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20/06/2019 | FRANCE | N°17PA22799

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 20 juin 2019, 17PA22799


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association AIDES, l'association Comité inter mouvements auprès des évacués (CIMADE)-Service Œcuménique d'entraide, l'association Collectif Haïti de France, l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), l'association Ligue des droits de l'homme et l'association Médecins du monde ont demandé au tribunal administratif de Cayenne d'annul

er l'arrêté du préfet de la Guyane n° 1461/EMZD-PC du 20 août 2013 prorogeant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association AIDES, l'association Comité inter mouvements auprès des évacués (CIMADE)-Service Œcuménique d'entraide, l'association Collectif Haïti de France, l'association Comité médical pour les exilés (COMEDE), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), l'association Ligue des droits de l'homme et l'association Médecins du monde ont demandé au tribunal administratif de Cayenne d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane n° 1461/EMZD-PC du 20 août 2013 prorogeant l'arrêté n° 351/EMZD-PPC du 8 mars 2013 portant réglementation de la circulation sur la route nationale n° 2 du P.R. 108 + 33 au P.R. 108 + 700, ainsi que l'arrêté du même préfet n° 2014044-0018 du 13 février 2014 prorogeant l'arrêté du 20 août 2013.

Par un jugement n°1301028-1400525 du 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté leur demande. Par un arrêt n° 15BX00342 du 18 juin 2015, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement.

Par une décision n° 392758 du 7 février 2017, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel Bordeaux et, réglant l'affaire au fond, annulé le jugement du tribunal administratif de Cayenne en tant qu'il a regardé la demande comme irrecevable pour défaut d'intérêt à agir des associations requérantes, et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, au tribunal administratif de la Guyane.

Par un jugement n° 1700158 du 1er juin 2017, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté la demande des associations.

Procédure devant la juridiction d'appel :

Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise sur le fondement de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la Cour administrative d'appel de Paris le jugement du dossier d'appel enregistré à la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Par une requête enregistrée le 14 août 2017, des pièces enregistrées les 18 et 20 septembre 2017, et un mémoire enregistré le 20 février 2019, l'association AIDES, l'association CIMADE, l'association Comité pour la santé des exilés (COMEDE), l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), l'association Ligue des droits de l'homme et l'association Médecins du monde, représentées par Me Pialou, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700158 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) d'annuler :

- l'arrêté du préfet de la Guyane du 20 août 2013 prorogeant l'arrêté du 8 mars 2013 portant réglementation de la circulation sur la route nationale n° 2 du P.R. 108 + 33 au P.R. 108 + 700 ;

- l'arrêté du préfet de la Guyane du 13 février 2014 prorogeant l'arrêté du 20 août 2013 portant réglementation de la circulation sur la route nationale n° 2 du P.R. 108 + 33 au P.R. 108 + 700 ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Cayenne désignant le magistrat judiciaire appelé à siéger, le cas échéant, au tribunal administratif est intervenue en dehors du délai prévu à l'article R. 223-4 du code de justice administrative ;

- les arrêtés litigieux sont entachés d'une incompétence matérielle de leur auteur, dès lors qu'ils sont intervenus dans le domaine de la recherche des infractions, qui relève de la police judiciaire, laquelle ressortit à la compétence du procureur de la République ;

- ils méconnaissent le principe de la liberté individuelle et de la liberté d'aller et de venir, qui est garantie tant par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que par l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils emportent des conséquences disproportionnées par rapport au but poursuivi ;

- ils méconnaissent le droit à la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et par les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ils méconnaissent le droit à l'éducation et à la formation garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et par les stipulations de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ils méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti, d'une part, par les stipulations combinées des articles 5 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puisqu'ils peuvent conduire au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière sans possibilité pour les intéressés de disposer d'un droit de recours juridictionnel effectif, et d'autre part, par les stipulations combinées des articles 8 et 13 de cette convention, puisqu'ils peuvent conduire à l'éloignement de ces mêmes étrangers sans possibilité pour les intéressés de disposer d'un droit de recours juridictionnel effectif ;

- ils méconnaissent également les stipulations de l'article 3 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant qu'ils peuvent conduire à l'éloignement de citoyens français dépourvus de documents d'identité ;

