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20/06/2019 | FRANCE | N°18PA00890

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 juin 2019, 18PA00890


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision en date du 13 juin 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1606888 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mars 2018, M. B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1606888 du 29 décembre 2

017 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision en date d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision en date du 13 juin 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1606888 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mars 2018, M. B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1606888 du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision en date du 13 juin 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute grave ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société France Securis Privée la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'inspecteur du travail ne lui a transmis aucun des éléments et témoignages produits par son employeur ; le seul fait qu'il a été reçu le 9 juin 2016 par l'inspecteur du travail ne permet pas d'attester du caractère contradictoire de la procédure alors, en tout état de cause, qu'il n'aurait matériellement pas eu le temps de prendre connaissance de l'ensemble des pièces au cours de cet entretien et de préparer utilement sa défense ;

- l'utilisation du haut-parleur du téléphone, qui a permis à son employeur de produire devant l'inspection du travail les témoignages de tiers, a été faite à son insu, de même que l'enregistrement de cette conversation diffusé aux membres du comité d'entreprise, de sorte que ce procédé déloyal rend irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ; en outre, ce procédé a été mis en oeuvre sciemment, dans l'intention d'obtenir une autorisation de licenciement après plusieurs refus ;

- la matérialité des faits n'est ainsi pas établie, pas davantage que celle de ceux à l'origine de précédentes sanctions disciplinaires, comme en attestent les refus opposés à de précédentes demandes d'autorisation de licenciement ;

- les faits ne revêtent en tout état de cause pas un caractère de gravité suffisant, eu égard aux attestations quant à ses qualités professionnelles, au contexte de modification unilatérale de ses conditions de travail et aux pressions exercées à son encontre par son employeur pour le pousser à la faute.

La requête a été communiquée à la ministre du travail, à la société France Securis Privée et à MeG..., liquidateur, qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guilloteau,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier en date du 13 avril 2016, la société France Securis Privée a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M.B..., agent de prévention et de sécurité, délégué du personnel et membre élu du comité d'entreprise suppléants. Par une décision en date du 13 juin 2016, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement du salarié pour faute à raison de propos tenus à l'égard de son employeur lors d'une conversation téléphonique du 2 février 2016. Par la présente requête, M. B... demande l'annulation du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. A l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, les articles R. 2421-4 et R. 2121-11 du code du travail disposent que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".

3. En premier lieu, le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a, par un courrier daté du 21 avril 2016 et reçu le 22 avril suivant, informé M. B...avoir été saisi d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire et l'a convoqué pour l'enquête contradictoire le 9 juin 2016, à laquelle l'intéressé s'est présenté. Ce courrier comportait en pièce jointe une copie de la demande formée par la société France Securis Privée et précisait que les documents annexés à cette demande étaient à sa disposition dans le bureau de l'inspecteur du travail. Il n'est pas établi ni même allégué que le salarié aurait demandé en vain à consulter ces documents ou à en obtenir copie. Dans ces conditions, M. B...a été mis à même de prendre connaissance des pièces produites par son employeur à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement. Le moyen tiré du défaut de caractère contradictoire de la procédure doit ainsi être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. " et aux termes de l'article L. 1222-4 de ce code : " Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. ".

6. Pour autoriser le licenciement de M.B..., la décision du 13 juin 2016 est fondée sur des propos menaçants et injurieux tenus par M. B...lors d'une conversation téléphonique avec son employeur, le 2 février 2016, dont elle retient la matérialité aux motifs " qu'alors que Monsieur A...E...avait activé le haut-parleur du téléphone, trois témoins ont entendu ces propos " et que le salarié " a reconnu le 31 mars 2016 lors de son audition par les membres du comité d'entreprise, les avoir proférés ".

7. D'une part, le requérant fait valoir que l'enregistrement de cette conversation par le système de vidéo-surveillance installé dans les locaux de l'entreprise ne peut être utilisé pour établir la matérialité des faits qui lui sont reprochés dès lors que ce système de contrôle n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés et n'a pas donné lieu à une information et une consultation préalable du comité d'entreprise. Toutefois, il ne ressort pas des motifs de la décision du 13 juin 2016 que l'inspecteur du travail se serait fondé sur cet enregistrement.

8. D'autre part, ont été transmis à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement les témoignages de trois salariés de l'entreprise, ayant entendu la conversation téléphonique entre M. B... et son employeur du fait de l'activation par ce dernier du haut-parleur de son téléphone au sein d'un bureau ouvert. Si le requérant fait valoir qu'il n'a pas été prévenu de l'écoute de sa conversation par des tiers, il est constant que c'est M. B...qui a appelé sa hiérarchie pour obtenir des explications sur un refus de congé sans solde qui lui avait été opposé. Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs d'établir que l'activation du haut-parleur par l'employeur lorsqu'il a pris l'appel aurait été faite dans le dessein de disposer de témoignages à l'encontre du salarié ni que l'employeur aurait cherché à provoquer une réaction du salarié. Dans ces conditions et alors que la mise sur haut-parleur constitue une fonctionnalité habituelle d'un téléphone, M. B...n'est pas fondé à soutenir que les témoignages des trois salariés ne pouvaient légalement être utilisés pour établir la matérialité des faits.

9. En dernier lieu, M. B...ne conteste pas avoir tenu, lors de cette conversation téléphonique, les propos suivants à l'encontre de son employeur : " je vais vous mener une guerre sans fin " et " je vous emmerde sale chien ". De tels propos injurieux et menaçants, au cours d'une conversation à l'initiative du salarié motivée par le refus de son employeur de lui accorder un congé sans solde, présentent par eux-mêmes un caractère de gravité suffisante pour justifier le licenciement. Si le requérant fait valoir que son employeur aurait par le passé multiplié les pressions pour l'amener à la faute, il se borne à renvoyer à cet égard à des courriers rédigés par lui au sujet de la suspension de sa rémunération durant des périodes de mise à pied, sans apporter d'explications sur leur contexte et les suites qui y ont été données, et à des courriers rédigés par lui et un syndicat quant à des changements de lieux d'affectation et d'horaires, sans établir ni même alléguer que ces changements ne seraient pas conformes à son contrat de travail. Dans ces conditions, l'inspecteur du travail a pu, sans erreur d'appréciation, autoriser le licenciement de M.B....

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F...B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à la ministre du travail, à la société France Securis Privée et à MeC... G....

Délibéré après l'audience du 18 avril 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

L. GUILLOTEAULe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 18PA00890


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00890
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TIGRINE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-20;18pa00890 ?
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