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20/06/2019 | FRANCE | N°15PA02391,16PA01313

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 juin 2019, 15PA02391,16PA01313


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...I...A..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses filles mineures F...G...J...A...et F...H...K...A..., a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à leur verser la somme de 1 224 161,21 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande indemnitaire, en raison des fautes commises au sein de l'hôpital Tenon dans la prise en charge de leur épouse et mère ayant conduit à son décès et de con

damner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à rembourser les entiers dép...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...I...A..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses filles mineures F...G...J...A...et F...H...K...A..., a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à leur verser la somme de 1 224 161,21 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande indemnitaire, en raison des fautes commises au sein de l'hôpital Tenon dans la prise en charge de leur épouse et mère ayant conduit à son décès et de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à rembourser les entiers dépens dont notamment la somme de 1 643,79 euros au titre des frais d'expertise qui ont été supportés par M.A....

Par un jugement n° 1420552/6-1 du 17 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, déclaré l'Assistance publique - hôpitaux de Paris responsable des préjudices des consorts A...résultant des fautes commises à l'hôpital Tenon à Paris ayant entraîné le décès de Mme C... A...et, d'autre part, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la demande de réparation du préjudice de M. A...et de ses enfants, procédé à un complément d'expertise médicale.

Par un jugement n° 1420552/6-1 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à M. F...A..., en son nom propre et au nom de ses enfants, en leur qualité d'ayant droit de Mme C...A..., la somme de 18 000 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à M. F...A...la somme de 31 500 euros et à chacune de ses filles la somme de 31 500 euros en réparation de leur préjudice moral, d'affection et d'accompagnement, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à M. F...A...la somme de 2 340 euros en remboursement des frais d'obsèques, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 6 450,84 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2014 et a mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 643,79 euros par l'ordonnance en date du 19 janvier 2011 et à la somme de 400,50 euros par l'ordonnance du 23 novembre 2015 du vice-président du tribunal administratif de Paris et a rejeté le surplus des conclusions des consorts A...et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.

Procédure devant la Cour :

I°/ Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 juin 2015 et le 10 août 2015 sous le n° 15PA02391, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1420552/6-1 du 17 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, déclaré l'Assistance publique - hôpitaux de Paris responsable des préjudices des consorts A...résultant des fautes commises à l'hôpital Tenon à Paris ayant entraîné le décès de Mme C...A...et, d'autre part, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la demande de réparation du préjudice de M. A...et de ses enfants, procédé à un complément d'expertise médicale ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...et ses enfants devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une contre-expertise.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le taux croissant et anormal d'érythroblastes relevé les 18 et 25 novembre 2008 aurait dû inciter à contrôler à nouveau les examens biologiques, bien avant le mois de février 2009, et conduire à l'arrêt de l'Aranesp, médicament prescrit pour fabriquer de l'hémoglobine et que le défaut de tels contrôles constituait une faute de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ; en effet, le taux d'érythroblastes dans la numération sanguine, qui est en rapport avec des anomalies qualitatives dans la fabrication des globules rouges, est dépourvu de toute portée et ne présage pas d'un risque particulier ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que si une saignée a été réalisée le 26 février après le retour de Mme A...à l'hôpital Tenon, l'absence d'une nouvelle saignée et de transfusion de culots globulaires lors du constat d'une hémoglobine encore à 11,9 grammes le 27 février 2009 constituent des fautes de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ; en effet, une saignée importante ayant été effectuée le 26 février 2009, il est d'usage d'attendre environ 48 heures avant d'éventuellement répéter ce geste ; en tout état de cause, l'action bénéfique des saignées n'est pas immédiate, et se manifeste généralement au terme de plusieurs semaines ; de plus, si Mme A... n'a pas fait l'objet d'une transfusion, c'est qu'elle ne présentait pas d'indication claire sur ce point, et ne présentait notamment pas de signes de défaillance respiratoire aigüe, d'autant plus qu'étant drépanocytaire, elle présentait un risque transfusionnel très élevé ;

- l'autopsie de Mme A...a permis de mettre en évidence l'existence de lésions anatomiques anciennes vasculaires pulmonaires en rapport avec une hypertension artérielle pulmonaire élevée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2015, M. F...I...A..., représenté par Me Edjang, avocat, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 4 500 euros soit mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne sont pas fondés.

