La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/09/2019 | FRANCE | N°17PA20689

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 19 septembre 2019, 17PA20689


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Matériel A... (Matan) a demandé au Tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des exercices clos en 2009 et 2010 et des périodes allant des mois de juillet 2008 à juin 2009 et de juillet 2009 à juin 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1400143 du 17 novembre 2016, le Tribunal ad

ministratif de La Réunion a prononcé la réduction, à concurrence de la somme de 3 018 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Matériel A... (Matan) a demandé au Tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des exercices clos en 2009 et 2010 et des périodes allant des mois de juillet 2008 à juin 2009 et de juillet 2009 à juin 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1400143 du 17 novembre 2016, le Tribunal administratif de La Réunion a prononcé la réduction, à concurrence de la somme de 3 018 euros, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Matériel A... et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 mars 2017, dont le jugement a été attribué à la Cour administrative de Paris par une ordonnance du président de la section du contentieux de Conseil d'Etat du 1er mars 2019, sur le fondement des dispositions de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, et un mémoire, enregistré le 28 novembre 2017, la société Matériel A... (Matan), représentée par la SCP Belot-Cregut-Hameroux et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1400143 du Tribunal administratif de La Réunion, en date du 17 novembre 2016, en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en juin 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, demeurant ... ;

3°) de prononcer le sursis de paiement sur le fondement de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la vérification de comptabilité a excédé le délai de trois mois prescrit par l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ; en admettant que l'administration ait entendu faire application de la dérogation prévue au II du 4 de cet article, le délai total de la vérification de comptabilité ne pouvait dépasser six mois ;

- le service a manqué à son obligation d'information en s'abstenant de lui communiquer l'origine et la teneur de renseignements obtenus auprès de tiers dont elle n'a pu débattre utilement ; l'administration a méconnu le principe de loyauté des preuves ;

- l'administration a effectué un contrôle dans la même entreprise sur la même période en méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ;

- c'est à tort que l'administration a écarté sa comptabilité comme entachée de graves irrégularités ; elle ne pouvait fonder les rectifications proposées sur des documents comptables après avoir écarté sa comptabilité comme non probante ; elle n'a pas procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires ;

- elle n'avait pas à comptabiliser les intérêts des crédits fournisseurs qu'elle avait accordés aux sociétés qui lui ont donné le matériel en location dès lors qu'ils sont inclus dans les charges mensuelles de location et qu'il n'y a donc pas lieu de les comptabiliser une seconde fois ; elle a, comme l'y invitait l'administration, établi ultérieurement des factures distinctes pour avoir paiement par les SNC des intérêts en cause ; celles-ci ont refusé de les payer, ce qui prouve que sa position initiale était fondée ;

- les prêts initialement accordés à l'EURL A... Assistance par la Barclays, pour un montant de 200 000 euros et de 300 000 euros, ont été transférés à la société Matériel A... dans le cadre d'une convention réglementée, qui a été approuvée par l'assemblée générale ordinaire, la société A... Assistance étant dissoute et une partie de son activité étant reprise par la SARL Matériel A... ;

- la société Matériel A... fait valoir que les montants mentionnés sur les factures d'achats qu'elle a reportés dans sa comptabilité correspondent aux règlements qu'elle a effectués à la société SDMI et que les factures recueillies par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication sont celles que la société SDMI a présentées en sa qualité d'importateur puisqu'elle ne dispose d'aucune structure en France, à l'administration des douanes pour le paiement des droits de douane lors de l'importation des marchandises qu'elle a revendues ensuite à ses clients sur la base du prix mentionné sur les factures d'importation augmenté de la marge bénéficiaire à laquelle elle pensait être en droit de prétendre ;

- s'agissant des passifs injustifiés, ils correspondent au remboursement par M. A... des mensualités du prêt accordé par la banque Barclays à l'EURL A... Assistance et qui lui a été transféré par une convention réglementée approuvée en assemblée générale ;

- le système de financement des engins de chantier est parfaitement légal et n'est pas susceptible de recevoir, comme le laisse entendre l'administration fiscale, la qualification " d'abus de droit " ;

- les pénalités pour dépôt tardif et manoeuvres frauduleuses, qui lui ont été infligées ne sont pas fondées ; lors d'une vérification antérieure, les agents de l'administration n'avaient relevé aucune fraude, ni aucun manquement comptable ou fiscal et n'avaient pas remis en cause les opérations de défiscalisation ; en application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, elle ne pouvait revenir sur l'interprétation retenue par ses propres agents.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 août 2017 et 30 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la société Matériel A... ne demande la décharge que des seules cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ;