- ils méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, dès lors qu'ils instituent une différence de traitement, d'une part entre étrangers en situation irrégulière relativement à la possibilité de déposer une demande d'asile, et d'autre part entre citoyens français, selon qu'ils sont ou non titulaires de documents d'identité ;

- ils sont contraires à l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par des mémoires en défense enregistrés le 21 février 2019 et le 17 mai 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et ses articles 72 et 73, ensemble la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble ses premier et quatrième protocoles additionnels ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, notamment son article 34 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 97-389 DC du 22 avril 1997.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,

- les observations de Me B...C..., substituant Me Pialou, avocat des associations requérantes.

Considérant ce qui suit :

1. L'arrêté du préfet de la Guyane, n° 1461/EMZD-PC en date du 20 août 2013, prorogeant l'arrêté n° 351/EMZD-PPC du 8 mars 2013 portant réglementation de la circulation sur la route nationale n° 2 du P.R. 108 + 33 au P.R. 108 + 700, dispose en son article 1er qu'un poste fixe de la gendarmerie nationale est installé sur la route nationale n° 2 à proximité du pont Régina sur l'Approuague. Il prévoit, par ses articles 2 et 3, divers aménagements matériels (chaussée, signalisation) ainsi qu'une limitation de la vitesse et un arrêt obligatoire au niveau du poste de gendarmerie ; il énonce en son article 4 que " le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun de ces contrôles permanents à l'intérieur du territoire doit être principalement ciblé sur la répression de l'orpaillage clandestin et l'immigration clandestine ". Par un nouvel arrêté en date du 13 février 2014, le préfet de la Guyane a prolongé, pour une durée de six mois supplémentaires, les effets de son arrêté du 20 août 2013. Les associations requérantes ayant demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler ces arrêtés pour excès de pouvoir, ce dernier, statuant par un jugement du 1er juin 2017 dont les intéressées relèvent appel, a rejeté leur demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 223-1 du code de justice administrative : " Dans les départements et régions d'outre-mer (...), les tribunaux administratifs peuvent comprendre, à titre permanent ou comme membres suppléants, des magistrats de l'ordre judiciaire ". Aux termes de l'article R. 223-3 du même code : " Les magistrats de l'ordre judiciaire appelés à faire partie des tribunaux administratifs des départements et régions d'outre-mer (...) sont choisis parmi les magistrats en fonctions dans le ressort ". Aux termes de l'article R. 223-4 du même code :

" Le magistrat mentionné à l'article R. 223-3 est désigné chaque année, dans la première quinzaine du mois de décembre, par le premier président de la cour d'appel ou, le cas échéant, le président du tribunal supérieur d'appel. Un membre suppléant est désigné dans les mêmes conditions ". Le délai instauré par les dispositions précitées pour la désignation annuelle, par le premier président de la cour d'appel du ressort, du magistrat de l'ordre judiciaire et de son suppléant appelés à faire partie d'un tribunal administratif a pour seul objet que d'assurer, à tout moment et dans le souci de la continuité du service public de la justice, la disponibilité d'un tel magistrat aux fins de compléter, s'il échet, la formation collégiale du tribunal. En particulier, doit être envisagée la possibilité de parer à la survenue d'un cas quelconque d'empêchement d'un magistrat précédemment désigné. Dès lors, et sauf circonstances particulières, la signature de l'ordonnance prévue à l'article R. 223-4 du code de justice administrative en dehors du délai susmentionné n'a pas en principe, par elle-même, pour effet de rendre irrégulière la composition de la formation de jugement résultant de la désignation ainsi opérée.

3. Par suite, s'il ressort des mentions du jugement attaqué que le magistrat judiciaire qui a siégé au sein du tribunal administratif de la Guyane lorsque ce dernier l'a rendu, n' a été désigné comme membre suppléant dudit tribunal que par une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Cayenne en date du 10 mai 2017, les associations requérantes, faute d'invoquer des circonstances particulières à l'espèce qui rendraient par elles-mêmes irrégulières la participation de ce magistrat au jugement de leur affaire, ne sont pas fondées à soutenir que le non-respect du délai prévu à l'article R. 223-4 du code de justice administrative aurait entaché d'irrégularité la composition de la formation de jugement ayant prononcé le jugement attaqué. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

Sur la légalité des arrêtés litigieux :

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 73 de la Constitution : " Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ".

