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02/12/2019 | FRANCE | N°18PA03632

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 02 décembre 2019, 18PA03632


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande du 22 mars 2016 tendant à ce qu'il soit autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an, et, d'autre part, d'annuler la décision du 25 juillet 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à être autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de

notaire pendant un an.

Par un jugement n°s 1610279/6-3 et 1616120/6-3 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande du 22 mars 2016 tendant à ce qu'il soit autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an, et, d'autre part, d'annuler la décision du 25 juillet 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à être autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an.

Par un jugement n°s 1610279/6-3 et 1616120/6-3 du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2018, M. C..., représenté par la SELAS Saint Yves Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 1610279/6-3 et 1616120/6-3 du 20 septembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 25 juillet 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à être autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la signataire de la décision contestée ne justifie pas d'une délégation de signature régulière ;

- la décision litigieuse du 25 juillet 2016 est intervenue hors délai et doit être annulée de ce chef ;

- la décision entreprise, qui a pour objet de mettre fin aux fonctions du requérant par décision du ministre de la justice, ne revêt pas la forme requise de l'arrêté, n'a pas été prise par le ministre ou son délégué, et n'a pas été publiée au Journal officiel ; méconnaissant ainsi le parallélisme des formes, elle est entachée d'un vice de procédure ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016, sur lequel est fondé la décision querellée, méconnaît le principe de sécurité juridique en ce que, d'une part, il porte atteinte de manière brutale à des situations légalement acquises, et d'autre part, en ce qu'il ne prévoit aucune disposition transitoire de nature à atténuer cette brutalité, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 porte atteinte au droit de propriété et au droit au respect de ses biens en ce qu'il empêche les notaires ayant atteint la limite d'âge pour exercer leur activité de mettre en oeuvre leur droit de présentation dans des conditions normales ;

- les dispositions du décret du 20 mai 2016, d'une part, créent une rupture d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles conduisent à réserver un traitement différent aux notaires de moins de 70 ans, aux notaires dont l'âge est compris entre 70 ans et 71 ans, et aux notaires ayant atteint l'âge de 71 ans, et, d'autre part, sont contraires au principe d'égalité devant la loi en ce que les modalités d'application du nouvel article 2 de la loi du 25 ventôse an XI prévues par ce décret (dispositions transitoires) créent une différence de traitement disproportionnée au regard de la différence de situation existant entre les notaires dont l'âge est inférieur à 69 ans 10 mois, les notaires dont l'âge est compris entre 70 ans et 71 ans et les notaires dont l'âge est supérieur à 71 ans ;

- les articles 3, 12 et 16 du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 sont entachés d'illégalité en ce qu'ils ont été pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 25 ventôse An XI, modifié par l'article 53 de la loi du 6 août 2015, qui est incompatible avec le droit de l'Union européenne ; en effet, en fixant un âge au-delà duquel il est interdit aux notaires d'exercer leurs fonctions, l'article 53 de la loi du 6 août 2015 méconnaît la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, interprétée à la lumière des principes énoncés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'article 53 de la loi du 6 août 2015, en ce qu'il impose un départ à la retraite des notaires à l'âge de 70 ans sans prévoir de mesures transitoires effectives, doit être déclaré invalide au motif de la violation du principe de non-discrimination telle qu'édicté par le Conseil et le parlement de l'Union Européenne et interprété par la Cour de Justice de l'Union européenne ;

- la décision de rejet litigieuse ne prend pas en considération les circonstances propres du requérant, qu'il a exposées dans sa demande de prolongation d'activité du 22 mars 2016, à savoir la nécessité dans laquelle il se trouvait d'assurer une transition qui exigeait un laps de temps largement supérieur à quelques mois.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient, à titre principal, que les conclusions dirigées contre le courrier du 25 juillet 2016 sont irrecevables et, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive du Conseil n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ;

- la loi du 25 ventôse an XI ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- la décision n° 2015-715 DC du Conseil constitutionnel du 5 août 2015 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- l'arrêté du 1er décembre 2014 fixant l'organisation en sous-directions de la direction des affaires civiles et du sceau ;

- l'arrêté du 1er décembre 2014 fixant l'organisation en bureaux de la direction des affaires civiles et du sceau ;

- la décision du 9 mars 2016 portant délégation de signature (direction des affaires civiles et du sceau) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me D... de la SELAS Saint Yves Avocats, avocat de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article 53 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a instauré une limite d'âge à l'exercice des fonctions de notaire. Aux termes des dispositions de l'article 2 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, dans leur rédaction issue de l'article 53 de la loi du 6 août 2015 : " Les notaires cessent d'exercer leurs fonctions lorsqu'ils atteignent l'âge de soixante-dix ans. Sur autorisation du ministre de la justice, ils peuvent continuer d'exercer leurs fonctions jusqu'au jour où leur successeur prête serment, pour une durée qui ne peut excéder douze mois. ". Le II de l'article 53 de la loi du 6 août 2015 a prévu l'entrée en vigueur de ces dispositions le premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la loi, soit le 1er août 2016, et a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer leurs conditions d'application.

