014 de faire l'objet de pressions et de pratiques de nature à la déstabiliser gravement dans l'exercice de ses fonctions. A cet égard, elle précise que son service et ses missions ont fait l'objet de réorganisations fréquentes dont elle n'était pas tenue informée et qu'elle n'a découvert parfois que lors d'échanges ou de réunions avec ses interlocuteurs extérieurs, que le service DSU dont elle est responsable depuis l'année 2008 a été peu à peu à partir de juin 2014 privé de son personnel, a fait l'objet de mesures contraignantes spéciales de gestion, non appliquées aux autres services, et a été vidé en 2015 de ses missions principales et notamment la rédaction du " contrat de ville ". Elle soutient également que son honnêteté et ses compétences professionnelles ont fait l'objet dès la mise en place de la nouvelle équipe municipale en juin 2014 et de façon constante ensuite de mises en doute, alors qu'elle avait toujours été bien notée et qu'elle a fait l'objet de notations élogieuses avant et après la période en cause. Elle ajoute qu'elle a subi un refus permanent et tacite de la faire bénéficier d'une évolution de carrière en méconnaissance de ses droits, qu'elle a été contrainte de saisir la commission d'accès aux documents administratifs pour avoir accès à son dossier administratif, le Tribunal administratif pour obtenir sa titularisation et qu'elle n'a reçu aucune réponse à ses courriers et à ses demandes de protection fonctionnelle, y compris à raison des faits de diffamations publiques subis en septembre et octobre 2015.

5. A l'appui de ses allégations, Mme A... produit notamment un article de presse locale datant de septembre 2014 mentionnant que le maire récemment élu déclarait dès cette date vouloir la remplacer par un autre agent et une lettre ouverte adressée le 12 juillet 2016 au maire de Matoury par laquelle sept conseillers municipaux mettent en garde le maire contre le traitement anormal réservé à Mme A... et les méthodes employées pour l'écarter de la mairie, notamment par le biais d'un refus de titularisation pour des motifs étrangers à ses qualités professionnelles. Elle produit également de nombreuses attestations émanant d'autres agents de la commune de Matoury, et notamment de responsables administratifs, louant ses qualités professionnelles et faisant état d'agissements hostiles à son encontre de la nouvelle autorité municipale. Aux termes de ces attestations, leurs auteurs précisent avoir notamment constaté que " les dispositifs et les missions gérés jusque-là par le service de Madame A... étaient peu à peu transférés à d'autres services ou systématiquement bloqués ", " il est connu de tous en Mairie de Matoury que ses prises de position dans le cadre de sa fonction syndicale (représentante du personnel ) sont mal vues par la direction et l'autorité. Par ailleurs, il me semble que Madame A... ait été jugée trop proche de l'ancienne équipe municipale par la nouvelle autorité qui s'est installée à la tête de la commune au 1er semestre 2014. L'acharnement subi par Mme A... paraît donc plus lié à ces questions de postures qu'à un manque de compétences ou de professionnalisme ", " j'ai pu constater que malgré tout le travail fourni, madame A... a été de plus en plus souvent le sujet d'attaques que je ne comprenais pas ", " Lors de cette réunion, [un adjoint au maire] a continuellement attaqué Mme A..., dès le début de la réunion, jusqu'à lui crier dessus. Cette réunion a été très pénible pour tous les collègues, on se regardait en se demandant jusqu'où tout cela irait (...) ". Elle produit également un mail cosigné des premier et deuxième adjoints au maire en date du 29 juin 2016, adressé à la directrice générale des services à la suite d'une mise en cause par celle-ci du comportement de Mme A... lors de la commission mixe politique de la ville du 17 juin 2016, indiquant que Mme A... avait " répondu à toutes les questions dans le plus grand respect des élus présents et du Maire" et que " porter de telles accusations à l'encontre de la Responsable du DSU, alors que les 1er et 2ème Maire-adjoints étaient présents et ne disent mot, c'est cautionner de facto des allégations graves et injustifiées à son encontre. Aussi, afin de ne pas nous rendre complice d'éventuelles mesures ou sanctions disciplinaires qui en découleraient, nous vous demandons de bien vouloir entendre ce témoignage et mettre un terme à la poursuite de ce dossier ".

