La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2019 | FRANCE | N°18PA02526

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 04 juillet 2019, 18PA02526


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 3 février 2017 par laquelle la ministre chargée du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique dont l'avait saisie la société Kodak Alaris France, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2016 refusant d'accorder l'autorisation de le licencier et a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1702625 du 22 juin 2018, le tribunal administratif de

Melun a annulé la décision du 3 février 2017 de la ministre chargée du travail.

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 3 février 2017 par laquelle la ministre chargée du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique dont l'avait saisie la société Kodak Alaris France, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2016 refusant d'accorder l'autorisation de le licencier et a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1702625 du 22 juin 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 3 février 2017 de la ministre chargée du travail.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2018, la société Kodak Alaris France, représentée par Mes Albiol et Peixoto, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1702625 du 22 juin 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M.B... devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le dépassement du délai prévu par l'article R. 2421-10 du code du travail n'entache pas d'irrégularité la procédure interne à l'entreprise ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la nécessité de sauvegarder la compétitivité de la division " Information Management " du groupe n'était pas établie.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 septembre 2018 et 28 mars 2019, M. B..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour :

- d'écarter les pièces en langue anglaise non traduites en français présentées par la société Kodak Alaris France ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la procédure de licenciement interne à l'entreprise est irrégulière, le délai prescrit par l'article R. 2421-10 du code du travail ayant été largement dépassé ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 13 mars 2019, la ministre du travail s'associe aux conclusions de la société Kodak Alaris France tendant à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Melun.

La ministre du travail soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et renvoie à ses observations produites devant les premiers juges.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me C...substituant Mes Albiol et Peixoto, avocat de la société Kodak Alaris France.

Considérant ce qui suit :

1. M. B...a été recruté le 4 janvier 1982 en qualité d'agent technique électrotechnicien par la société Bell et Howell France SA. Son contrat de travail a été transféré le 4 février 2001 à la société Kodak-Pathé, puis le 1er novembre 2013 à la société Kodak Alaris France, cette dernière ayant acquis les fonds de commerce des activités " Personalized Imaging " (PI) et " Document Imaging " (DI) de la société Kodak. La société Kodak Alaris France a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour motif économique M.B..., qui exerçait alors les fonctions de technicien après-vente de la division " Information Management " (IM) de la région Est. M. B...détenait par ailleurs les mandats de délégué syndical, de membre titulaire de la délégation unique du personnel et de membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par une décision du 27 juin 2016, l'inspectrice du travail a refusé de délivrer cette autorisation. La société Kodak Alaris France a formé un recours hiérarchique contre cette décision qui a d'abord été implicitement rejeté. Puis, par une décision du 3 février 2017, la ministre chargée du travail a retiré sa décision implicite de rejet née le 27 novembre 2016, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2016 et a autorisé le licenciement de M. B...pour motif économique. Le tribunal administratif de Melun a, à la demande de M.B..., annulé cette décision par un jugement du 22 juin 2018. Par la présente requête, la société Kodak Alaris France relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. (...) ". Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe. Dans le cas où la société intéressée relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur les menaces pesant sur la compétitivité de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause, sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France.

3. La société Kodak Alaris France appartient à la société anglaise Kodak Alaris qui ont toutes deux été créées en septembre 2013 à la suite de la faillite du groupe Kodak. La société anglaise Kodak Alaris est détenue par le fonds de pension Kodak Pension Plan qui disposait d'une importante créance à l'égard de l'ancien groupe Kodak. La société Kodak Alaris est organisée en quatre régions opérationnelles au sein desquelles coexistent deux divisions, la division " Personalized Imaging " qui a pour activité la vente de produits et services dédiés à la photo grand public et la division " Information Management " (IM) qui a pour activité la gestion documentaire et l'archivage ainsi que la vente et la maintenance de scanners. Il est constant que ces deux secteurs d'activité sont distincts et portent sur des produits et des services différents. Ainsi, il convient d'apprécier la réalité du motif économique au niveau du secteur d'activité IM du groupe Kodak Alaris.

