La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/10/2019 | FRANCE | N°18PA01931

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 octobre 2019, 18PA01931


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 février 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a accordé à la société Lancry Protection Sécurité (LPS) l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1703088/3-3 du 10 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 8 juin 2018

, 23 août 2018 et 6 octobre 2019, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 février 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a accordé à la société Lancry Protection Sécurité (LPS) l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1703088/3-3 du 10 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 8 juin 2018, 23 août 2018 et 6 octobre 2019, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 10 avril 2018 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société LPS la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif n'est pas suffisamment motivé dès lors qu'il n'apporte aucune précision sur les éléments de fait et de droit énoncés dans sa demande ;

- le tribunal n'a pas répondu à deux moyens opérants, tirés de son appartenance syndicale et de la nullité de la clause de mobilité géographique insérée à l'article 4 de son contrat de travail ;

- les termes employés par les premiers juges révèlent une violation du principe d'impartialité, en méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision ministérielle du 21 février 2017 n'est pas suffisamment motivée ; elle n'évoque pas le motif de droit retenu par l'inspectrice du travail dans sa décision du 29 juillet 2016, tiré de l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Paris le 20 janvier 2015 ; en outre, elle ne vise pas son appartenance syndicale ni son mandat de défenseur syndical ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que la légalité de la décision ministérielle du 21 février 2017 a été appréciée au regard d'un arrêt de la Cour de cassation qui lui est postérieur ;

- la décision ministérielle méconnaît le caractère exécutoire de la décision implicite de refus d'autorisation de licenciement de l'inspectrice du travail du 6 février 2013, confirmée par le ministre du travail le 19 septembre 2013 ; le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société LPS tendant à l'annulation de ces deux décisions par un jugement du 20 janvier 2015 devenu définitif ; or, ces décisions impliquaient que la société LPS soumette la reprise de son contrat de travail au nouveau prestataire chargé de la sécurité sur son site d'affectation ; il ne pouvait être licencié qu'en cas de refus de reprise, après proposition de nouvelles affectations ; l'autorisation de licenciement a ainsi été délivrée en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ;

- dès lors que la décision ministérielle autorisant son licenciement a annulé la décision du 29 juillet 2016 en se fondant sur l'absence de lien entre la demande et ses activités syndicales, elle n'a pas remis en cause la légalité du motif retenu par l'inspectrice du travail ;

- la décision du 21 février 2017 est fondée sur des faits tronqués et dénaturés s'agissant de son absence d'affectation depuis 2012 ;

- il n'a commis aucune faute en refusant les nouvelles propositions d'affectation qui lui ont été faites le 24 mars 2016, dès lors qu'elles procédaient de la même cause que celles faites en 2012 ; en tout état de cause, la clause de mobilité géographique insérée dans son contrat de travail est entachée de nullité, en raison de l'absence de définition claire et précise de sa zone géographique d'affectation ; elle ne pouvait donc lui être opposée ;

- il existe un lien entre ses mandats syndicaux et la demande d'autorisation de licenciement ; il n'a en effet jamais bénéficié de l'entretien professionnel prévu par la loi du 5 mars 2014 ; ce lien est également établi par l'intervention de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juin 2015 ; la circonstance que la société LPS a sollicité l'autorisation de le licencier à quatre reprises depuis 2008 est encore un indice de ce lien ;

- la décision autorisant son licenciement est disproportionnée au regard de la faute reprochée, dont la gravité est atténuée par les circonstances dans lesquelles elle est intervenue.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 novembre 2018, la société Lancry Protection Sécurité (LPS), représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. E... a commis une faute justifiant son licenciement en refusant les trois postes qui lui ont été proposés par courrier du 24 mars 2016 ; ces propositions, consécutives à la perte du site sur lequel il était affecté, constituaient de simples modifications de ses conditions de travail et n'affectaient pas l'exercice par le salarié de ses mandats syndicaux ; le requérant a ainsi violé ses obligations contractuelles ;

- la demande d'autorisation de licenciement en cause était dépourvue de lien avec l'exercice de ses mandats syndicaux par M. E... ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me A..., représentant M. E...,

- et les observations de Me D..., représentant la société LPS.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a été recruté le 3 avril 2006 par la société Lancry Protection Sécurité (LPS), par contrat à durée indéterminée, en qualité d'agent de sécurité incendie. Alors qu'il exerçait les mandats de conseiller du salarié, de représentant de section syndicale et de défenseur syndical, il a fait l'objet le 1er juin 2016 d'une demande d'autorisation de licenciement formulée par son employeur. Par une décision du 29 juillet 2016, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder cette autorisation. La société LPS a formé le 5 septembre 2016 un recours hiérarchique auprès du ministre du travail, qui par décision du 21 février 2017 a autorisé le licenciement de M. E.... Ce dernier relève appel du jugement du 10 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du ministre du travail autorisant la société LPS à le licencier.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, le jugement du tribunal, qui vise les textes de droit applicables ainsi que les faits de l'espèce, est suffisamment motivé. Contrairement à ce que soutient M. E..., le tribunal n'a notamment pas omis de répondre aux moyens tirés, d'un part, de son appartenance syndicale et, d'autre part, de la nullité de la clause de mobilité géographique insérée à l'article 4 de son contrat de travail ; ces moyens sont respectivement examinés aux points 10 et 9 du jugement.

3. En second lieu, aucun des termes du jugement attaqué n'est de nature à révèler une partialité des premiers juges. M. E... n'est par suite pas fondé à soutenir que ce jugement violerait le droit à un procès équitable rendu par un tribunal indépendant et impartial, garanti par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, la décision du 21 février 2017 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision de refus de l'inspecteur du travail et accordé à la société LPS l'autorisation de licencier M. E... comporte l'énoncé des éléments de droit et des considérations de fait sur lesquels elle est fondée. Ainsi, et dès lors que l'autorité administrative n'était pas tenue de reprendre chacun des éléments du dossier de l'intéressé, en particulier l'exercice du mandat de défenseur syndical, dont elle était néanmoins informée, cette décision est suffisamment motivée.

