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20/06/2019 | FRANCE | N°18PA02616

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 20 juin 2019, 18PA02616


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande de changement de nom en " E... ".

Par un jugement n° 1700271/4-3 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 juillet 2018 et le 22 avril 2019, MmeC..., représentée par MeD..., d

emande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700271/4-3 du 31 mai 2018 du tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande de changement de nom en " E... ".

Par un jugement n° 1700271/4-3 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 juillet 2018 et le 22 avril 2019, MmeC..., représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700271/4-3 du 31 mai 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 8 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande de changement de nom en " E... " ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice d'autoriser le changement de nom demandé dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme C...soutient que :

- elle justifie d'un intérêt légitime au sens du premier alinéa de l'article 61 du code civil ;

- elle fait usage du nom sollicité ;

- le nom " E... " est menacé d'extinction ;

- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 avril 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero ;

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public ;

- et les observations de MeD..., en présence de MmeC....

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 6 septembre 2013, Mme C...a sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice l'autorisation de changer son nom, qui est celui de son père, en " E... ", qui est celui de sa mère. Par une décision du 8 novembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à cette demande. Mme C...fait appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien fondé du jugement :

2. L'article 61 du code civil dispose : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

3. Mme C...fait valoir que son père a quitté le domicile familial alors qu'elle n'était âgée que de quelques mois et a définitivement rompu tout lien avec sa famille alors qu'elle était âgée de six ans. Elle ajoute qu'à la suite de cet abandon, elle n'a plus revu son père, qui n'a jamais contribué matériellement à son éducation et à son entretien, et a été élevée par sa seule mère, Mme E..., sans aide financière de la part de son père. Ces faits sont confirmés par des attestations et des avis d'imposition de sa mère, qui font état d'un parent isolé et ne mentionnent aucune pension alimentaire au cours des années où la requérante était encore mineure. Par ailleurs, Mme C... produit une attestation d'une psychologue clinicienne établie le 19 juin 2018, qui confirme encore l'absence du père et l'importance de la filiation maternelle pour l'intéressée, " élément clé de son identité ". Enfin, le nom sollicité par la requérante est celui de sa mère, qui a seule pourvu à son éducation, et dont elle fait usage au quotidien, accolé à son patronyme. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à se prévaloir de circonstances exceptionnelles liées à des motifs d'ordre affectif qui caractérisent un intérêt légitime, au sens des dispositions précitées de l'article 61 du code civil, pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être accueilli.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ce jugement et la décision du 8 novembre 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice doivent ainsi être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".

6. Dans les circonstances de l'espèce, l'annulation de la décision litigieuse pour le motif retenu au point 3 du présent arrêt implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, présente au Premier ministre un projet de décret tendant à autoriser Mme C... à substituer à son nom celui de " E... ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par MmeC..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700271/4-3 du 31 mai 2018 du tribunal administratif de Paris et la décision du 8 novembre 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à autoriser Mme A...C...à substituer à son nom celui de " E... ".

Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

F. PLATILLEROLa présidente,

S. PELLISSIERLe greffier,

M. B...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02616


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02616
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : LONCHAMPT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-20;18pa02616 ?
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