4. Il ressort des pièces du dossier que le chiffre d'affaires mondial de la division IM du groupe Kodak Alaris a diminué de 19 % en 2015, soit une diminution de 64 millions de dollars et que le résultat d'exploitation a baissé de 56 % passant de 44 millions de dollars en 2014 à 20 millions de dollars en 2015. Si la société Kodak Alaris arrive en tête des parts de marché des ventes de scanners en 2016 et 2017 après avoir connu une baisse en 2015, elle n'arrive qu'en troisième position sur le marché des ventes de scanners non professionnels avec un pourcentage des ventes pratiquement constant à 9 %, loin derrière son principal concurrent Fujitsu qui a notamment atteint 52 % des ventes sur la période comprise entre 2014 et 2016. Il ressort de la note sur le projet de réorganisation et de licenciement collectif au sein de la société Kodak Alaris France présentée au comité d'entreprise le 18 mars 2016 que le chiffre d'affaires de la division IM de la société Kodak Alaris France a baissé de presque 25 % en 2015 et que les objectifs qui avaient été envisagés n'ont pas été atteints. Les raisons de ces mauvais résultats résident notamment, d'une part, en une concentration du réseau de distribution des scanners en 2014 dès lors que la société Spigraph distribue désormais 90 % des scanners en Europe en proposant systématiquement des services de maintenance à des prix moindres que ceux de la société Kodak Alaris, d'autre part, en un changement dans les habitudes des clients qui se tournent désormais vers des solutions de dématérialisation de documents et de données plutôt que vers l'achat de scanners, et, enfin, en l'insuffisante progression de la vente des produits dits milieu de gamme et des produits haut de gamme qui a été très en dessous des prévisions de vente et des possibilités du marché. La diminution des parts de marché en France du service " production scan ", celles-ci passant de 16 % en 2014 à 13 % en 2015, a eu pour effet de diminuer le nombre de matériel sous contrat de maintenance et, par voie de conséquence, de réduire l'activité du service technique. En outre, l'activité du service technique est confrontée à une modification des habitudes de la clientèle qui privilégie désormais l'achat de scanners d'entrée de gamme moins couteux et des contrats prévoyant un dépannage par remplacement du matériel sans intervention physique de techniciens. Il s'ensuit que le modèle économique de la division IM du groupe Kodak Alaris créé en 2013 n'était plus adapté à la conjoncture et devenait de moins en moins rentable. La société requérante établit ainsi la réalité de la menace pesant sur la compétitivité de la division IM du groupe Kodak Alaris.

5. Afin de sauvegarder la compétitivité de la division IM, la société Kodak Alaris France a notamment décidé de transformer l'activité principale de la division IM de vente et de maintenance de scanners en développant la vente de " Solutions " et de privilégier un modèle de vente directe, d'intensifier la relation clients et d'optimiser les services techniques. Afin d'atteindre ce dernier objectif, elle a procédé à une réorganisation de l'équipe technique de la division IM en supprimant trois postes de techniciens dans les régions où l'activité était la plus faible, soit les régions de l'Est et du Centre, et en faisant appel dans ces deux régions à des sous-traitants pour limiter les coûts. La société Kodak Alaris France a proposé à M. B..., qui occupait l'emploi de technicien après-vente au sein de la division IM sur la région Est, une modification de son contrat de travail pour raison économique en lui proposant d'occuper les fonctions de " hotliner/ technicien après-vente " dans la région Est. Le 8 janvier 2016, M. B...a refusé cette modification de son contrat de travail. Si M. B...soutient que cette suppression de postes et le recours à des sous-traitants génèreraient avant tout des économies de coûts très limitées, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation sur le bien-fondé de la mesure décidée par la société Kodak Alaris France pour remédier à la menace pesant sur sa compétitivité. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que la réalité du motif économique du licenciement de M. B... est établie. Est sans incidence sur cette appréciation la circonstance dont se prévaut M. B...selon laquelle la première demande d'autorisation de le licencier pour motif économique avait été refusée par l'inspecteur du travail au motif que la procédure applicable en cas de modification du contrat de travail n'avait pas été respectée.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Kodak Alaris France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a jugé que la réalité de la menace sur la compétitivité de la division IM du groupe Kodak Alaris n'était pas établie et que la décision de la ministre chargée du travail était, par suite, entachée d'une erreur d'appréciation.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le second moyen soulevé par M. B...devant le tribunal administratif de Melun et devant la Cour.

8. Aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. Elle est accompagnée du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise. Excepté dans le cas de mise à pied, la demande est transmise dans les quinze jours suivant la date à laquelle a été émis l'avis du comité d'entreprise. La demande énonce les motifs du licenciement envisagé. Elle est transmise par lettre recommandée avec avis de réception. ".

9. Il résulte des dispositions précitées que la demande d'autorisation de licenciement doit être présentée à l'inspecteur du travail dans un délai de quinze jours suivant la délibération du comité d'entreprise. Toutefois, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité. La demande d'autorisation de licencier M. B...a été présentée à l'inspecteur du travail le 2 mai 2016, alors que le comité d'entreprise avait délibéré le 18 mars 2016, soit plus d'un mois après l'avis du comité d'entreprise. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'après la réunion du comité d'entreprise, la société Kodak Alaris France a poursuivi ses recherches en vue du reclassement du salarié et lui a notamment adressé, par un courrier du 23 mars 2016, une nouvelle proposition de reclassement avec un délai de réponse de huit jours calendaires à compter de sa réception. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, le dépassement du délai prévu par l'article R. 436-3 précité n'a pas entaché d'illégalité la procédure d'autorisation du licenciement.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Kodak Alaris France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 3 février 2017 de la ministre chargée du travail.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B...demande au titre des frais de l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B...le versement de la somme que la société Kodak Alaris France demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1702625 du 22 juin 2018 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Kodak Alaris France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Kodak Alaris France, à la ministre du travail et à M. A...B....

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Larsonnier, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 juillet 2019.

Le rapporteur,

V. LARSONNIER

Le président,

J. LAPOUZADELe greffier,

C. POVSE La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18PA02526 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02526
Date de la décision : 04/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : GRANGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-07-04;18pa02526 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award