5. Aux termes du onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration et de l'article 143 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure : " Dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà, et sur une ligne tracée à cinq kilomètres de part et d'autre, ainsi que sur la route nationale 2 sur le territoire de la commune de Régina, l'identité de toute personne peut être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi " Les " modalités prévues au premier alinéa ", auxquelles il est renvoyé par cette disposition, consistent en la possibilité, pour les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, pour les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21° 1° du code de procédure pénale, d'inviter toute personne à justifier, par tout moyen, de son identité.

6. Dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, le Conseil constitutionnel, saisi notamment de la question de la constitutionnalité de son article 18, a jugé que cette disposition n'était pas contraire à la Constitution, au motif que les zones concernées par les contrôles d'identité prévus par la disposition critiquée, précisément définies dans leur nature et leur étendue, présentent des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes et que, dès lors, la situation particulière du département de la Guyane au regard de l'immigration clandestine a pu conduire le législateur à prendre les dispositions critiquées sans rompre l'équilibre que le respect de la Constitution impose d'assurer entre les nécessités de l'ordre public et la sauvegarde de la liberté individuelle. L'extension, opérée par l'article 143 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, de la portée des dispositions du onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale " sur une ligne tracée à cinq kilomètres de part et d'autre, ainsi que sur la route nationale 2 sur le territoire de la commune de Régina " n'a jamais été contestée devant le Conseil constitutionnel, ni dans le cadre de saisine de ladite loi avant sa promulgation dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, ni dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité prévue par l'article 61-1 de celle-ci.

En ce qui concerne la légalité externe :

7. Aux termes du dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution : " Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Aux termes du I de l'article 34 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions : " Le préfet de département, représentant de l'État dans le département, est nommé par décret en conseil des ministres. Il représente chacun des membres du Gouvernement. / Il a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois, de l'ordre public (...). / Il dirige les services de l'État dans le département sous réserve des exceptions limitativement énumérées par un décret en Conseil d'État ". Aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 122-1 du code de la sécurité intérieure : " Sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l'exercice de la mission de police judiciaire et des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la prévention de la délinquance, le représentant de l'État dans le département (...) anime et coordonne l'ensemble du dispositif de sécurité intérieure. / À cet effet, sans préjudice des missions de la gendarmerie relevant de la défense nationale, il fixe les missions autres que celles qui sont relatives à l'exercice de la police judiciaire et coordonne l'action des différents services et forces dont dispose l'État en matière de sécurité intérieure. / Il dirige l'action des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale en matière d'ordre public et de police administrative. Dans le respect du statut militaire pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, les responsables départementaux de ces services et unités sont placés sous son autorité et lui rendent compte de l'exécution et des résultats de leurs missions en ces matières ". Aux termes de l'article 11 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements : " Le préfet de département a la charge de l'ordre public et de la sécurité des populations. / Il est responsable, dans les conditions fixées par les lois et règlements relatifs à l'organisation de la défense et de la sécurité nationale, de la préparation et de l'exécution des mesures de sécurité intérieure (...) ".

8. Il résulte de la combinaison des dispositions législatives et réglementaires précitées que le préfet de la Guyane est compétent, dans le cadre de ses pouvoirs que lui confère sa qualité d'autorité de police générale dans le département, pour édicter, sous le contrôle du juge administratif, les dispositions qui lui apparaissaient nécessaires au maintien de l'ordre public et au renforcement de la sécurité des populations, telles notamment que celles nécessaires à la mise en oeuvre matérielle des mesures de contrôle de l'identité des personnes en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi, qui ressortissent au domaine de la police administrative, instaurées par le onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés attaqués doit donc être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant de la méconnaissance de diverses dispositions de nature constitutionnelle :

9. D'une part, le principe d'égalité devant la loi est garanti par l'article 1er de la Constitution et par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à laquelle le préambule de la Constitution confère valeur constitutionnelle. La liberté d'aller et venir est protégée par les articles 2 et 4 de cette même Déclaration. D'autre part, en vertu du onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel le préambule de la Constitution confère également valeur constitutionnelle, la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, le droit à la santé. Aux termes de la première phrase du treizième alinéa du même texte : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ".