Par un arrêt avant-dire-droit du 30 décembre 2016, la Cour, eu égard aux rapports d'expertise et aux documents médicaux versés au dossier qui révélaient une contradiction radicale des différentes appréciations des experts médicaux et des médecins, a estimé qu'il y avait lieu d'ordonner une nouvelle expertise médicale.

L'expert, nommé par une ordonnance du président de la cour le 19 janvier 2017, a déposé son rapport le 21 janvier 2019 au greffe de la cour.

Par deux mémoires, enregistrés le 28 mars 2019 et le 16 avril 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par MeD..., conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens.

Les parties ont été convoquées à la Cour le 17 avril 2019, sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative, afin de prendre connaissance des explications complémentaires sollicitées de l'expert nommé le 19 janvier 2017.

II°/ Par une requête, enregistrée le 18 avril 2016 sous le n° 16PA01313, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1420552/6-1 du 17 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, déclaré l'Assistance publique - hôpitaux de Paris responsable des préjudices des consorts A...résultant des fautes commises à l'hôpital Tenon à Paris ayant entraîné le décès de Mme C...A...et, d'autre part, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la demande de réparation du préjudice de M. A...et de ses enfants, procédé à un complément d'expertise médicale ;

2°) d'annuler, par voie de conséquence, le jugement n° 1420552/6-1 du 18 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à M. F...A..., en son nom propre et au nom de ses enfants, en leur qualité d'ayant droit de Mme C...A..., la somme de 18 000 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à verser la somme de 31 500 euros à M. F...A...et la somme de 31 500 euros à chacune de ses filles en réparation de leur préjudice moral, d'affection et d'accompagnement, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à verser à M. F...A...la somme de 2 340 euros en remboursement des frais d'obsèques, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 6 450,84 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2014, a mis à sa charge les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 643,79 euros par l'ordonnance en date du 19 janvier 2011 et à la somme de 400,50 euros par l'ordonnance du 23 novembre 2015 du vice-président du tribunal administratif de Paris et a rejeté le surplus des conclusions ;

3°) de rejeter la demande présentée par M. A...et ses enfants devant le tribunal administratif de Paris.

Elle soutient que le jugement attaqué doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation du jugement du 17 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déclarée responsable des préjudices subis par les consortsA....

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 25 octobre 2016, M. F...I...A..., agissant en son nom propre et en celui de ses deux enfants mineurs, F...G...J...A...et F...H...K...A..., représenté par Me Edjang, avocat, conclut, d'une part, au rejet de la requête ; à cette fin, il soutient que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris était responsable du décès de MmeA..., qu'il était fondé, avec ses deux enfants mineurs, à demander la réparation des préjudices subis de ce fait, et que les moyens soulevés par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne sont pas fondés ; d'autre part, par la voie de l'appel incident, il demande la réformation du jugement du 18 février 2016 en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses préjudices et à ce que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris soit condamnée à leur verser la somme totale de 848 994,29 euros, avec les intérêts au taux légal à compter de la demande préalable d'indemnisation, soit les sommes de 40 000 euros au titre des frais d'obsèques, de 299 865,52 euros au titre de la perte de revenus de M.A..., de 29 726,45 euros au titre de la perte de revenus de Mlle F...G...A..., de 33 858,21 euros au titre de la perte de revenus de Mlle F...H...A..., de 90 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement, de 50 000 euros au titre du préjudice moral et d'affection de M.A..., de 40 000 euros au titre du préjudice moral et d'affection de Mlle F...G...A..., de 40 000 euros au titre du préjudice moral et d'affection de Mlle F...H...A..., de 130 000 euros au titre du préjudice de perte de chance de survie, de 35 000 euros au titre des souffrances physiques endurées, de 50 000 euros au titre des souffrances morales et de l'angoisse d'une mort certaine, de 2 044,29 euros au titre des frais d'expertise judiciaire, de 1 500 euros au titre des honoraires du médecin conseil et de 7 000 euros au titre des frais de procédure et des dépens. A cette fin, il soutient que lui-même, son épouse avant son décès et ses deux filles mineures ont subi des préjudices du fait des fautes commises par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris que celle-ci doit indemniser. Enfin, il demande de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 4 500 euros soit mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne sont pas fondés.

