Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, le syndicat SUD commerces et services Ile-de-France, le Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels et le Syndicat commerce indépendant démocratique ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 juin 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la Société commerciale de souvenirs et de cadeaux (SCSC) à déroger à l'interdiction du travail de nuit pour ses salariés de 21 heures à 24 heures du 15 juin 2017 au
31 décembre 2018.
Par un jugement n° 1711370 du 4 décembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 15 juin 2017 à compter du 1er janvier 2019.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 4 février 2019, l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, le Syndicat SUD commerces et services Ile-de-France, le Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels et le Syndicat commerce indépendant démocratique, représentés par MeB..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant seulement que, par ce jugement, le tribunal administratif a reporté au 1er janvier 2019 les effets de l'annulation de la décision du
15 juin 2017 ;
2°) d'annuler cette décision à compter de sa date d'émission ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l'Etat aux dépens en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, lesquels comprendront le droit de plaidoirie.
Ils soutiennent que :
- l'annulation de la décision avec effet rétroactif ne porte pas une atteinte " manifestement excessive " à la situation des salariés, de la société SCSC ou à la nécessité de préserver un intérêt général ;
- le jugement porte atteinte à leur droit à un recours effectif et méconnait les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal n'a pas pris soin de réserver les actions contentieuses préexistantes.
La requête a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par un mémoire, enregistré le 18 avril 2019, la SARL SCSC, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers,
- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une ordonnance de référé du 16 mai 2017, rectifiée le 19 mai suivant, le président du Tribunal de grande instance de Paris a fait interdiction à la société SCSC d'employer après 21 heures un ou plusieurs salariés dans le magasin qu'elle exploite à Paris 7ème, Tour Eiffel - Champ de Mars. La société SCSC a par conséquent engagé des négociations en vue de permettre le travail de nuit. En l'absence d'accord, le 31 mai 2017, elle a demandé à l'inspecteur du travail, en application de l'article L. 3122-21 du code du travail, l'autorisation d'affecter des travailleurs sur des postes de nuit. Ce dernier a autorisé la société SCSC à déroger à l'interdiction du travail de nuit pour ses salariés de 21 heures à 24 heures pour la période courant du 15 juin 2017 au 31 décembre 2018. Les syndicats requérants relèvent partiellement appel du jugement du 4 décembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 15 juin 2017 en tant seulement que, par ce jugement, le tribunal administratif a reporté au 1er janvier 2019 les effets de l'annulation de la décision.
2. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
3. En l'espèce, il ressort des motifs non contestés du jugement attaqué que, pour annuler la décision contestée, le tribunal a retenu la méconnaissance des articles L. 3122-21 et R. 3122-9 du code du travail du fait que les postes de travail de nuit et du nombre de salariés pouvant être concernés n'étaient pas définis, non plus que les temps de pause, qui n'avaient pas été vérifiés par l'inspecteur et le défaut d'information par les représentants syndicaux du nombre de salariés susceptibles d'être affectés sur des postes de nuit. Pour soutenir que les effets de l'annulation encourue devaient être différés jusqu'au 1er janvier 2019, la société SCSC fait valoir un risque pécuniaire et contentieux avec le concédant personne privée, ainsi que l'impact sur la rémunération des salariés concernés et sur l'attractivité touristique du site.
4. Toutefois, dès lors qu'au 1er janvier 2019, l'autorisation illégale aurait déjà produit tous ses effets, différer jusqu'à cette date les effets de l'annulation aurait pour conséquence de dénier toute portée au principe de légalité ainsi qu'à l'effectivité du droit au recours, et non pas seulement d'y apporter une limitation justifiée par la prise en considération d'éventuelles conséquences manifestement excessives de l'effet rétroactif de l'annulation au regard des critères énoncés au point 2. En tout état de cause, dans le cas où le concédant de la société SCSC lui aurait infligé des pénalités pour non respect des horaires de vente contractuellement prévus dans la période comprise entre la notification du jugement du 4 décembre 2018 et le terme de l'autorisation, soit le 31 décembre suivant, l'illégalité fautive de la décision administrative aurait pu ouvrir, au bénéfice de la société SCSC, un droit à réparation des éventuels préjudices en découlant directement pour elle. Pour leur part, l'annulation avec effet au 15 juin 2017 de l'autorisation ne fait pas obstacle à ce que les salariés obtiennent la rémunération de leur travail de nuit sur le fondement des principes régissant le droit civil et le droit du travail. Enfin, la société ne produit aucun élément permettant d'apprécier la désorganisation qu'elle allègue de ses services en cas d'annulation avec effet rétroactif de l'autorisation, étant observé que la désorganisation ne pouvait affecter que la période postérieure à la notification du jugement, soit environ trois semaines, et non celle courant dès le 15 juin 2017. Enfin, s'agissant des impacts sur le tourisme, la société ne produit qu'un document d'ordre général sur le tourisme lié à la Tour Eiffel, démontrer que la fermeture de la boutique après 21 heures dans la période des fêtes de fin d'année en 2018 aurait un effet dissuasif significatif sur le nombre de visiteurs du monument.
5. Dans ces conditions, et eu égard à la nature du vice affectant la dérogation à l'interdiction du travail de nuit, qui ne précisait notamment pas les postes ni le nombre des salariés concernés alors que l'interdiction vise à protéger les conditions de travail ainsi que la santé des salariés, l'effet rétroactif de l'annulation n'est pas de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets produits par l'autorisation illégale et des situations qui s'étaient constituées lorsqu'elle était en vigueur, ni en raison de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien de ses effets jusqu'au terme prévu, soit le
31 décembre 2018.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a différé au 1er janvier 2019 les effets de l'annulation de la décision du 15 juin 2017.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. (...) ". Aux termes de l'article R. 761-1 : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. ".
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacune des organisations syndicales requérantes d'une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en ce compris le droit de plaidoirie. En revanche, en l'absence de dépens exposés dans la présente instance, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1711370 du Tribunal administratif de Paris, en date du
4 décembre 2018, est annulé en tant qu'il a reporté au 1er janvier 2019 les effets de l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 15 juin 2017.
Article 2 : L'Etat versera à l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, au Syndicat SUD commerces et services Ile-de-France, au Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels et au Syndicat commerce indépendant démocratique, la somme de 500 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, au Syndicat SUD commerces et services Ile-de-France, au Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels, au Syndicat commerce indépendant démocratique, à la société commerciale de souvenirs et de cadeaux et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 12 juillet 2019.
Le président-rapporteur,
M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,
M. JULLIARDLe greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00602