10. Les arrêtés litigieux se bornant à déterminer les conditions matérielles de mise en oeuvre du dispositif de contrôle de l'identité des personnes, spécifique à la Guyane, institué par les dispositions du onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale issues de l'article 18 de la loi du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration et de l'article 143 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que ces arrêtés seraient contraires aux dispositions de nature constitutionnelle précitées, le juge administratif n'étant pas compétent pour apprécier la constitutionnalité des lois hors le cas d'engagement de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité prévue à l'article 61-1 de la Constitution.

S'agissant de la méconnaissance de diverses stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels :

Quant à la liberté d'aller et de venir :

11. L'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Liberté de circulation. - 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. / 4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique ".

12. D'une part, la possibilité, pour une personne se déplaçant dans l'espace public, d'être soumise à un contrôle de son identité dans les conditions prévues par la loi constitue par elle-même, dans une société démocratique, une mesure nécessaire notamment à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public et à la prévention des infractions pénales, au sens et pour l'application du 2 de l'article 2 précité du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pourvu que les modalités d'exercice d'un tel contrôle ne portent pas une atteinte excessive à la liberté de circulation des individus. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle atteinte résulte de la mise en oeuvre, par les deux arrêtés attaqués et dans leur zone géographique d'application, des dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale. En outre, les stipulations précitées n'ont vocation à bénéficier qu'aux seules personnes qui se trouvent en situation régulière sur le territoire français. Est en conséquence inopérante l'argumentation développée par les requérantes, selon lesquelles les arrêtés litigieux méconnaitraient, pour tous les étrangers présents en Guyane, le droit de circuler librement.

13. D'autre part, la Guyane connait des phénomènes migratoires de grande ampleur et une situation préoccupante d'atteintes graves à la sécurité des personnes et des biens et aux intérêts nationaux, qui résultent notamment de l'orpaillage illégal pratiqué par des étrangers contre lequel ont été engagés des moyens de lutte armée de grande ampleur. Cette situation particulière conduit à regarder les dispositions du onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale, fondement légal des deux arrêtés litigieux, comme constituant une mesure nécessaire " à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales ", au sens et pour l'application du 3 de l'article 2 du protocole additionnel

n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et comme " justifiées par l'intérêt public " au sens et pour l'application du 4 du même article. La circonstance que le contenu des arrêtés en litige soit substantiellement identique à celui de précédents arrêtés, systématiquement renouvelés tous les six mois depuis plusieurs années, n'est pas de nature à leur faire perdre leur caractère de nécessité au sens des stipulations précitées.

14. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

Quant au droit à la santé :

15. Le droit à la santé est garanti par les stipulations combinées des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'article 3 de cette convention stipule : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

16. Les associations requérantes soutiennent que les arrêtés attaqués méconnaissent le droit à la santé, dès lors qu'en instaurant un contrôle d'identité systématique au barrage routier, ils conduisent à restreindre l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière et des ressortissants français issus des populations autochtones et dépourvus de documents d'identité. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments d'ordre général produits par les associations requérantes, que les arrêtés litigieux emporteraient directement, du seul fait des contrôles d'identité qu'ils instaurent, des conséquences sur la santé des personnes.

Quant au droit à l'éducation et à la formation :

17. Les associations requérantes soutiennent que, la plupart des formations professionnelles ou universitaires se déroulant à Cayenne, l'existence d'un point de contrôle à Régina constitue une entrave à la circulation et donc au droit à l'éducation reconnu par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment pour les jeunes guyanais d'origine amérindienne en situation précaire.

18. Aux termes de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Droit à l'instruction. - Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ".

19. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des considérations d'ordre général, insuffisamment documentées sur ce point, développées par les associations requérantes que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale par les arrêtés litigieux aggraverait, par elle-même, la situation déjà défavorable de certaines populations au regard de l'accès aux établissements éducatifs.

20. D'autre part, le droit à l'éducation garanti par les stipulations précitées ne saurait conférer un droit à tout ressortissant étranger souhaitant venir étudier en France à être dispensé d'être en règle avec la réglementation sur le droit au séjour.