Par un arrêt avant-dire-droit du 30 décembre 2016, la Cour, eu égard aux rapports d'expertise et aux documents médicaux versés au dossier qui révélaient une contradiction radicale des différentes appréciations des experts médicaux et des médecins, a estimé qu'il y avait lieu d'ordonner une nouvelle expertise médicale.

L'expert nommé par une ordonnance du président de la cour le 19 janvier 2017 a déposé son rapport le 21 janvier 2019 au greffe de la cour.

Par deux mémoires, enregistrés le 28 mars 2019 et le 16 avril 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par MeD..., conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens.

Les parties ont été convoquées à la Cour le 17 avril 2019, sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative, afin de prendre connaissance des explications complémentaires sollicitées de l'expert nommé le 19 janvier 2017.

Par une ordonnance en date du 6 mai 2019, le Président de la Cour administrative d'appel de Paris a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. E...B...à la somme de 2064 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me Edjang, avocat des consortsA..., et de Me Tsouderos, avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées n° 15PA02391 et n° 16PA01313, présentées pour l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, ont le même objet, soit la réparation des préjudices subis par lui-même, son épouse avant son décès et ses deux filles mineures du fait du décès de sa femme, et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Le 25 février 2009, Mme C...A..., qui était atteinte d'une drépanocytose homozygote diagnostiquée à l'âge de cinq ans et était suivie dans le centre de la drépanocytose du service de médecine interne de l'hôpital Tenon, a été convoquée, dans le cadre de la surveillance de sa maladie, à l'hôpital Tenon pour y réaliser un néphrotest, examen visant à évaluer la fonction rénale et le retentissement de l'insuffisance rénale. A l'issue de cet examen, Mme A...a signalé souffrir de douleurs ; il lui a alors été proposé de prendre contact avec le service qui traitait sa maladie au sein de ce même hôpital, mais elle a toutefois préféré regagner son domicile. Dans la soirée du même jour, vers 20 heures, devant la persistance des douleurs, elle s'est rendue dans le service des urgences de l'hôpital de Longjumeau, où elle a été placée en oxygénothérapie nasale puis, le 26 février, vers 15 heures, a été transférée à l'hôpital Tenon. Le 27 février 2009, son état clinique s'étant dégradé malgré la réalisation d'une saignée la veille et la mise en place d'une antibiothérapie, le diagnostic de syndrome thoracique aigu a été posé. Le 28 février 2009, la poursuite de l'altération de son état général, avec l'apparition de troubles neurologiques, a conduit à la réalisation d'un scanner cérébral vers 11 heures 30 - 12 heures ; un premier arrêt cardio-respiratoire est survenu à 13 heures 55 et a nécessité l'intervention d'un anesthésiste réanimateur à 13 heures 58 ; Mme A...a été immédiatement transférée en réanimation chirurgicale ; un tableau de syndrome de détresse respiratoire aiguë a été diagnostiqué ; Mme A...a fait un deuxième arrêt cardio-respiratoire à 18 heures 37, non suivi de reprise de l'activité cardiaque malgré le traitement pratiqué ; son décès a été constaté le 28 février 2009 à 18 heures 45. L'autopsie de Mme A...a révélé la présence de nombreuses cicatrices d'infarctus rénaux, d'épanchements pleuraux, péricardique et péritonéal, de thromboses artérielles et veineuses pulmonaires diffuses, d'un oedème cérébral avec engagement, et d'infarctus disséminés avec des congestions vasculaires caractéristiques d'une crise drépanocytaire aiguë, Mme A...souffrant d'une forme clinique sévère de drépanocytose.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, lors de la prise en charge de Mme A...à l'hôpital Tenon les trois jours précédant son décès le 28 février 2009, outre la mise en place d'une antibiothérapie, une saignée a été réalisée le 26 février. D'une part, eu égard aux effets différés dans le temps d'un tel traitement, il ne résulte pas du seul constat d'un taux d'hémoglobine à 11,9 grammes le lendemain de cette saignée qu'une autre saignée aurait dû être immédiatement pratiquée, alors même, au surplus, que ce taux était proche de celui considéré comme optimal pour les patients drépanocytaires, à 11 grammes, et qu'une augmentation relative de ce taux n'a pas pour conséquence automatique le déclenchement d'une crise drépanocytaire aigüe. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction qu'une transfusion sanguine aurait dû alors être effectuée, seuls un syndrome thoracique aigu avec des signes de gravité, l'existence de signes de défaillances respiratoires aigües, un accident vasculaire cérébral ou une défaillance multiviscérale justifiant un tel acte médical, alors que, comme il a été dit, si un syndrome thoracique aigu avait été diagnostiqué chez MmeA..., celui-ci ne présentait alors pas de signes de gravité ; au surplus, les échanges transfusionnels, en l'état des données acquises de la science médicale en 2009, ne sont pratiqués qu'avec prudence du fait du risque d'hyperhémolyse post-transfusionnelle, accident grave et parfois mortel de la transfusion sanguine chez les patients drépanocytaires. Enfin, l'utilité en l'espèce d'un échange plasmatique n'a pas été établie. Il s'en suit qu'aucune faute ne peut être imputée au service public hospitalier lors de la prise en charge de Mme A...à l'hôpital Tenon les trois jours précédant son décès le 28 février 2009. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'absence d'une nouvelle saignée et de transfusion de culots globulaires constituaient des fautes de nature à engager la responsabilité du service hospitalier.