6. Par ailleurs, si la commune fait valoir que Mme A... a bénéficié de toute l'évolution professionnelle à laquelle elle était en droit de prétendre dès lors qu'elle était agent contractuel jusqu'en fin 2015 et que conformément à sa demande présentée le 15 décembre 2015 elle a été nommée attachée territoriale stagiaire à temps complet dans le cadre de l'application du dispositif législatif de résorption de l'emploi précaire dès le 28 décembre 2015, et titularisée à compter du 1er janvier 2017, Mme A... justifie que cette situation ne résulte que des procédures contentieuses qu'elle a été contrainte d'engager. Elle établit ainsi, notamment, qu'elle avait initialement fait l'objet d'un refus de titularisation par arrêté du 5 décembre 2016 du maire de Matoury, fait valoir sans être contredite qu'elle a été le seul agent contractuel de la commune à qui la titularisation dans le cadre du dispositif de résorption de l'emploi précaire a été opposé, établit que ce refus de titularisation est intervenu malgré un avis défavorable émis par la commission administrative paritaire dans sa séance en date du 4 novembre 2016, justifie que cet avis rendu en sa faveur avait été motivé par le fait que " les griefs évoqués ne remettent pas en cause les compétences de l'agent. L'essentiel des reproches (...) semblent la conséquence du contexte : changement de gouvernance " et établit qu'elle avait été convoquée à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour insuffisance professionnelle par lettre du maire du 6 décembre 2016. Elle établit enfin que si elle a effectivement obtenu sa titularisation au 1er janvier 2017, ce n'est qu'à titre rétroactif par arrêté du 17 octobre 2017 du nouveau maire désigné en 2017 et que le Tribunal administratif de la Guyane a annulé pour erreur manifeste d'appréciation par un jugement du 19 octobre 2017 l'arrêté par lequel le maire de Matoury avait mis fin à son stage et refusé de la titulariser, cette annulation étant ainsi notamment motivée : " le maire de la commune a considéré, à la lecture de la décision attaquée, que ses aptitudes professionnelles étaient jugées insuffisantes pour permettre sa titularisation ; que, toutefois, la commune n'apporte aucun élément au soutien du motif sur lequel repose la décision de non-titularisation à l'issue du stage". Elle produit également un autre jugement du même Tribunal du 18 mai 2017 annulant pour erreurs de droit les décisions du maire de Matoury modifiant à la baisse l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires qu'elle percevait et lui attribuant une indemnité de mission au taux de 0,8 au lieu de 1,02.

7. En outre, la requérante produit plusieurs arrêts de travail pour " souffrance au travail " établis en 2015, une attestation et un compte rendu détaillé de visite médicale établis en octobre 2015 par le médecin du travail pour " souffrance au travail ", et un certificat médical établi par un médecin psychiatre du 11 août 2016 attestant qu'il a pris en charge la requérante depuis octobre 2015 pour une souffrance psychologique compatible avec une situation de harcèlement au travail.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres faits dont se prévaut la requérante, que les éléments de fait soumis à la Cour par Mme A... sont suffisants pour faire présumer l'existence d'agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Dans ces conditions, il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ou à toute discrimination.

9. A cet égard, si la commune fait valoir que les lettres de mise en garde et questionnaires qui lui ont été adressés par le maire et la directrice générale des services étaient justifiés par des erreurs personnelles de Mme A... et ses difficultés de positionnement tant hiérarchique qu'administratif, elle n'en justifie pas. Si elle soutient que Mme A... a conservé des missions correspondant à son grade d'attachée territoriale et que c'est dans le seul intérêt du service et pour des raisons objectives d'organisation du service que les missions initialement attribuées à Mme A... ont été orientées vers d'autres services et agents, elle n'assortit son moyen d'aucune précision quant aux motifs d'intérêt du service allégués. Si elle soutient que la commune n'a fait aucun obstacle à son évolution de carrière, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que Mme A... justifie du contraire.