2. En application de ces dispositions, le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels a modifié le décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire, en y insérant un article 58-1 disposant que " La demande d'autorisation de prolongation d'activité prévue à l'article 2 de la loi du 25 ventôse an XI (...) est présentée au garde des sceaux, ministre de la justice, par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice, au plus tard deux mois avant le soixante-dixième anniversaire du demandeur (...). / Le délai de douze mois prévu pour la prolongation d'activité court à compter du soixante-dixième anniversaire de l'intéressé. ". Le IV de l'article 16 du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 a en outre précisé que " Par dérogation aux dispositions [de l'article] 58-1 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 (...), les notaires (...) nés entre le 2 août 1945 et le 1er octobre 1946 peuvent solliciter l'autorisation de prolongation d'activité jusqu'au 30 septembre 2016. Ils bénéficient, jusqu'à cette date, d'une autorisation de plein droit de poursuivre leur activité. En cas de demande formée avant cette date, l'autorisation est automatiquement prorogée jusqu'à la date de notification de la réponse du garde des sceaux, ministre de la justice. / Les deux alinéas précédents ne peuvent avoir pour effet de permettre aux personnes visées au premier alinéa d'exercer leurs fonctions au-delà de la date de leur soixante-et-onzième anniversaire ".

3. Par sa décision susvisée n° 2015-715 DC du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en fixant à soixante-dix ans l'âge limite pour l'exercice des fonctions de notaire, et en permettant une prolongation d'activité pendant une durée maximale d'un an avant que leur successeur ne prête serment, le législateur, qui a entendu " favoriser l'accès aux offices existants et le renouvellement de leurs titulaires ", a poursuivi un objectif d'intérêt général, n'a pas porté à la liberté d'entreprendre de ces professionnels, qui sont des officiers publics collaborateurs directs du service public de la justice, une atteinte disproportionnée et n'a méconnu aucune autre exigence constitutionnelle. Il a, en conséquence, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 53 de la loi du 6 août 2015 en tant qu'elles modifient l'article 2 de la loi du 25 ventôse an XI.

4. Par un courrier du 22 mars 2016, M. B... C..., né le 14 février 1945, a présenté au ministre de la justice, sur le fondement de l'article 53 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, une demande d'autorisation de prolongation d'un an de son activité de notaire. Par un courrier du 25 juillet 2016, le ministre de la justice a rejeté sa demande au motif qu'il ne pourra pas bénéficier des dispositions relatives à la prolongation d'activité dans la mesure où il aura dépassé l'âge de 71 ans au moment de l'entrée en vigueur des dispositions précitées, et lui a précisé qu'il devait cesser ses fonctions de notaire à partir du 1er août 2016.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la décision litigieuse du 25 juillet 2016 serait intervenue hors délai :

5. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. La circonstance qu'en l'espèce une décision implicite de rejet soit née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la demande de M. C..., préalablement à ce que celui-là prenne sa décision du 25 juillet 2016, est sans incidence sur la légalité de cette dernière.

En ce qui concerne les moyens tirés, par la voie de l'exception, de l'illégalité du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 :

Quant au moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché le décret du 20 mai 2016 en ce qu'il ne prévoit pas que la cessation des fonctions d'un notaire nécessite l'intervention d'un arrêté ministériel :

6. En ne prévoyant pas que la cessation des fonctions d'un notaire nécessite l'intervention d'un arrêté ministériel, le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 s'est, en tout état de cause, borné à tirer les conséquences des nouvelles dispositions de l'article 2 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, issues de l'article 53 de la loi du 6 août 2015, en vertu desquelles les notaires cessent d'exercer leurs fonctions lorsqu'ils atteignent l'âge de soixante-dix ans, même s'ils peuvent, sur autorisation du ministre de la justice, continuer de les exercer jusqu'au jour où leur successeur prête serment, pour une durée qui ne peut excéder douze mois. Le moyen tiré de ce que ce décret aurait, ce faisant, méconnu la règle du parallélisme des formes, à le supposer opérant alors même qu'il n'est pas soulevé pour contester les formes dans lesquelles le décret lui-même est intervenu, doit, par suite, être écarté.

