Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Aptineo a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations de retenue à ....
Par un jugement n° 1714531 du 2 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 juin et 30 octobre 2018, la société Aptineo, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1714531 du Tribunal administratif de Paris en date du 2 mai 2018 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations de retenue à ... ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité en raison du refus de l'administration de faire droit à sa demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; elle est fondée à se prévaloir de la doctrine administrative publiée au BOI-CF-CMSS-20-30 ;
- l'avis de mise en recouvrement est irrégulier, dès lors que sa date n'est pas clairement identifiable et qu'il n'indique ni les voies et délais de recours, ni qu'il déclenche le délai de l'action en recouvrement ; que la décision concomitante l'informant d'une compensation fiscale entre cette dette et un crédit d'impôt dont elle était titulaire et la mise en demeure de payer sont elles-mêmes irrégulières ;
- l'article 11 de la convention fiscale franco-tunisienne fait obstacle à l'application de la retenue à ... ;
- s'agissant des pénalités infligées sur le fondement du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts, le défaut de mention de la taxe sur la valeur ajoutée exigible sur les achats de prestations de services réalisés auprès de la société Aptineo Tunisie est imputable au cabinet comptable ;
- il n'y avait pas lieu de lui appliquer une pénalité pour défaut de déclaration des versements passibles de retenue à ....
Par un mémoire en défense enregistré le 23 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Aptineo ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 28 mai 1973 entre la France et la Tunisie tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Aptineo, qui exerce une activité de conseil et d'expertise en systèmes d'information, a versé, au cours des exercices clos en 2013 et 2014, des sommes à la société de droit tunisien Aptineo Tunisie, dont elle détenait 99 % des parts, en contrepartie de prestations de service utilisées en France. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle elle a été assujettie, à raison de ces sommes, à des cotisations de retenue à .... Le service a par ailleurs infligé à la société Aptineo des pénalités sur le fondement des dispositions du 4 de l'article 1788 A du même code. La société Aptineo relève appel du jugement en date du 2 mai 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations et pénalités.
Sur les conclusions à fin de décharge des cotisations de retenue à ... :
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
3. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I. - Donnent lieu à l'application d'une retenue à ... à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / (...) / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. ".
4. Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à ... à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente en rémunération de prestations qui sont soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.
5. Il est constant que les cotisations litigieuses de retenue à ..., à la société Aptineo Tunisie, qui n'y dispose d'aucune installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations de services effectivement utilisées en France. C'est dès lors à bon droit que le service a assujetti la société Aptineo à ces cotisations sur le fondement des dispositions précitées de l'article 182 B du code général des impôts.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-tunisienne :
6. Aux termes de l'article 1er de la convention susvisée entre la France et la Tunisie tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale : " 1. La présente Convention s'applique aux personnes qui sont résidents d'un Etat contractant ou de chacun des deux Etats. (...) ". L'article 3 de cette convention stipule : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue. / (...) ". Aux termes de l'article 9 de la même convention : " (...) / 3. Les impôts actuels auxquels s'applique la convention sont : / (...) / b) En ce qui concerne la Tunisie : - l'impôt de la patente / (...). 4. La Convention s'appliquera aussi aux impôts futurs de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 11 de ladite convention : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. (...) ".
7. Les stipulations de l'article 3 de la convention fiscale entre la France et la Tunisie citées ci-dessus doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but. Il résulte des termes mêmes de ces stipulations, conformément à leur objet, qui est d'éviter les doubles impositions, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'État concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. Si les stipulations de l'article 11 de la même convention font obstacle à l'imposition de revenus soumis à l'imposition exclusive d'un État contractant par l'autre État contractant, même par voie de retenue à ....
8. La société requérante soutient qu'au titre des années 2013 et 2014, la société Aptineo Tunisie était résidente de Tunisie au sens de la convention entre la France et la Tunisie et que les stipulations précitées du 1 de l'article 11 de cette convention faisaient dès lors obstacle à l'application de la retenue à .... Si le ministre fait valoir qu'en vertu de la législation tunisienne, et en particulier des dispositions du code tunisien d'incitation aux investissements, la société Aptineo Tunisie devait être considérée comme non résidente fiscale de Tunisie, il résulte toutefois de l'instruction, et en particulier des attestations de paiement établies en 2016 par les autorités fiscales tunisiennes, que cette société a été assujettie en Tunisie, au titre des exercices clos en 2013 et 2014, à des cotisations d'impôt sur les bénéfices des sociétés, ainsi que le reconnaît d'ailleurs le ministre. Contrairement à ce que soutient celui-ci, cet impôt doit être regardé comme un impôt identique ou analogue à l'impôt de la patente, au sens des stipulations précitées de l'article 9 de la convention, alors même qu'il a été calculé par application d'un taux réduit de 10 %, inférieur au taux de droit commun de l'impôt tunisien sur les bénéfices des sociétés. La société Aptineo Tunisie doit, par suite, être regardée comme résidente de Tunisie au titre des années 2013 et 2014, alors qu'il est en outre constant que cette société ne disposait en France d'aucun établissement stable au cours des mêmes années. Les stipulations précitées de l'article 11 de la convention faisaient dès lors obstacle à ce que les rémunérations versées à cette société, et qui constituaient des bénéfices de celle-ci, soient imposées en France par voie de retenue à .... Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, la société Aptineo est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations de retenue à ....
Sur les conclusions à fin de décharge des pénalités infligées sur le fondement du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts :
12. Aux termes de l'article 1788 A du code général des impôts : " (...) / 4. Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible. / (...) ".
13. Dès lors que la société Aptineo a omis de déclarer la taxe sur la valeur ajoutée exigible à raison des prestations immatérielles fournies par la société Aptineo Tunisie sur la déclaration prévue par l'article 287 du même code, c'est par une exacte application des dispositions précitées de l'article 1788 A du code général des impôts que l'administration a assorti d'une amende égale à 5 % du montant des sommes déductibles, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge, la triple circonstance que le défaut de mention de la taxe exigible serait imputable à une erreur comptable, que la société est de bonne foi et n'a pas omis de reverser la taxe sur la valeur ajoutée au trésor public étant à cet égard sans incidence sur le bien fondé de l'amende appliquée. La société requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge de ces pénalités.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Aptineo est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations de retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, et des intérêts de retard et pénalités y afférents.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais que la société Aptineo a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Aptineo est déchargée des cotisations de retenue à ....
Article 2 : Le jugement n° 1714531 du 2 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à la société Aptineo la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Aptineo est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Aptineo et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques (Direction de contrôle fiscale d'Île-de-France et du département de Paris, division juridique ouest).
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 novembre 2019.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02195