- les moyens soulevés par la société Matériel A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Matériel A..., qui est située à La Réunion, a pour activité, à titre principal, la location de matériels de manutention et d'engins de travaux publics. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 26 janvier au 7 août 2012 au titre de ses exercices clos en juin 2009, 2010 et 2011, à l'issue de laquelle le service lui a notifié des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, par une proposition de rectification du 31 août 2012. Par un jugement du 17 novembre 2016, le Tribunal administratif de La Réunion a prononcé la réduction, à concurrence de la somme de 3 018 euros, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Matériel A... et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des autres impositions. Elle fait appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable et demande la décharge des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en juin 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, demeurant ....

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales : " Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. (...) ".

3. La société requérante soutient que le service a procédé deux fois au même contrôle sur la même période en méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales. Toutefois, il résulte de l'instruction que, si l'administration a, outre la vérification de comptabilité qui s'est déroulée du 21 janvier au 7 août 2012, exercé le droit d'enquête prévu par les articles L. 80 F et suivants du livre des procédures fiscales, au siège de la société Matériel A..., cette intervention, qui n'a pas consisté à contrôler sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par la société en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont l'administration avait pris connaissance, ne présente pas le caractère d'une vérification de comptabilité au sens des dispositions précitées de l'article L. 51. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales :

" I. - Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts (...) ". Le 4° prévoit toutefois que le délai de trois mois n'est pas opposable en cas " de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois ". Aux termes du I de l'article 302 septies A de ce code : " Il est institué par décret en Conseil d'Etat un régime simplifié de liquidation des taxes sur le chiffre d'affaires dues par les personnes dont le chiffre d'affaires, ajusté s'il y a lieu au prorata du temps d'exploitation au cours de l'année civile, n'excède pas 766 000 €, s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, ou 231 000 €, s'il s'agit d'autres entreprises. Ces limites s'apprécient en faisant abstraction de la taxe sur la valeur ajoutée et des taxes assimilées (...) ".

5. Il résulte des dispositions précitées que la vérification de comptabilité d'une entreprise commerciale portant sur plusieurs exercices peut durer plus de trois mois, dès lors que le chiffre d'affaires d'un seul d'entre eux excède 231 000 euros lorsque la société exerce une activité autre que la vente de marchandises, d'objets, de fournitures et de denrées à emporter ou à consommer sur place ou la fourniture de logement.

6. Il résulte de l'instruction que la société Matériel A... a déclaré un chiffre d'affaires de 328 050 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et de 354 654 euros au titre de celui clos en 2011. Par suite, le délai de trois mois imparti par les dispositions précitées de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales n'était pas applicable à la vérification de comptabilité de la société Matériel A..., qui a eu lieu du 21 janvier au 7 août 2012. Contrairement à ce que celle-ci soutient, le service ne s'est pas fondé sur les dispositions précitées du 4° de cet article, qui prévoient qu'en cas " de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ", la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut être accueilli.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

8. Il résulte de l'instruction que, pour établir les impositions en litige, l'administration a exploité les renseignements qu'elle a obtenus dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès de l'administration des douanes et des sociétés transitaires en douane SDV et SNL qui lui ont remis les factures des biens importés émises par la société SDMI, fournisseur de la société Matériel A.... Ces informations ont été reportées dans la proposition de rectification du 31 août 2012 que le service a adressée à la contribuable et à laquelle il avait joint en annexes les factures de la société SDMI. Il a également détaillé les documents qu'il avait pu recueillir lors des vérifications de comptabilité des sociétés Corail Loc 15 et Anthélia Loc 4, qui ont acquis puis donné en location les matériels importés par la société Matériel A.... Il est constant que la contribuable n'a pas sollicité la communication de ces éléments. Enfin, si la société fait valoir, sans plus de précisions, que les " documents saisis chez SOFINCO (...) n'ont pas été communiqués ", il ne ressort pas des mentions de la proposition de rectification que les impositions en litige seraient assises sur les renseignements contenus dans ces documents. Par suite, la société Matériel A... n'est pas fondée à soutenir que le service a manqué à son obligation d'information en s'abstenant de lui communiquer l'origine et la teneur de renseignements obtenus auprès de tiers dont elle n'a pu ainsi débattre utilement.