6. Il ressort en deuxième lieu des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont écarté le moyen invoqué par M. E..., tiré d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juin 2015 déclarant le syndicat UNSA Lancry non représentatif, au motif que cette allégation était dépourvue de tout commencement de preuve. Par suite, la circonstance qu'ils ont, au demeurant, indiqué que cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation le 20 avril 2017 n'entache leur jugement d'aucune erreur de droit.

7. En troisième lieu, le requérant soutient que la décision du 21 février 2017 méconnaît l'autorité de la chose jugée dès lors que le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 20 janvier 2015 devenu définitif, rejeté la demande de la société LPS tendant à l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et du ministre du travail qui refusaient de faire droit à une précédente demande d'autorisation de le licencier. M. E... fait notamment valoir que ce jugement imposait à son employeur de transférer son contrat de travail à l'entreprise de sécurité ayant repris le site au sein duquel il était affecté jusqu'au 1er octobre 2012. Toutefois, d'une part ledit jugement a seulement estimé que le ministre du travail n'avait commis aucune erreur de droit en retenant l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement de 2012 et le mandat de M. E... au motif, notamment, que les raisons pour lesquelles il n'avait pas été transféré " paraiss[aient] contestables ". Ce jugement n'imposait pas en revanche à son employeur de soumettre la reprise de son contrat de travail au repreneur de son ancien site d'affectation. D'autre part, le ministre du travail a, par la décision attaquée, accordé à la société LPS l'autorisation de licencier le requérant au motif qu'il a refusé sans raison valable trois propositions d'affectation formulées le 24 mars 2016. Cette décision repose ainsi sur des faits différents de ceux ayant motivé la demande précédente, survenue quatre ans auparavant. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision ministérielle du 21 février 2017 a méconnu l'autorité de la chose jugée.

8. Si le requérant soutient en quatrième lieu que la décision attaquée serait illégale faute pour le ministre de remettre en cause le motif, tiré de l'existence d'un lien avec le mandat du salarié, pour lequel l'inspecteur du travail a refusé d'accorder à son employeur l'autorisation de le licencier par décision du 29 juillet 2016, il ressort des termes mêmes de la décision du 21 février 2017 que le ministre a bien exposé les raisons pour lesquelles il estimait que l'inspecteur du travail avait à tort considéré comme établie l'existence d'un tel lien.

9. En cinquième lieu, M. E... fait valoir que la décision ministérielle présente des faits " tronqués et dénaturés " en ce qu'elle indique qu'il est dépourvu d'affectation depuis 2012. Il ne conteste cependant pas la matérialité de ce fait, se bornant à soutenir que le ministre aurait dû indiquer les motifs et le contexte de son absence d'activité. Le moyen tiré d'une erreur de fait ne peut donc qu'être écarté, l'autorité administrative n'étant par ailleurs nullement tenue d'exposer, comme il a déjà été dit au point 5 du présent arrêt, l'ensemble des éléments du dossier qui lui est soumis.

10. En sixième lieu, la décision du 21 février 2017 est motivée par le comportement fautif de M. E... qui, sans motif valable, a refusé trois propositions d'affectation sur des postes d'agent de sécurité, situés respectivement à Paris, au Chesnay dans les Yvelines et aux Ulis dans l'Essonne, alors même que ceux-ci relevaient de sa qualification, ne comportaient ni changement de rémunération ni changement de secteur géographique, et ne constituaient ainsi qu'un changement des conditions d'exécution de son contrat de travail, que la société LPS était en droit de lui imposer. Comme indiqué au point 7 du présent arrêt, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la chose jugée par le tribunal administratif de Paris le 20 janvier 2015 pour légitimer les refus qu'il a opposés à son employeur. Il n'est par ailleurs pas fondé à soutenir que la clause de mobilité insérée à son contrat de travail devrait être écartée pour nullité du fait de son imprécision, dès lors que son contrat signé le 1er septembre 2015 mentionne, en son cartouche d'en-tête, une mobilité géographique possible dans l'ensemble des départements composant l'Île-de-France. Le ministre du travail a donc pu légalement estimer que M. E... avait commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et ainsi accorder l'autorisation sollicitée par la société LPS.

11. En dernier lieu, le requérant soutient que la demande de licenciement effectuée par son employeur le 1er juin 2016 est en lien avec l'exercice de ses mandats syndicaux. La circonstance qu'il n'a pas bénéficié d'un entretien professionnel depuis 2014 n'est cependant pas de nature à établir un tel lien, dans la mesure où elle résulte de son absence d'activité professionnelle depuis 2012. Aucun élément au dossier ne permet en outre de révéler un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les procédures judicaires ayant abouti à un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juin 2015, qui a jugé que le syndicat UNSA Lancry n'était pas représentatif en raison d'un défaut d'indépendance avec l'employeur. Enfin, si l'employeur de M. E... a précédemment sollicité, à deux reprises en décembre 2009 et décembre 2012, l'autorisation de le licencier, il ne saurait être déduit de ces précédentes demandes, fondées sur des causes distinctes, l'existence d'un lien entre le mandat du requérant et la demande en cause.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société LPS, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement de la somme de 1 000 euros à la société LPS.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : M. E... versera à la société Lancry Protection Sécurité (LPS) la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à la ministre du travail et à la société Lancry Protection Sécurité (LPS).

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme B..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. C...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 18PA01931


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01931
Date de la décision : 24/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL ALTALEXIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-24;18pa01931 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award