Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités suédoises.
Par un jugement n° 1823380/6-1 du 8 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B...en procédure normale dans un délai de quinze jours et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 7 mars 2019 sous le numéro 19PA00994, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1823380/6-1 du 8 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M.B....
Le préfet de police soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le premier juge a poursuivi l'instruction dans le cadre du délibéré ;
- c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens doivent être écartés par les motifs invoqués en première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2019, M.B..., représenté par Me A..., conclut au non-lieu à statuer et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou sur celui de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que l'exécution du jugement par l'enregistrement de sa demande d'asile prive d'objet l'appel du préfet de police.
II. Par une requête enregistrée le 3 avril 2019 sous le numéro 19PA01218, le préfet de police demande à la Cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1823380/6-1 du 8 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris.
Le préfet de police soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le premier juge a poursuivi l'instruction dans le cadre du délibéré ;
- c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens invoqués en première instance par M. B...ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2019, M.B..., représenté par Me A..., conclut au non-lieu à statuer et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que l'exécution du jugement par l'enregistrement de sa demande d'asile prive d'objet l'appel du préfet de police.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 2 mai 2019, M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Platillero a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant afghan né en 1983 à Ghazni et entré irrégulièrement sur le territoire français, s'est présenté le 16 octobre 2018 au guichet unique de la préfecture de police en charge de l'examen des demandeurs d'asile, aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités suédoises le 5 novembre 2015. Le 24 octobre 2018, le préfet de police a adressé aux autorités suédoises une demande de reprise en charge de M.B..., en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités suédoises ont accepté le 2 novembre 2018 de reprendre en charge l'intéressé. Par un arrêté du 12 décembre 2018, le préfet de police a décidé de remettre M. B...à ces autorités. Le préfet de police fait appel du jugement du 8 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. B...en procédure normale dans un délai de quinze jours et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros.
2. Les requêtes n° 19PA00994 et n° 19PA01218 présentées par le préfet de police tendent respectivement au sursis à l'exécution et à l'annulation du même jugement du 8 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin de non-lieu :
3. La circonstance que le préfet de police a exécuté le jugement attaqué, conformément à l'injonction prononcée, dans l'attente des résultats de l'appel, ne présume de sa renonciation à sa requête. La requête n° 19PA00994 n'est ainsi pas devenue sans objet. Les conclusions de M. B...à fin de non-lieu à statuer doivent dès lors être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. L'arrêté du préfet de police du 12 décembre 2018 a pour seul objet de renvoyer M. B...en Suède et non dans son pays d'origine alors que la Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, M. B...ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que les autorités et juridictions suédoises n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités suédoises, alors même que la demande d'asile de M. B...a été définitivement rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auquel il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler son arrêté du 12 décembre 2018 portant remise de M. B...aux autorités suédoises.
6. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B...s'est vu remettre le 16 octobre 2018 les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue farsi qu'il a déclaré comprendre. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
10. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. En l'espèce, ni le résumé de l'entretien individuel dont a bénéficié M. B...le 16 octobre 2018, qui porte seulement le tampon du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, ni aucune autre pièce du dossier ne permet de déterminer l'identité et la qualité de l'agent ayant mené celui-ci. Toutefois, aucune pièce du dossier ne permet de soupçonner que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée et
M.B..., assisté d'un interprète, a eu la possibilité, lors de cet entretien, de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Par suite, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien individuel n'a pas privé M. B... d'une garantie et n'a pas été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit, dès lors, être écarté.
11. En troisième lieu, la décision de transfert de M. B... aux autorités suédoises vise notamment le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le règlement n° 604/2013 du 6 juin 2013. Elle rappelle la date, le lieu de naissance et la nationalité de l'intéressé, précise qu'il s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile à Paris le 16 octobre 2018, où il a effectué une demande de protection internationale, et rappelle que la comparaison de ses empreintes digitales au moyen du système " Eurodac " a fait apparaître qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités suédoises le 5 novembre 2015. La décision énonce également que les autorités suédoises, saisies le 24 octobre 2018, ont accepté le 2 novembre 2018 la reprise en charge de M. B... sur le fondement du d) du 1) de l'article 18 du règlement précité, que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable et qu'il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Suède ou être exposé à une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités suédoises. La décision précise enfin que la situation de M. B...ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 et 17 du règlement n° 604/2013 du 6 juin 2013. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de M. B...doit être écarté.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".
13. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'arrêté du 12 décembre 2018 portant transfert de M. B...aux autorités suédoises n'exposait pas l'intéressé à des traitements inhumains ou dégradants, M. B...n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions dérogatoires mentionnées à l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
14. Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 19 de cette Charte : " (...) 2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment mentionnés, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent qu'être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement, que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 12 décembre 2018, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. B...en procédure normale dans un délai de quinze jours et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros. Ce jugement doit ainsi être annulé et la demande de première instance de M. B... rejetée.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
17. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement du 8 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 19PA01218 par laquelle le préfet de police sollicite de la Cour le sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et celles de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, les sommes que M. B...demande au titre des frais qu'il a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 19PA01218.
Article 2 : Le jugement n° 1823380/6-1 du 8 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : La demande de M. B...devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Legeai, premier conseiller,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
F. PLATILLEROLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. C...La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 19PA00994 ; 19PA01218