9. En dernier lieu, si la société requérante fait valoir que sa comptabilité n'est pas entachée de graves irrégularités, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Matériel A... n'est pas fondée à soutenir que les cotisations primitives d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en juin 2009 et 2010 ont été établies au terme d'une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité et la charge de la preuve :

11. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".

12. Il résulte de 1'instruction et, en particulier, des mentions du procès-verbal établi par le vérificateur le 5 avril 2012, que la société n'a pas procédé à l'enregistrement de l'ensemble des opérations qu'elle avait réalisées au cours des exercices vérifiés, qu'elle n'a pas été en mesure de justifier de la correction de certaines écritures de passif de son bilan, qu'elle a comptabilisé en charges et déduit de ses résultats imposables des achats de matériels auprès de la société SDMI dont les montants étaient sans cohérence avec la valeur déclarée à l'importation, ainsi que des factures émises à l'entête d'autres sociétés. L'administration était, pour ces motifs, en droit de regarder la comptabilité présentée par la société Matériel A..., qui ne retraçait pas l'ensemble des opérations réalisées, comme entachée de graves irrégularités. Elle n'était pas pour autant tenue de procéder à une reconstitution extra-comptable des résultats et du chiffre d'affaires de la société et pouvait, pour effectuer les rectifications en litige, se fonder sur les éléments tirés de cette comptabilité qu'elle estimait suffisamment probants.

13. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la comptabilité de la société Matériel A... est entachée de graves irrégularités. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les impositions en litige ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. En application des dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la société Matériel A... supporte la charge de la preuve du caractère exagéré des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en juin 2009 et 2010.

En ce qui concerne l'absence de comptabilisation de produits financiers :

14. Il résulte de l'instruction que la société Matériel A... a acheté à la société de droit luxembourgeois SDMI des véhicules et des matériels de travaux publics qu'elle a ensuite revendus à des SNC locales de défiscalisation, moyennant le paiement du prix comptant à hauteur de 30 %, le surplus étant financé par un crédit fournisseur consenti par la société Matériel A... pour une durée de 60 mois. Par ailleurs, la société a pris en location auprès des sociétés de défiscalisation les biens mobiliers qu'elle leur avait ainsi cédés. Les loyers versés par la société Matériel A... à ce titre étaient supposés couvrir au bout de 5 années le montant du capital dû par les sociétés de défiscalisation en exécution du crédit fournisseur consenti pour l'achat de ces biens. Au cours des opérations de contrôle, le service a constaté que la société vérifiée n'avait pas comptabilisé en tant que produits le montant des intérêts versés par les sociétés emprunteuses lors du remboursement des échéances du prêt fournisseur. Il a, en conséquence, réintégré aux résultats de la société clos en 2009, 2010 et 2011 les sommes respectives de 4 349 euros, 18 452 euros et 30 471 euros correspondant au montant de ces intérêts.

15. Pour contester cette réintégration, la société requérante fait valoir que les intérêts en litige étaient inclus dans les charges mensuelles de location et que les comptabiliser en produits reviendrait à les comptabiliser et à les facturer deux fois aux sociétés de défiscalisation. Toutefois, les conventions de cession conclues avec les sociétés acquéreuses prévoyaient que le crédit consenti pour l'acquisition des engins et matériels serait rémunéré par un intérêt liquidé au taux annuel de 4 %. Cette rémunération constitue un produit financier qui ne peut être porté en charges mais devait être compris dans les résultats imposables de la société Matériel A... qui les avait perçus. Or, il résulte de l'instruction que les intérêts en litige n'ont pas été comptabilisés en tant que produits financiers par la société Matériel A..., mais inscrits au poste de crédit avec la part du capital remboursé mensuellement par les sociétés emprunteuses. Par suite, c'est à bon droit que le service a procédé à la rectification contestée sans que la société requérante puisse se plaindre d'une quelconque double comptabilisation ou facturation.

16. Il résulte de l'instruction que l'administration ne s'est pas placée, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit pour procéder aux rectifications en litige et établir les impositions mises à la charge de la société Matériel A.... Celle-ci ne peut dès lors utilement faire valoir que les modalités de paiement par les sociétés de défiscalisation des acquisitions d'engins et matériels de travaux publics sont légales et non constitutives d'un abus de droit comme le laisserait entendre l'administration.