5. En second lieu, si la mesure du taux d'hémoglobine S, par structure quasiment constant chez un patient drépanocytaire homozygote non transfusé, comme celle du taux d'érythroblastes circulants, qui ne fait que révéler une dysérytropoïèse, sans lien avec le taux d'hémoglobine, ne présente pas d'utilité médicale dans le suivi d'un patient drépanocytaire, il résulte toutefois de l'instruction qu'alors que le médicament Aranesp, agent stimulant la synthèse des globules rouges et de l'hémoglobine prescrit pour corriger l'anémie, conséquence principale de la drépanocytose, avait été prescrit à MmeA..., la numération de son taux d'hémoglobine, qui avait été effectuée lors des examens biologiques réalisés fin novembre 2008, ne devait être à nouveau contrôlée qu'au début du mois de février 2009. Si, comme il a été dit, l'augmentation du taux d'hémoglobine chez un patient drépanocytaire ne peut être regardée comme un facteur automatiquement déclenchant d'une crise drépanocytaire, le caractère peu rapproché de ces contrôles biologiques doit toutefois être regardé, dès lors qu'il y avait lieu d'apprécier, au vu de ces résultats, le taux d'hémoglobine de Mme A...avait augmenté de 5 grammes environ entre novembre 2008 (8,7 grammes) et février 2009 (13,0 grammes le 25 février à l'hôpital Tenon et 13,8 grammes à l'hôpital de Longjumeau le même jour, et restait à 11,9 grammes le 27 février 2009), s'il convenait ou non de mettre fin à la prescription d'Aranesp, comme une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier.