Quant au moyen tiré de la méconnaissance des principes de confiance légitime et de sécurité juridique :

7. Il incombe à l'autorité réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

8. En ce qui concerne les notaires nés, comme le requérant, avant le 1er août 1945, qui avaient atteint l'âge de 71 ans à la date du 1er août 2016, il résulte de ce qui a été dit que les dispositions législatives issues de la loi du 6 août 2015, déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2015-715 DC du Conseil constitutionnel, font obstacle à ce qu'ils puissent bénéficier d'une prolongation d'activité à compter du 1er août 2016, date d'entrée en vigueur de la loi.

9. En ce qui concerne les notaires nés entre le 2 août 1945 et le 1er octobre 1946, d'une part, il résulte, ainsi qu'il vient d'être dit, des termes mêmes de la loi du 6 août 2015 que l'exercice de l'activité ne peut se prolonger au-delà de leur soixante-et-onzième anniversaire, le décret du 20 mai 2016 se bornant, sur ce point, à tirer les conséquences qui découlent de la loi elle-même. D'autre part, il résulte des dispositions du décret du 20 mai 2016 que, lorsqu'un de ces notaires demande à bénéficier d'une prolongation d'activité jusqu'à son soixante-et-onzième anniversaire, il bénéficie de plein droit d'une telle autorisation jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande. Enfin, le principe de sécurité juridique ne fait pas obstacle à ce que le ministre de la justice, lorsqu'il est saisi d'une telle demande, puisse, eu égard aux intérêts publics et privés en cause, refuser d'accorder l'autorisation sollicitée.

10. Au demeurant, les notaires ont pu, à compter de la promulgation de la loi du 6 août 2015, publiée au Journal officiel du 7 août 2015, dont l'entrée en vigueur en ce qui concerne les dispositions en cause était reportée au premier jour du douzième mois suivant, et en dépit de ce que les mesures réglementaires d'application n'ont été édictées que par le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016, bénéficier d'un délai suffisant pour exercer leur droit de présentation afin d'organiser la transmission de leur office ou la cession de leurs parts de la société exploitant l'office.

11. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 méconnaît les principes de confiance légitime et de sécurité juridique doit être écarté, y compris en ce qu'il ne prévoit pas l'intervention d'un acte d'une autorité administrative pour mettre fin aux fonctions d'un notaire.

Quant aux moyens tirés de la méconnaissance du droit au respect des biens protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que du principe de non-discrimination garanti par le droit de l'Union européenne :

12. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

13. Aux termes du 1 de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. ". Le 1 de son article 52 précise que : " Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. ". La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, qui vise à lutter contre les discriminations fondées notamment sur l'âge, précise au paragraphe 1 de son article 6 que " les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées à la lumière des principes énoncés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'au nombre de ces objectifs légitimes figurent, compte tenu de la marge d'appréciation dont disposent les Etats membres en matière de politique sociale, la politique nationale visant à promouvoir l'accès à l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations et la promotion de l'accès des jeunes à l'exercice d'une profession.

14. Par l'instauration d'une limite d'âge à l'exercice des fonctions de notaire, qui constitue une différence de traitement en fonction de l'âge et une mesure réglementant l'usage d'un bien au sens des stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention en ce qu'elle est susceptible d'affecter l'exercice par ces professionnels du droit de présentation de leur successeur, le législateur a poursuivi un objectif légitime tenant au renouvellement de ces professions et à une meilleure ouverture de leur accès à des jeunes professionnels. La limite d'âge qu'il a instaurée, fixée à soixante-dix ans avec la possibilité d'une autorisation de prolongation de l'activité pendant une durée maximale de douze mois, est supérieure tant à celle de la plupart des législations comparables qu'à l'âge effectif auquel la plupart de ces professionnels cessent, en pratique, leur activité. Si le législateur a renvoyé au décret le soin de préciser, notamment, les modalités transitoires de mise en oeuvre de cette nouvelle règle, il a prévu qu'elle entrerait en vigueur dès le 1er août 2016, près d'un an après la promulgation de la loi, afin d'entamer rapidement la mise en oeuvre des objectifs poursuivis. Dans le cadre ainsi fixé par la loi, le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 a précisé les conditions pour bénéficier de la prolongation maximale d'un an ainsi que les mesures transitoires applicables aux notaires nés entre le 2 août 1945 et le 1er octobre 1946, sans toutefois permettre que, à compter du 1er août 2016, un notaire ayant atteint ou atteignant son soixante-et-onzième anniversaire puisse prolonger son activité, cette interdiction résultant de la loi. Les professionnels concernés, qui étaient informés dès la promulgation de la loi, soit près d'un an avant son entrée en vigueur effective, de l'application de cette nouvelle règle, étaient en mesure de préparer au cours de cette période la cession de leur office ou de leurs parts dans la société titulaire de l'office. En outre, le dispositif prévoyant la possibilité de faire gérer un office par un suppléant pendant une durée d'un an renouvelable une fois, permet de prolonger encore la période pendant laquelle les notaires déjà atteints par la limite d'âge peuvent procéder à cette cession. Au demeurant, les notaires conservent la possibilité, en cas de préjudice grave et spécial résultant de l'application de la limite d'âge instaurée par la loi, d'en demander réparation à l'Etat sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Dans ces conditions, cette mesure, qui est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi, est légitime et, d'une part, justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l'âge et revêt un caractère approprié et nécessaire, d'autre part, ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment en ce qui concerne, en l'espèce, l'atteinte alléguée à l'aspect patrimonial des fonctions de notaire et la dévalorisation du droit de présentation.

15. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que l'article 53 de la loi du 6 août 2015 et le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 méconnaîtraient les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les objectifs de la directive du 27 novembre 2000, interprétée à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des principes généraux du droit de l'Union européenne, doivent être écartés.

Quant au moyen tiré de ce que les dispositions du décret du 20 mai 2016, d'une part, créent une rupture d'égalité devant les charges publiques et, d'autre part, sont contraires au principe d'égalité devant la loi :

En ce qui concerne la première branche du moyen :

16. D'une part, comme il a été dit, les dispositions du décret du 20 mai 2016 ne portent pas atteinte à la valeur patrimoniale des offices notariaux. D'autre part, comme il a été dit, le nouvel article 2 de la loi du 25 ventôse an XI repose sur un objectif d'intérêt général, le Conseil constitutionnel ayant jugé, dans sa décision susvisée n° 2015-715 DC du 5 août 2015, qu'" en instaurant une limite d'âge pour l'exercice des professions de notaire, huissier de justice, commissaire-priseur judiciaire et greffier de tribunal de commerce, le législateur a entendu favoriser l'accès aux offices existants et le renouvellement de leurs titulaires ; qu'il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général " ; par voie de conséquence, les mesures transitoires prévues par cette loi et détaillées par le décret du 20 mai 2016 reposent, elles-aussi, sur un objectif d'intérêt général. Au surplus, les prétendues différences de situation qui existeraient entre les notaires de moins de 70 ans, les notaires dont l'âge est compris entre 70 ans et 71 ans et les notaires ayant atteint l'âge de 71 ans résultent de l'application du seul nouvel article 2 de la loi du 25 ventôse an XI créant une limite d'âge pour exercer les fonctions de notaire, les mesures transitoires législatives et réglementaires n'ayant pour objet et pour effet que de moduler dans le temps l'instauration de cette limite d'âge.

En ce qui concerne la seconde branche du moyen :

17. La branche du moyen tirée de ce que le décret du 20 mai 2016, en mettant en oeuvre la limite d'âge prévue par la loi, méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi en instaurant une différence de traitement entre les professionnels concernés selon la date à laquelle ils sont nés, qui reviennent à contester devant le juge administratif la conformité de la loi elle-même à la Constitution, ne peuvent être utilement invoqués en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution.

En ce qui concerne les moyens visant spécifiquement la décision attaquée, tirés de l'incompétence de son auteur, du vice de procédure dont elle serait entachée du fait de la méconnaissance du parallélisme des formes et de la circonstance qu'elle n'aurait pas en considération les circonstances propres du requérant exposées dans sa demande de prolongation d'activité du 22 mars 2016 :

18. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions législatives issues de la loi du 6 août 2015 font obstacle à ce qu'un notaire né avant le 1er août 1945 puisse bénéficier d'une autorisation de prolongation d'activité. M. C... étant né le 14 février 1945, l'autorité administrative était donc tenue de rejeter sa demande. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, de ce que cette décision serait entachée d'un vice de procédure et de ce que l'administration n'aurait pas procédé à un examen des circonstances de fait propres à la situation du requérant, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande du 22 mars 2016 tendant à ce qu'il soit autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an, et, d'autre part, à l'annulation de la décision du 25 juillet 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à être autorisé à continuer d'exercer ses fonctions de notaire pendant un an ; par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme Collet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.

Le rapporteur,

I. A...Le président,

J. LAPOUZADELe greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

9

N° 18PA03632


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03632
Date de la décision : 02/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

55-03-05-03 Professions, charges et offices. Conditions d'exercice des professions. Professions s'exerçant dans le cadre d'une charge ou d'un office. Notaires.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SAINT YVES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-02;18pa03632 ?
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