En ce qui concerne la réintégration de charges non justifiées :

S'agissant des frais liés aux emprunts :

17. Il est constant que le service a réintégré au résultat de la société Matériel A... de l'exercice clos en 2009 une somme de 3 132 euros correspondant à des frais bancaires, au motif que ces frais, qui se rapportaient à un emprunt bancaire, d'un montant de 200 000 euros, accordé par la société Barclays à l'EURL A... Assistance pour l'acquisition de matériels roulants, ne présentaient pas de lien avec l'activité de la société Matériel A....

18. Pour établir que, comme elle le soutient, l'EURL A... Assistance lui a transféré le prêt que lui avait consenti la société Barclays, la société requérante a versé au dossier un document intitulé " convention réglementée entre M. A... C... gérant et la société Matériel A... ", qui mentionne que la société Matériel A... a décidé de reprendre l'emprunt contracté le 17 avril 2008 par l'EURL A... Assistance, ainsi que la décision de l'assemblée générale de la société Matériel A... statuant sur l'exercice clos en 2009 et approuvant la convention précitée. Toutefois, ces documents, qui n'ont pas date certaine et ont été produits par la société requérante pour la première fois devant le tribunal, ne permettent pas d'établir, en l'absence d'autres documents plus probants, et notamment de celui attestant de l'accord de la société Barclays, la réalité du transfert allégué. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le service a réintégré les frais en cause à son résultat de l'exercice clos en 2009 comme étant sans lien avec les besoins de son exploitation.

S'agissant des factures fictives :

19. Il résulte de l'instruction que la société Matériel A... a acquis au cours des exercices clos en 2009 et 2010 des engins et matériels de travaux publics auprès de la société SDMI. Elle a inscrit en charges exceptionnelles les dépenses d'acquisition de ces biens mobiliers qui s'élevaient en 2009 à 1 241 966 euros et en 2010 à 851 911 euros. Le service a remis en cause cette inscription après avoir relevé que les montants des achats figurant sur les factures de la société SDMI remises par la contribuable lors des opérations de contrôle, étaient plus élevés que ceux portés sur les factures de la société SDMI, portant sur les mêmes acquisitions, qu'il avait obtenues en usant de son droit de communication auprès de l'administration des douanes et des sociétés transitaires SDV et SNL. Il a considéré que les factures sur la base desquelles la société Matériel A... avait comptabilisé les opérations d'achat présentaient un caractère fictif dès lors qu'elles avaient pour seul objet de permettre à la contribuable de majorer artificiellement le montant de ses charges déductibles et a réintégré aux résultats des deux exercices en litige la différence entre les montants mentionnés sur les deux séries de factures, soit les sommes respectives de 628 752 euros et 530 859 euros.

20. En premier lieu, aux termes de l'article 39 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " 9. Lorsque la vente d'un élément de l'actif immobilisé est annulée ou résolue pendant un exercice postérieur à celui au cours duquel la vente est intervenue, le cédant inscrit à son bilan cet élément ainsi que les amortissements et provisions de toute nature y afférents tels qu'ils figuraient dans ses comptes annuels à la date de la cession. (...) ".

21. La société requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions précitées, dès lors que les opérations mentionnées dans les factures en litige ne constituent pas des cessions d'un élément d'actif immobilisé, annulées ou résolues dans les conditions fixées à cet article et n'entrent ainsi pas dans le champ de ces dispositions.

22. En second lieu, la société Matériel A... fait valoir que les montants indiqués sur les factures d'achats qu'elle a reportés dans sa comptabilité correspondent aux règlements qu'elle a effectués à la société SDMI et que les factures recueillies par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication sont celles que la société de droit luxembourgeois SDMI a présentées en sa qualité d'importateur ne disposant d'aucune structure en France, à l'administration des douanes pour le paiement des droits de douane lors de l'importation des marchandises que la société Matériel A... a ensuite revendues à ses clients sur la base du prix mentionné sur les factures d'importation, augmenté de la marge bénéficiaire à laquelle elle pensait être en droit de prétendre. Toutefois, il résulte de l'instruction et, notamment des mentions de la proposition de rectification adressée à la contribuable, que les sommes effectivement payées par la société Matériel A... à la société SDMI sont nettement inférieures à celles portées en comptabilité. Par ailleurs, alors que les factures présentées à l'administration des douanes mentionnent la société Matériel A... comme client de la société SDMI et destinataire des matériels cédés, et que ceux-ci ont été remis directement à la société Matériel A..., la société de droit luxembourgeois SDMI ne peut être regardée comme l'importateur de ces matériels. Dès lors, la société requérante, qui n'établit pas que les montants qu'elle a inscrits en comptabilité correspondraient à la valeur réelle des biens matériels qu'elle a acquis auprès de la société SDMI et qui n'a produit aucun élément justificatif du montant réel des charges exceptionnelles qu'elle a ainsi portées en déduction de ses résultats, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le service a limité cette déduction aux montants figurant sur les premières factures déclarées au service des douanes.

