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02/12/2019 | FRANCE | N°19PA01597

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 02 décembre 2019, 19PA01597


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 24 décembre 2018 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités polonaises.

Par un jugement n° 1900149/8 du 8 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 mai 2019, M. B... représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900149/8 du 8 avril 2019 du tribun

al administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 24 décembre 2018 ;

3°) d'en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 24 décembre 2018 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités polonaises.

Par un jugement n° 1900149/8 du 8 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 mai 2019, M. B... représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900149/8 du 8 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 24 décembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui reconnaitre le statut de réfugié ou de lui délivrer une carte de séjour " malade " en raison des problèmes de santé de son épouse ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Il soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les articles 3 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît son droit d'aller et venir ;

- elle méconnaît l'interdiction faite par l'article L. 521-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'éloigner un étranger malade ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatives à la clause de souveraineté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 mai 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme A... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant russe, né le 19 mars 1986, est entré irrégulièrement en France en compagnie de son épouse enceinte, et de leurs deux filles. Le 16 octobre 2018, à Clamart, son épouse a donné naissance à son enfant qui décèdera le jour même. Le 2 novembre 2018, M. B... s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile. Le système " Eurodac " ayant fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées par les autorités polonaises le 8 octobre 2018, le préfet de police a saisi la Pologne le 12 novembre 2018 d'une demande de reprise en charge qu'elle a acceptée le 23 novembre 2018. Par arrêté du 24 décembre 2018, le préfet de police a décidé le transfert de M. B... aux autorités polonaises au motif qu'elles sont responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. B... relève appel du jugement du 8 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'octroi de l'aide juridictionnelle :

2. M. B... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 mai 2019, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, qui ont perdu leur objet.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

3. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ". L'article 3 de la même convention stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Selon l'article 5 de la même convention, " Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) ".

5. M. B... soutient, d'une part, que l'arrêté contesté méconnaît les stipulations des articles 2, 3 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que les conditions d'accueil en Pologne des demandeurs d'asile seraient défaillantes. Toutefois, le rapport élaboré en 2011 par l'association des peuples menacés produit par le requérant, compte tenu de son caractère très général et de son ancienneté, ne suffit pas à lui seul à établir que son transfert en Pologne l'exposerait à des risques sérieux de ne pas être traité par les autorités polonaises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. De même, et alors que la Pologne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. B... ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques sérieux de traitements inhumains ou dégradants. Dès lors, le préfet n'a pas méconnu les stipulations des articles 2, 3 et 5 de la convention européenne de sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales en prenant la décision attaquée.

6. M. B... soutient, d'autre part, que l'arrêté attaqué porte atteinte à sa liberté d'aller et venir. Toutefois, la décision de transfert contestée ne présente pas le caractère d'une mesure privative de liberté au sens de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen n'est donc pas davantage fondé.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 5° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".

8. Si M. B... soutient que l'état de santé de son épouse ne serait pas compatible avec un transfert en Pologne, il ne saurait toutefois se prévaloir des dispositions de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne trouvent à s'appliquer qu'aux étrangers faisant l'objet d'une procédure d'expulsion. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu en prenant la décision attaquée les dispositions de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'État membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

10. La faculté pour les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Si M. B... soutient que l'état de santé de son épouse nécessite son maintien sur le territoire français, le requérant se borne à reproduire en appel une facture produite en première instance relative à un soin effectué en novembre 2018 et dont le contenu ne permet pas de déterminer si son épouse souffre effectivement d'une pathologie, ni d'attester de la nécessité de soins de santé. En outre, si M. B... allègue que son épouse ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge médicale adaptée en Pologne, il ne l'établit pas. Le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 en ne décidant pas de l'admettre à déposer sa demande d'asile en France doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.

Le rapporteur,

A. A...Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 19PA01597


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01597
Date de la décision : 02/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SOUDMAND

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-02;19pa01597 ?
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