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03/10/2019 | FRANCE | N°17PA24045

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 03 octobre 2019, 17PA24045


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Contribuables 974 a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le maire de la commune de Saint-Pierre a accordé un permis de construire à la société Holding Etheve en vue de la construction d'un ensemble immobilier à usage de commerce et d'activités de service, comprenant notamment la réalisation d'un complexe cinématographique.

Par une ordonnance n° 1700982 du 6 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribu

nal administratif de La Réunion a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Contribuables 974 a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le maire de la commune de Saint-Pierre a accordé un permis de construire à la société Holding Etheve en vue de la construction d'un ensemble immobilier à usage de commerce et d'activités de service, comprenant notamment la réalisation d'un complexe cinématographique.

Par une ordonnance n° 1700982 du 6 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise sur le fondement de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la Cour administrative d'appel de Paris le jugement du dossier d'appel enregistré à la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Par une requête enregistrée le 21 décembre 2017, l'association Contribuables 974, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1700982 du 6 décembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre et de la société Holding Etheve la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'association Contribuables 974 soutient que :

- la décision du président du tribunal désignant le magistrat signataire n'est pas visée dans l'ordonnance attaquée ;

- contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, ses statuts justifient son intérêt à agir ;

- l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.

Par un mémoire enregistré le 15 mai 2018, la société Holding Etheve, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'une amende d'un montant de 10 000 euros soit infligée à l'association Contribuables 974 sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative, et à la mise à la charge de l'association Contribuables 974 de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Holding Etheve soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable, faute d'habilitation du président de l'association pour agir ; la demande de première instance était entachée de la même irrecevabilité ;

- l'association n'a pas intérêt à agir ;

- la requête, qui ne vise qu'à servir les intérêts d'un tiers, est abusive.

Par un mémoire enregistré le 18 mai 2018, la société Holding Etheve, représentée par Me D..., demande à la Cour de condamner l'association Contribuables 974 à lui verser une somme de 38 597,04 euros sur le fondement de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme et de mettre à la charge de l'association Contribuables 974 la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- compte tenu du défaut manifeste d'intérêt à agir, de la multiplication des recours et de l'action menée pour le compte d'un tiers, l'association requérante ne défend aucun intérêt légitime en première instance et en appel ;

- elle est fondée à être indemnisée de son préjudice financier.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er août 2018, la commune de Saint-Pierre, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'association Contribuables 974 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Saint-Pierre soutient que l'association requérante n'a pas intérêt à agir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., avocat de l'association Contribuables 974, et de Me D..., avocat de la société Holding Etheve.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 8 septembre 2017, le maire de la commune de Saint-Pierre a accordé un permis de construire à la société Holding Etheve en vue de la construction d'un ensemble immobilier à usage de commerce et d'activités de service, comprenant notamment la réalisation d'un complexe cinématographique. Par une ordonnance du 6 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté la demande de l'association Contribuables 974 tendant à l'annulation de cet arrêté. L'association Contribuables 974 fait appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ".

3. Par une décision du 22 mars 2017, le président des tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte a désigné, en application de l'article R. 222-1, 1er alinéa du code de justice administrative, M. Gayrard, premier conseiller, à l'effet de statuer par ordonnances dans les cas prévus aux 1° à 7° du même article. Le magistrat désigné pouvait ainsi régulièrement signer l'ordonnance attaquée, prise sur le fondement du 4° de l'article précité, pour défaut d'intérêt à agir de l'association Contribuables 974, la circonstance que la décision de désignation n'est pas visée dans cette ordonnance étant sans incidence sur sa régularité.

Sur l'intérêt à agir de l'association Contribuables 974 :

4. Aux termes de l'article 2 de ses statuts, l'association Contribuables 974 a notamment pour objet de mettre en oeuvre les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'encourager un esprit d'économie dans les services publics et les dépenses publiques, de promouvoir des prélèvements obligatoires équitables et transparents, d'informer les citoyens et contribuables sur le système fiscal et social et la gestion des deniers publics, de défendre, notamment par des actions en justice, les droits et intérêts collectifs ou individuels des citoyens et contribuables en matière de fiscalité, de dépenses publiques et de réglementation et contre toutes formes d'abus de pouvoir et de rassembler le plus grand nombre de contribuables sur la commune de Saint-Louis et les autres communes de l'île de La Réunion afin de poursuivre ces objectifs.