10. Il résulte ainsi de ce précède que Mme A... doit être regardée comme justifiant qu'elle a fait l'objet d'un harcèlement moral au travail entre 2014 et 2017.

En ce qui concerne la protection fonctionnelle :

11. Mme A... fait valoir qu'elle a été l'objet en septembre et octobre 2015 dans le cadre de ses fonctions de faits de diffamation publique par voie d'un tract anonyme distribué aux agents de la commune et à certains habitants et d'un message électronique signé d'un collectif de " Matouriens en colère " inconnu, relatifs à des éléments internes à la collectivité et mettant gravement en cause son comportement professionnel, au sujet desquels elle établit avoir déposé une plainte, précise et détaillée, le 9 octobre 2015 à la compagnie de gendarmerie de Matoury, et que sa demande de protection fonctionnelle en date du 29 décembre 2015 est restée sans réponse. Les termes du tract et du courrier électronique en cause, qu'elle produit, rédigés dans un style agressif et trivial, mettent gravement en cause la probité, le comportement et les compétences professionnelles de la requérante en lui imputant divers comportements indélicats tout en la présentant comme faisant obstacle à la volonté de réforme du nouveau maire élu en 2014 et de la nouvelle directrice générale des services, ces derniers étant en revanche présentés en termes favorables.

12. Devant les premiers juges, qui l'ont expressément constaté au point 2 du jugement, la commune de Matoury est réputée avoir, en application des dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, acquiescé aux faits exposés par Mme A... non contraires aux pièces du dossier. Devant la Cour, la commune ne conteste ni l'existence ni le caractère diffamatoire du tract et du courrier électronique en cause, ni leur distribution auprès d'agents de la commune et d'habitants et ne soutient pas que la situation résulterait d'une faute personnelle de la requérante. Par ailleurs, il ressort de leurs termes qu'ils sont en lien avec les fonctions de la requérante et qu'ils portent gravement atteinte à son honneur et sa considération. Dans ces conditions, la requérante établit qu'elle a été victime en septembre et octobre 2015 de diffamations à l'occasion de ses fonctions au sens des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983.

13. La commune ne conteste pas qu'un refus implicite a été opposé à la demande de protection fonctionnelle formée par la requérante, n'apporte aucune explication au fait que cette protection fonctionnelle lui a été refusée, notamment pour les faits de diffamation publique, ne fait état d'aucun motif d'intérêt général qui aurait été susceptible de justifier de déroger à l'obligation d'apporter à son agent une protection fonctionnelle pour ces faits, et il ne ressort pas de l'instruction qu'un tel motif existait. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir que le maire de la commune de Matoury a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 11 juin 1983, engageant dans ses conditions la responsabilité de la commune. En outre, dans les circonstances particulières de l'espèce, le refus de protection fonctionnelle et le silence opposé aux demandes de protection formées par Mme A... doivent être regardés comme ayant participé au harcèlement moral subi par celle-ci dans son cadre professionnel.

Sur l'indemnité :

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... justifie avoir fait l'objet d'un harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions sur la période allant de l'année 2014 à l'année 2017, avoir été victime au cours de la même période de faits de diffamation publique à raison de ses fonctions et s'être vu à tort refuser la protection fonctionnelle demandée à raison de l'ensemble de ces faits. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que la commune de Matoury a commis des fautes engageant sa responsabilité à son égard. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en lui allouant une indemnité de 15 000 euros, laquelle sera assortie du versement des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015, date de la demande.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

17. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Matoury une somme de 3 000 euros à verser à Mme A... en application des dispositions précitées.

18. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la commune de Matoury une somme au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La commune de Matoury versera à Mme A... une somme de 15 000 euros, assortie du versement des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015, en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : Le surplus des conclusions indemnitaires de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Le jugement n° 1600278 du 20 avril 2017 du Tribunal administratif de la Guyane est réformé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A....

Article 4 : La commune de Matoury versera à Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Matoury à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Matoury.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 décembre 2019.

Le rapporteur,

L. E...

Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer et au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA22779


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA22779
Date de la décision : 20/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Laurence NOTARIANNI
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SEMONIN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-20;17pa22779 ?
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