Sur la perte de chance :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. Il résulte de ce qui précède que la faute commise par le centre de la drépanocytose de l'hôpital Tenon, qui suivait MmeA..., tenant au caractère peu rapproché de la numération de son taux d'hémoglobine alors que le médicament Aranesp, stimulant la synthèse des globules rouges et de l'hémoglobine, lui avait été prescrit, doit être regardée, eu égard à l'absence d'automaticité entre l'augmentation du taux d'hémoglobine chez un patient drépanocytaire et la survenue d'une crise drépanocytaire aiguë, comme ayant fait perdre à Mme A...une chance d'éviter son décès qui doit être évaluée à 10 %.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices personnels de Mme C...A...dont les droits sont repris par ses héritiers :

8. En premier lieu, les premiers juges ont, à bon droit, rappelé que le préjudice de la perte d'une chance de survie n'est pas indemnisable de manière distincte des différents éléments qui le composent et qui sont évalués ci-dessous.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction que MmeA..., du fait de la faute commise par le service public hospitalier, a enduré avant son décès, en étant consciente de la gravité de son état, du 25 au 28 février 2009, une angoisse de mort ainsi que des souffrances physiques, une altération de son état général conduisant à une congestion vasculaire, un oedème cérébral et à un infarctus caractéristiques d'une crise aiguë de drépanocytose, que l'expert médical, dans son rapport du 6 décembre 2010 a évalué à 6 sur une échelle de 7 et que le nouvel expert médical, dans son rapport déposé le 21 janvier 2019, a évalué à 5 sur une échelle de 7 sans tenir compte des traitements antalgiques. Les premiers juges ont fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales endurées par Mme A...en les fixant à la somme de 20 000 euros, qui doit être ramenée, compte tenu de la fraction de 10 % définie plus haut, à une indemnité de 2 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices de M. A...et de ses enfants :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que MmeA..., en 2008, année précédant son décès, n'avait comme revenu que l'allocation aux adultes handicapés, majorée au titre de la vie autonome (total de 732,87 euros mensuels, soit 8 794,44 euros annuels). Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le revenu de Mme A...était ainsi exclusivement consacré à sa consommation propre et non aux dépenses du foyer ni à la consommation personnelle de son époux ou de ses filles, qu'il en résultait que le décès de Mme A...n'avait engendré, pour son époux et pour ses enfants, aucune perte de revenus et que, par suite, ce chef de préjudice devait être rejeté.

11. En deuxième lieu, si M. A...soutient que le décès de son épouse a engendré un traumatisme ayant conduit à l'arrêt de son activité professionnelle et ayant entraîné une baisse de ses revenus, il n'a apporté, ni en première instance ni en appel, aucun élément de nature à établir qu'il aurait été dans l'impossibilité de travailler en conséquence de ce décès, et n'a pas établi qu'il aurait subi une perte de revenus consécutive à des absences de son travail pour assister son épouse lors de son hospitalisation. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté ce chef de préjudice.

12. En troisième lieu, M. A...n'a justifié, ni en première instance ni en appel, avoir réglé la somme de 1 500 euros au titre des honoraires d'un médecin conseil. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions présentées à ce titre.