5. Il résulte ainsi de ses statuts que l'association Contribuables 974 a un domaine d'intervention qui relève de la fiscalité et de la gestion des dépenses publiques, défini de façon très générale, et que son champ d'action géographique s'étend sur l'ensemble de l'île de La Réunion, en visant plus particulièrement une commune qui n'est pas celle où se situe le projet de construction en litige. Elle n'a pas comme domaine d'action un objet d'urbanisme et ses statuts ne prévoient aucunement une possibilité d'agir à l'encontre d'un permis de construire. Dès lors, son objet général et géographiquement étendu dans son domaine d'intervention statutaire ne lui confère pas un intérêt suffisamment direct pour contester un permis de construire délivré par une autorité communale de l'île de La Réunion, aux seuls motifs, d'une part, que ce permis contiendrait ou non des dispositions spécifiques au regard des taxes d'urbanisme ou de la participation aux équipements publics d'une zone d'aménagement concertée, et, d'autre part, que les conditions financières de la vente du terrain d'assiette du projet de construction à la société Holding Etheve, au demeurant par une autorité autre que le maire de la commune qui a délivré le permis de construire, seraient contestables. Par suite, le magistrat désigné a régulièrement pu, par l'ordonnance attaquée, rejeter la demande de l'association Contribuables 974 comme manifestement irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

6. A cet égard, l'association requérante n'est pas fondée à invoquer une violation du droit à un recours effectif et du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cet article n'ayant pas pour objet et pour effet de garantir la reconnaissance d'un intérêt pour agir à l'encontre d'un permis de construire au profit de toute association, quel que soit son objet et son champ d'intervention géographique.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la société Holding Etheve, que l'association Contribuables 974 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation doivent dès lors être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme :

8. Aux termes de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme : " Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ".

9. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'association Contribuables 974 n'a pas intérêt à agir contre le permis de construire en litige. En outre, il ressort des courriers du 6 novembre 2017 accompagnant les notifications des demandes de première instance à la commune de Saint-Pierre et à la société Holding Etheve que ces notifications ont été faites par un avocat qui s'est présenté comme le conseil d'une société concurrente, qui a d'ailleurs contesté la décision du 7 juillet 2017 par laquelle la commission nationale d'aménagement cinématographique a accordé à la société Holding Etheve l'autorisation d'ouvrir un complexe cinématographique mais qui n'aurait pas eu intérêt à agir directement contre le permis de construire, l'association requérante apparaissant ainsi agir au nom d'un tiers et non pas dans son propre intérêt. Dans ces conditions, le droit au recours a en l'espèce été mis en oeuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part de l'association Contribuables 974. Toutefois, si la société Holding Etheve demande l'indemnisation du préjudice subi qu'elle évalue à 38 597,04 euros au titre des intérêts bancaires qui auraient été perçus si les sommes engagées inutilement avaient été placées et du temps passé par un employé spécialement affecté à la réalisation de son projet, le lien direct et certain de ces préjudices avec le recours contre le permis de construire et l'appel contre l'ordonnance rejetant la demande de première instance ne peut être retenu, dès lors que la décision du 7 juillet 2017 accordant l'autorisation d'ouverture, qui conditionnait la réalisation du projet, était simultanément contestée devant la Cour. Dans ces conditions, la demande de la société Holding Etheve tendant à l'application des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative :

10. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

11. La faculté ouverte par ces dispositions constitue un pouvoir propre du juge. Par suite, les conclusions de la société Holding Etheve tendant à ce que l'association Contribuables 974 soit condamnée au paiement d'une amende en application de ces dispositions sont irrecevables.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Pierre et de la société Holding Etheve, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que l'association Contribuables 974 demande au titre des frais qu'elle a exposés. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'association Contribuables 974, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Pierre et la même somme au titre des frais exposés par la société Holding Etheve.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association Contribuables 974 est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Holding Etheve tendant à l'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative et de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme sont rejetées.

Article 3 : L'association Contribuables 974 versera la somme de 1 500 euros à la commune de Saint-Pierre et la même somme à la société Holding Etheve, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Contribuables 974, à la commune de Saint-Pierre et à la société Holding Etheve.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme E..., présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.

Le rapporteur,

F. F...La présidente,

S. E...Le greffier,

M. B...La République mande et ordonne au préfet de la région Réunion, préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA24045


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Introduction de l'instance - Intérêt pour agir - Existence d'un intérêt - Syndicats - groupements et associations.

Urbanisme et aménagement du territoire - Règles de procédure contentieuse spéciales - Introduction de l'instance - Intérêt à agir.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : NGUYEN XAVIER

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 03/10/2019
Date de l'import : 15/10/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17PA24045
Numéro NOR : CETATEXT000039184189 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-03;17pa24045 ?
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