En ce qui concerne la réintégration de passifs non justifiés :

23. Il ressort des mentions de la proposition de rectification du 31 août 2012, que le service a demandé à la société Matériel A... de justifier différents apports effectués au cours des trois exercices vérifiés sur le compte courant d'associé de M. A.... Celle-ci n'ayant produit que des relevés bancaires de la société Barclays, qui n'ont pas permis de déterminer la nature de ces crédits, le service a réintégré les sommes correspondantes en tant que passifs injustifiés aux résultats de ses exercices clos en 2009, 2010 et 2011.

24. Si la société requérante soutient que ces apports constituent des avances accordées par M. A..., qui aurait ainsi procédé au remboursement du prêt initialement consenti à l'EURL A... Assistance, M. A... étant ainsi titulaire d'une créance à son égard qu'elle pouvait inscrire au passif de son bilan, il résulte de ce qu'il a été dit ci-dessus au point 18 que la société Matériel A... ne peut être regardée comme ayant justifié de la réalité du transfert à son bénéfice du prêt accordé par la société Barclays à l'EURL A... Assistance. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le service a procédé à la réintégration critiquée.

25. Enfin, en se bornant à invoquer le caractère disproportionné des bénéfices rectifiés par l'administration au regard des chiffres d'affaires réalisés pour les exercices litigieux, la société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que les bases d'imposition retenues par l'administration seraient exagérées.

Sur les pénalités :

26. En premier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

27. En invoquant la pratique de la société Matériel A... consistant à se faire facturer par la société SDMI des achats à un prix supérieur au prix réel afin de minorer son résultat imposable en majorant le montant des charges déductibles correspondant aux dépenses d'acquisition des biens mentionnés sur les factures, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence de manoeuvres frauduleuses et justifie ainsi l'application des pénalités correspondantes au taux de 80 % prévues par les dispositions précitées du c) de l'article 1729 du code général des impôts.

28. En second lieu, la société requérante fait valoir que lors d'une vérification antérieure, les agents de l'administration fiscale n'ont relevé aucune fraude, ni aucun manquement et n'ont pas remis en cause les opérations de défiscalisation qu'elle avait réalisées. Il résulte, toutefois, de l'instruction, que l'intervention évoquée par la société avait pour seul objet de recueillir au lieu de son siège social des documents et informations la concernant. Elle ne constitue pas, comme le rappelle d'ailleurs l'article L. 80 F du livre des procédures fiscales, qui en définit les modalités, une des procédures de contrôle prévues aux articles L. 10 à L. 47 A du même livre. Dès lors, en l'absence d'appréciation portée par les agents de l'administration fiscale sur les documents et pièces qu'ils se sont faits remettre lors de ce déplacement au siège de la société Matériel A..., celle-ci ne peut, en tout état de cause, se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, d'une éventuelle prise de position de l'administration sur l'absence de caractère frauduleux des factures d'achat émises par la société SDMI dont elle avait indûment porté le montant en déduction de ses résultats imposables.

Sur le bénéfice du sursis de paiement :

29. En vertu des dispositions des articles L. 277 et suivants du livre des procédures fiscales, le sursis de paiement accordé par l'administration fiscale n'a de portée que pendant la durée de l'instruction de la réclamation et de l'instance devant le tribunal administratif. Aucune disposition légale n'a prévu une procédure de sursis de paiement pendant la durée de l'instance devant la cour administrative d'appel. La société requérante ne peut dès lors utilement demander à la Cour de prononcer en sa faveur le sursis de paiement des impositions contestées.

30. Il résulte de tout ce qui précède que la société Matériel A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de La Réunion a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Matériel A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Matériel A... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction du contrôle fiscal du Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme B..., président assesseur,

- Mme Lescaut, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 septembre 2019.

Le rapporteur,

V. B...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA20689


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA20689
Date de la décision : 19/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-02 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Contrôle fiscal. Vérification de comptabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Valérie POUPINEAU
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : SCP BELOT CREGUT HAMEROUX

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-09-19;17pa20689 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award