13. En quatrième lieu, M. A...demande que lui soit alloué, au titre des frais d'obsèques, une somme de 10 000 euros pour le remboursement des frais de rapatriement du corps, une somme de 10 000 euros pour le remboursement des frais d'enterrement et de messe de requiem, une somme de 5 000 euros pour le remboursement des frais de vêtement de deuil (le deuil durant 18 mois au Cameroun) et une somme de 5 000 euros pour le remboursement des frais de cérémonie de fin de période de veuvage (billets d'avion et cérémonies). Il produit à cet effet une facture des établissements " Le dernier voyage " pour une somme de 4 625 000 francs CFA (7 050 euros) pour le transport et l'entretien du corps, une facture de 1 480 000 francs CFA (2 256 euros) pour la " cérémonie de veuvage ", une facture de 630 000 francs CFA (960 euros) pour la sonorisation de la cérémonie, une facture de 4 759 600 francs CFA (7 255 euros) pour la construction d'un caveau et d'une " maisonnette ", deux reçus manuscrits des pompes funèbres Pascal Leclerc (1 500 + 1 100 euros) et une facture manuscrite d'un vol Paris Yaoundé Paris pour 1 120 euros. Toutefois, les victimes indirectes ont droit au remboursement des frais relatifs à une sépulture décente, pourvu qu'ils ne soient pas excessifs ou dépourvus de lien de causalité directe avec les fautes commises. Par suite, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à M. A...au titre des frais d'obsèques de son épouse en portant à la somme forfaitaire de 4 000 euros, la somme de 2 340 euros allouée par les premiers juges après application du taux de perte de chance, soit, compte tenu de la fraction de 10 % définie plus haut, en ramenant cette indemnité à une somme de 400 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

14. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement, du préjudice moral et du préjudice d'affection subis par M. A...en évaluant l'indemnité due à ce titre à une somme globale de 35 000 euros, et en allouant au même titre à chacun de ses enfants une somme de 35 000 euros, soit, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu ci-dessus, une indemnité de 3 500 euros pour M. A...et une indemnité de 3 500 euros à chacun de ses enfants F...G...et F...H....

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne :

15. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne établit avoir pris en charge, au bénéfice de Mme A...des frais d'hospitalisation, de transport et de chambre mortuaire à l'hôpital de Longjumeau et à l'hôpital Tenon pour un montant total de 7 461,93 euros. Ces frais résultant de la faute commise par le service public hospitalier, il y a lieu de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à ce titre à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, compte tenu de la fraction de perte de chance de 10 % définie plus haut, la somme de 746,19 euros, avec les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 5 novembre 2014, date d'enregistrement de son mémoire en première instance.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le paiement à M. A...de la somme de 6 000 euros au titre des frais liés à l'instance, en ce inclus les frais acquittés pour l'assistance d'un avocat au cours de la phase précontentieuse que M. A...établit par la production de deux factures de 2 400 et 2 600 euros du 6 décembre 2012 et du 20 novembre 2013, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne demande au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 18 000 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser, par l'article 1er du jugement n° 1420552/6-1 du tribunal administratif de Paris du 18 février 2016, à M. F...A...en son nom propre et au nom de ses enfants, en leur qualité d'ayants droit de Mme C...A..., doit être ramenée à la somme de 2 000 euros, cette somme devant être majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014.

Article 2 : Les sommes de 31 500 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser, par l'article 2 du jugement n° 1420552/6-1 du tribunal administratif de Paris du 18 février 2016, à M. F...A...et à chacune de ses filles en réparation de leur préjudice moral, d'affection et d'accompagnement doivent être ramenées aux sommes de 3 500 euros (soit 10 500 euros au total), ces sommes devant être majorées des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014.

Article 3 : La somme de 2 340 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser, par l'article 3 du jugement n° 1420552/6-1 du tribunal administratif de Paris du 18 février 2016, à M. F...A...en remboursement des frais d'obsèques de Mme C...A...doit être ramenée à la somme de 400 euros, cette somme devant être majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014.

Article 4 : La somme de 6 450,84 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne est ramenée à la somme de 746,19 euros, cette somme devant être majorée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2014.

Article 5 : Le jugement n° 1420552/6-1 du tribunal administratif de Paris du 18 février 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : La requête n° 15PA02391 de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, le surplus de ses conclusions dans la requête 16PA01313, le surplus des conclusions d'appel incident des consorts A...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne sont rejetés.

Article 7 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 064 euros, sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Article 8 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera à M. A...une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à M. F...I...A..., à Mlle F...G...J...A...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADELe greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N°s 15PA02391, 16PA01313


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA02391,16PA01313
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : EDJANG AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-20;15pa02391.16pa01313 ?
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