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12/12/2019 | FRANCE | N°18PA03819

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 12 décembre 2019, 18PA03819


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de police du 8 mars 2017 prononçant son expulsion du territoire français et d'enjoindre au préfet de police d'examiner sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 1709086 du 11 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2018, le

préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1709086 du Tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de police du 8 mars 2017 prononçant son expulsion du territoire français et d'enjoindre au préfet de police d'examiner sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 1709086 du 11 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2018, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1709086 du Tribunal administratif de Paris en date du

11 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- l'arrêté du 8 mars 2018 est entaché d'une simple erreur matérielle sans incidence sur sa légalité, la situation de l'intéressé ayant bien été examinée au regard des dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en tout état de cause, le Tribunal aurait dû faire droit à la demande de substitution de base légale, qui ne privait M. E... d'aucune garantie ;

- les moyens soulevés en première instance par M. E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 9 avril 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de police ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 11 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et un titre de séjour dans un délai d'un mois, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un récépissé dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros à Me D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du

10 juillet 1991 ou, si l'aide juridictionnelle ne lui est pas accordée, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration ne dispose pas du même pouvoir d'appréciation pour appliquer les dispositions de l'article L. 521-5 et celles de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 8 mars 2017 est entaché d'incompétence, d'un défaut de motivation, d'un vice de procédure, d'une erreur de droit, d'une erreur de qualification juridique des faits, d'une méconnaissance de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de son état de santé.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

26 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de police fait régulièrement appel du jugement du 11 octobre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 8 mars 2017, par lequel il a prononcé l'expulsion du territoire français de M. E..., ressortissant nigérian, né le 2 janvier 1980.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-5 de ce code : " Les mesures d'expulsion prévues aux articles L. 521-1 à L. 521-3 peuvent être prises à l'encontre des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou d'un membre de leur famille, si leur comportement personnel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ".

3. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

4. Le préfet de police a, dans l'arrêté du 8 mars 2017, visé l'article L. 521-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et estimé, après avoir rappelé l'ensemble des condamnations pénales de M. E..., que sa présence en France constituait, compte tenu de l'ensemble de son comportement, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Il est constant que M. E... étant un ressortissant nigérian, l'article L. 521-5 ne pouvait servir de fondement légal à l'arrêté contesté.

5. Toutefois, eu égard à ses motifs, cet arrêté trouvait une base légale dans les dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui donne au préfet de police un pouvoir d'appréciation de même nature que celui dont il dispose dans le cadre de l'application de l'article L. 521-5 du même code, au regard de critères similaires. En outre, la reconnaissance de l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société implique, a fortiori, l'existence d'une menace grave pour l'ordre public. Par suite, les dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peuvent être substituées comme fondement de l'arrêté du 8 mars 2017 à celles de l'article L. 521-5 du même code.

6. Le préfet de police est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a refusé de faire droit à la demande de substitution de base légale qu'il avait présentée dans son mémoire en défense et a annulé l'arrêté litigieux au motif qu'il était fondé sur les dispositions inapplicables à l'espèce de l'article L. 521-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant la Cour.

Sur la légalité de l'arrêté du 8 mars 2017 :

8. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ".

9. Pour considérer que la présence en France de M. E... constituait une menace grave pour l'ordre public, le préfet de police s'est fondé sur les huit condamnations pénales prononcées à son encontre au cours des années 2004, 2007, 2008, 2009 et 2015, notamment pour des faits de vol, détention et trafic de stupéfiants, violation de domicile, rébellion, outrage et violence à l'encontre d'une personne chargée d'une mission de service public, ainsi que sur ce que l'ensemble de son comportement était constitutif d'une menace grave pour l'ordre public.

10. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la plus lourde peine prononcée à l'encontre de M. E... est une peine de 8 mois de prison dont deux avec sursis intervenue en 2015. Il ressort également des rapports établis par le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation assurant le suivi judiciaire de l'intéressé, par l'association Les Enfants du Canal qui gère le centre d'hébergement d'urgence où il réside et par le service d'appui " santé mentale et exclusion sociale " du centre hospitalier Sainte-Anne, que M. E..., qui travaille depuis le mois de juillet 2015 pour la société Pro-Insert, s'est inscrit dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle. La commission d'expulsion, qui a été saisie de sa situation, a d'ailleurs émis un avis défavorable à son expulsion. Dans ces conditions, la présence sur le territoire français de l'intéressé ne pouvait être regardée, à la date de l'arrêté contesté, comme constitutive d'une menace grave pour l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. E... est ainsi fondé à soutenir que l'arrêté du 8 mars 2017 prononçant son expulsion est entaché d'une erreur d'appréciation et à en demander l'annulation.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 8 mars 2017.

Sur l'appel incident de M. E... :

12. Par l'arrêté litigieux du 8 mars 2017 le préfet de police a ordonné l'expulsion de M. E... sans se prononcer sur la demande de titre de séjour que celui-ci avait déposé au cours de l'année 2016 et dont le préfet de police reste saisi. Par suite, l'annulation de cet arrêté n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions de M. E... tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 octobre 2018 en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent dès lors être rejetées. Pour les mêmes motifs, les conclusions à fin d'injonction présentées en appel ne pourront qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

13. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

26 mars 2019. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles

L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros, sous réserve que Me D..., avocat de M. E..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : L'État versera la somme de 1 000 euros à Me D..., avocat de M. E..., en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. E... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03819


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03819
Date de la décision : 12/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02-03 Étrangers. Expulsion. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : LOIRE-HENOCHSBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-12;18pa03819 ?
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