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24/10/2019 | FRANCE | N°19PA00653

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 24 octobre 2019, 19PA00653


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2018 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1818392/8 du 31 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 février 2019 et le 8 juillet 2019, Mme A..., représen

tée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1818392/8 du 31 décembre 2018 du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2018 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1818392/8 du 31 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 février 2019 et le 8 juillet 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1818392/8 du 31 décembre 2018 du magistrat désigné par le président au tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2018 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et d'examiner sa demande d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme A... soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 ont été méconnues ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 et les droits de la défense ont été méconnus ;

- le préfet de police a commis une erreur manifeste d'appréciation et a méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;

- l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;

- le préfet de police a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juillet 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Le préfet de police soutient que la requête n'est pas dépourvue d'objet, en raison de la fuite de Mme A....

Par une décision du 19 mars 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis Mme A... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité bangladaise, s'est présentée le 17 août 2018 au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris, aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressée avait présenté une demande d'asile auprès des autorités italiennes le 23 août 2017. Le 22 août 2018, le préfet de police a adressé aux autorités italiennes une demande de reprise en charge de Mme A..., en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités italiennes ont implicitement accepté le 6 septembre 2018 de reprendre en charge l'intéressée. Par un arrêté du 10 octobre 2018, le préfet de police a décidé de remettre Mme A... à ces autorités. Mme A... fait appel du jugement du 31 décembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul Etat, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet Etat, dit Etat membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du chapitre II. Si l'Etat membre responsable est différent de l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet Etat, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

3. L'arrêté du 10 octobre 2018 comprend l'ensemble des mentions requises par les principes mentionnés au point 2, dès lors qu'il vise les règlements communautaires n° 604/2013, n° 1560/2003 et n° 343/2003 relatifs à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile dans les Etats membres de l'Union européenne et mentionne les éléments de fait relatifs à la situation personnelle de Mme A..., notamment la circonstance que l'examen de ses empreintes digitales a révélé qu'elle a déposé une demande d'asile en Italie le 23 août 2017 et que les autorités italiennes ont accepté de la reprendre en charge le 6 septembre 2018. En outre, cet arrêté vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A... et que l'intéressée n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Cet arrêté est ainsi suffisamment motivé.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre le 17 août 2018, lors de sa présentation au guichet unique des demandeurs d'asile, ainsi qu'en atteste sa signature sur ces documents, plusieurs documents en bengali, langue que la requérante a déclaré comprendre, dont l'un est intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A), l'autre " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B). Elle a également reçu la brochure intitulée " Les empreintes digitales et Eurodac " ainsi que le " Guide du demandeur d'asile en France ". Le moyen tiré de ce que Mme A... n'a pas reçu communication des brochures requises dans une langue qu'elle comprend, en méconnaissance de l'article 4 du règlement 604/2013, manque ainsi en fait.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié d'un entretien individuel le 17 août 2018, effectué par un agent qualifié de la préfecture de police et avec l'assistance d'un interprète en langue bengali, au cours duquel elle a été informée qu'elle ferait l'objet d'une procédure de reprise en charge par les autorités italiennes et a pu présenter des observations orales. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2003 manque ainsi en fait.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

9. Si Mme A... fait valoir qu'elle n'était pas physiquement en état de voyager vers l'Italie compte tenu de sa grossesse, dont la date de début médicalement constatée est le 1er septembre 2018 pour un accouchement prévu le 1er juin 2019, et qu'elle bénéficie d'un suivi médical du fait de son état de santé et de sa grossesse, les pièces médicales qu'elle produit n'établissent pas qu'elle n'était pas en mesure de voyager vers l'Italie à la date de l'arrêté attaqué, soit le 10 octobre 2018, l'intéressée se bornant à produire sur ce point un certificat médical du 16 décembre 2018 contre-indiquant des déplacements supérieurs à une heure pour une durée de deux mois et des pièces relatives à sa grossesse ne faisant état d'aucune difficulté médicale, ni qu'elle ne pourrait bénéficier d'un suivi médical éventuellement nécessaire en Italie. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté, la circonstance que les deux enfants ainés de Mme A..., nés en 2011 et 2015, aient été scolarisés en France étant sans incidence, dès lors que ces enfants font également l'objet d'une décision de remise aux autorités italiennes et qu'il n'est pas allégué qu'ils ne pourraient être scolarisés en Italie.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., son époux et ses deux enfants sont entrés sur le territoire français récemment, l'ensemble de la famille faisant l'objet d'une décision de remise aux autorités italiennes. La requérante ne fait état d'aucun obstacle à un maintien de la cellule familiale, y compris avec l'enfant né postérieurement à l'arrêté attaqué, en Italie. Dans ces conditions, le préfet de police n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A... une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi et n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers assignés à résidence (...) se voient remettre une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, sur les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ". Mme A... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions, relatives aux assignations à résidence, pour contester une décision de remise aux autorités italiennes.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président au tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doit dès lors être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme D..., présidente,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.

Le rapporteur,

F. E...La présidente,

S. D... Le greffier,

M. B...La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00653


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00653
Date de la décision : 24/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : REGHIOUI

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-24;19pa00653 ?
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