21. Le moyen doit donc être écarté en ses deux branches.

Quant au droit à un recours juridictionnel effectif contre les mesures de privation de liberté ou portant atteinte au droit à la vie privée et familiale :

22. Aux termes du 4 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " (...) / 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Enfin, aux termes de l'article 13 de la même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ".

23. Les associations requérantes soutiennent que les deux arrêtés attaqués méconnaissent, d'une part, les stipulations précitées des articles 5 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'en permettant des contrôles systématiques, ils conduisent à des mesures privatives de liberté en l'absence de recours effectif des étrangers à l'encontre des décisions portant placement en rétention administrative à la suite de leur interpellation au barrage routier, et, d'autre part, les stipulations des articles 8 et 13 de la même convention, dès lors qu'ils conduisent à des mesures d'éloignement massives et expéditives occasionnant des atteintes à la vie privée et familiale des personnes concernées, en l'absence du caractère suspensif en Guyane du recours pour excès de pouvoir à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire.

24. D'une part, les deux arrêtés se bornent à organiser un point de contrôle de la circulation routière sur la route nationale n° 2 à proximité du pont de Régina et n'ont pas, par eux-mêmes, pour objet ou effet d'entrainer une mesure privative de liberté à l'encontre des personnes contrôlées ; il suit de là que le moyen tiré de la violation combinées des articles 5 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme ne peut être utilement invoqué à l'encontre des décisions attaquées et ne peut qu'être écarté.

25. D'autre part, ces arrêtés, dans la portée qui est décrite au point précédent, n'ont, par eux-mêmes, pas davantage pour objet ou effet de porter atteinte à la situation familiale des personnes contrôlées ; il suit de là que le moyen tiré de la violation combinées des articles 8 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme est également sans incidence sur la légalité des arrêtés attaqués et ne peut qu'être écarté.

Quant au principe interdisant d'expulser les nationaux :

26. Le premier alinéa de l'article 3 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Interdiction de l'expulsion des nationaux. - 1. Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l'État dont il est le ressortissant (...) ". Même s'il est constant que certains ressortissants français vivant en Guyane sont dépourvus de documents d'identité, les arrêtés litigieux n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser leur éloignement du territoire français. Le moyen, qui est mal fondé, doit donc être écarté.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

27. L'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " I. - En dehors de tout contrôle d'identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) du code de procédure pénale. / À la suite d'un contrôle d'identité effectué en application des articles (...) 78-2 (...) du code de procédure pénale, les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents visés à l'alinéa précédent. / Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation des pièces et documents prévus aux deux premiers alinéas du présent I ne peuvent être effectués que si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger. / II. - Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation des pièces et documents mentionnés au premier alinéa du I ne peuvent être pratiqués que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peuvent consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans ce lieu ". Les dispositions précitées du II de l'article

L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, doivent être combinées avec celles du I, qui renvoie expressément à l'article 78-2 du code de procédure pénale. Elles sont en outre substantiellement identiques, au demeurant, à celles figurant aux neuvième et dixième alinéas de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Elles n'ont donc ni pour objet, ni même pour effet de déroger aux dispositions particulières à la Guyane, comme d'ailleurs à d'autres territoires d'Outre-mer, instituées par le onzième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale.

28. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guyane a rejeté leur demande tendant à l'annulation des deux arrêts préfectoraux contestés. Leur requête d'appel doit être rejetée, en ce comprises ses conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que les associations requérantes sont la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association AIDES et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association AIDES, à l'association CIMADE, à l'association Comité pour la santé des exilés (COMEDE), à l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), à l'association Ligue des droits de l'homme (LDH), à l'association Médecins du monde, au ministre de l'intérieur et au ministre des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la région Guyane, préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLa présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au ministre des Outre-mer en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA22799


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17PA22799
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie - Installations nucléaires - Déclaration d'utilité publique des travaux de construction d'une centrale nucléaire.

Energie - Installations nucléaires.

Police - Étendue des pouvoirs de police - Champ d'application des mesures de police.

Police - Police générale - Circulation et stationnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : PIALOU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-20;17pa22799 ?
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