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16/05/2019 | FRANCE | N°17PA01363

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 16 mai 2019, 17PA01363


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 465 419,68 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du recours amiable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une intervention chirurgicale le 23 juillet 2006. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine a demandé la condamnation de l'AP-HP à lui rembourser la somme de 40 887, 11

euros au titre des débours exposés en faveur de son assurée. La caisse ré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 465 419,68 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du recours amiable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une intervention chirurgicale le 23 juillet 2006. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine a demandé la condamnation de l'AP-HP à lui rembourser la somme de 40 887, 11 euros au titre des débours exposés en faveur de son assurée. La caisse régionale d'assurance-maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) a demandé la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 57 481,59 euros au titre des arrérages de la pension d'invalidité versée entre le 1er décembre 2008 et le 31 janvier 2016 ainsi que les arrérages à échoir à compter du 1er février 2016 jusqu'à la date de substitution d'une pension de retraite ou un capital représentatif de 79 465,67 euros.

Par un jugement n° 1203847/6-2 du 21 février 2017, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme A...la somme de 178 231,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2011, à verser à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 40 887,11 euros et à verser à la CRAMIF une somme de 66 224,51 euros au titre des arrérages échus à la date du jugement ainsi qu'une rente annuelle de 8 266,48 euros payable annuellement à terme échu.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 avril 2017, le 21 juillet 2017 et le 2 mai 2018, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1203847/6-2 du 21 février 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de ramener le montant de la somme allouée à Mme A...à des plus justes proportions et de rejeter la demande de la CRAMIF ;

3°) de rejeter, à titre principal, comme irrecevables les conclusions d'appel incident de Mme A...en tant qu'elles excèdent la somme de 465 419, 68 euros, à titre subsidiaire de les rejeter comme non fondées et à titre infiniment subsidiaire, de ramener les montants demandés à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- le jugement entrepris est irrégulier est insuffisamment motivé et ne répond pas à l'ensemble des moyens invoqués en défense ;

- les pertes de revenus et l'incidence professionnelle invoquées par Mme A...ne présentent pas de lien avec la faute commise mais avec la pathologie rénale qu'elle présente par ailleurs ;

- c'est à tort que les premiers juges ont accordé une indemnisation au titre des pertes de revenus à compter du 23 juillet 2006 et jusqu'au 1er octobre 2007, sans tenir compte de la période d'incapacité temporaire partielle résultant normalement des suites de l'intervention de transplantation rénale, même en l'absence de faute ; en tout état de cause, ne peut au mieux être retenue qu'une perte de chance pour l'intéressée de retrouver un emploi ; de même, la seule production d'une attestation ne permet nullement d'établir que l'intéressée aurait pu retrouver un emploi avant le 17 mars 2009 et n'en a été empêchée qu'à raison des séquelles de l'intervention litigieuse ; il n'est par ailleurs nullement établi que ces séquelles obligeraient Mme A...à n'occuper qu'un emploi à mi-temps ;

- les conclusions incidentes de Mme A...portant sur un montant total de

674 965, 97 euros sont irrecevables en tant qu'elles excèdent la somme demandée devant les premiers juges ;

- la demande relative aux frais d'assistance par une tierce personne est fondée sur un montant horaire excessif ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué l'ampleur des pertes de revenus au regard du salaire effectivement perçu par Mme A...lorsqu'elle a repris le travail ;

- l'évaluation par les premiers juges de l'incidence professionnelle du dommage, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément doit être confirmée.

Par des mémoires en défense et en appel incident, enregistrés le 20 novembre 2017, le 29 mars 2018, le 18 mai 2018 et le 23 novembre 2018, Mme A..., représentée par Me Teste, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1203847/6-2 du 21 février 2017 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il limite le montant de la condamnation de l'AP-HP à la somme de

465 419, 68 euros ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser, à titre principal, la somme de 668 965, 97 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2011, ou, à titre subsidiaire, la somme de 465 419, 68 euros assortie des mêmes intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses conclusions d'appel incident sont recevables dès lors qu'elle ne soumet en appel aucune demande d'indemnisation d'un nouveau chef de préjudice et actualise seulement sa demande du fait de l'écoulement du temps et de la survenue d'éléments nouveaux, postérieurs au jugement entrepris ;

- les montants alloués par les premiers juges au titre des dépenses de santé actuelles, des frais divers et du déficit fonctionnel temporaire devront être confirmés ;

- les frais d'assistance par une tierce personne, à raison de 2 heures par jour entre le 20 octobre 2006 et le 31 mars 2007 pour 20 euros de l'heure, doivent être réparés par une somme de 6 520 euros ;

- les pertes de gains professionnels actuels sont constituées dès le 23 octobre 2006, date à laquelle la période de convalescence dans les suites d'une greffe de rein aurait dû prendre fin, et à laquelle elle aurait dû percevoir à nouveau l'aide au retour à l'emploi ; en outre, elle s'est vu proposer un emploi à compter du 1er octobre 2007, pour un salaire brut de 4 500 euros par mois, qu'elle a été contrainte de refuser à raison des seules conséquences de la faute commise ; la perte de revenus qu'elle a supportée entre le 23 octobre 2006 et le 19 mars 2009 s'établit à 53 902, 21 euros ;

- la perte de gains professionnels supportée entre le 19 mars 2009 et le 31 janvier 2018 s'établit à 57 475, 56 euros ; la perte de gains professionnels et de droits à la retraite à compter du 1er février 2018 s'établit, à titre viager, à 466 151, 53 euros ;

- l'incidence professionnelle du dommage, qui fait obstacle à ce qu'elle occupe un emploi à temps plein du fait de sa fatigabilité et de la pénibilité du travail et entraîne une dévalorisation sur le marché du travail, doit être réparée par une somme de 50 000 euros ;

- les souffrances endurées, évaluées à 3/7, doivent être réparées par une somme de 6 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent, évalué à 8 %, doit être réparé par une somme de 13 600 euros ;

- le préjudice esthétique, évalué à 1/7, doit être réparé par une somme de 2 000 euros ;

- le préjudice d'agrément doit être réparé par une somme de 2 200 euros.

Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, représentée par MeC..., conclut à la confirmation du jugement

n° 1203847/6-2 du 21 février 2017 en ce qui la concerne et demande en outre :

1°) que l'indemnité forfaitaire de gestion allouée par ce jugement soit assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

2°) et que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'AP-HP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a été désintéressée de la créance concernant la somme de 40 887, 11 euros correspondant aux débours exposés en faveur de son assurée mais que l'AP-HP doit encore lui verser la somme de 871, 52 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par des mémoires, enregistrés le 5 septembre 2017 et le 19 février 2018, la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), représentée par MeB..., demande à la Cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 73 358, 74 euros au titre des arrérages de la pension d'invalidité servie à Mme A...du 1er décembre 2008 au 31 janvier 2018 ainsi qu'à lui payer les arrérages à compter du 1er février 2018 au fur et à mesure de leur échéance, jusqu'à la perception d'une pension de retraite servie par la CNAV, à moins que l'AP-HP ne préfère s'en libérer par un capital représentatif de 68 853, 23 euros ;

2°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2015 pour les arrérages échus antérieurement et à compter de chaque échéance pour les arrérages échus postérieurement à cette date ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la pension d'invalidité servie à Mme A...est imputable pour moitié aux séquelles de la faute survenue au cours de l'intervention du 23 juillet 2006.

Par un courrier enregistré le 21 août 2018, Me C...indique intervenir au soutien des intérêts propres de la CPAM des Hauts-de-Seine et également au soutien cette dernière en tant qu'elle vient aux droits de la CRAMIF, qui lui a cédé sa créance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guilloteau,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Me Tsouderos, avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris,

- et les observations de Me Teste, avocat de MmeA....

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., née en 1963, a bénéficié le 23 juillet 2006 d'une greffe de rein réalisé dans le service de néphrologie et transplantation rénale de l'hôpital Saint-Louis, dans les suites de laquelle est toutefois apparue une atteinte du nerf du grand dentelé droit. Par la présente requête, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) demande l'annulation du jugement du 21 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a condamnée, d'une part, à verser à Mme A...la somme de 178 231,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2011, d'autre part, à verser à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 40 887,11 euros et, enfin, à verser à la CRAMIF une somme de 66 224,51 euros au titre des arrérages échus à la date du jugement ainsi qu'une rente annuelle de 8 266,48 euros payable à terme échu. MmeA..., par la voie de l'appel incident, demande la réformation de ce jugement afin que la somme mise à la charge de l'AP-HP soit portée à 668 965, 97 euros. La CPAM des Hauts-de-Seine et la CRAMIF demandent également, par la voie de l'appel incident, la réformation du même jugement en ce qui les concerne.

Sur la régularité du jugement :

2. Si l'AP-HP a soutenu dans sa requête introductive d'instance que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et ne répondrait pas à l'ensemble des moyens invoqués en défense, ces moyens ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. Ainsi, à supposer même que l'AP-HP ne doive pas être regardée comme y ayant renoncé, ils ne peuvent qu'être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Il résulte de l'instruction, tant des rapports élaborés dans le cadre de la procédure de transaction amiable engagée par l'AP-HP et Mme A...que du rapport de l'expert désigné par les premiers juges, que l'atteinte constatée au nerf grand dentelé droit trouve son origine dans la compression de ce nerf au cours de l'intervention du 23 juillet 2006 à raison d'un mauvais positionnement de la patiente sur la table d'opération et que ce mauvais positionnement est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement public hospitalier, ce que l'AP-HP ne conteste d'ailleurs pas.

4. Il résulte également de l'instruction qu'en dépit d'une rééducation au long cours, Mme A..., qui est droitière, a certes recouvré une amplitude normale de mouvement au bras droit mais demeure limitée par une fatigabilité et des douleurs pour tous les gestes nécessitant de la force ou répétitifs, caractérisant un déficit fonctionnel permanent évalué à 8 % après la date de consolidation, fixée au 17 mars 2009 par l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Quant aux dépenses de santé actuelles :

5. Ainsi qu'il a été dit au point 6 du jugement attaqué, la CPAM des Hauts-de-Seine justifie avoir exposé des débours en faveur de son assurée au titre des frais médicaux et pharmaceutiques liés à l'atteinte au nerf grand dentelé droit pour un montant total de 6 156, 16 euros, non contesté en appel.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 7 du même jugement, Mme A...justifie avoir exposé des dépenses de santé demeurées à sa charge pour un montant de 616, 67 euros, non contesté en appel.

Quant aux frais divers :

7. Ainsi qu'il a été dit au point 8 du jugement attaqué, Mme A...justifie avoir exposé une somme de 500 euros au titre des honoraires du médecin-conseil qui l'a assistée au cours de la procédure de transaction amiable avec l'AP-HP, non contestée en appel.

8. Il résulte par ailleurs du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris que les suites habituelles d'une greffe de rein sans complication occasionnent un déficit fonctionnel temporaire total de 3 mois et que Mme A...a supporté un tel déficit jusqu'au 28 septembre 2007. La faute commise par l'AP-HP est ainsi à l'origine de l'allongement de cette période du 23 octobre 2006 au 28 septembre 2007. L'expert a précisé que l'impossibilité pour Mme A...d'utiliser son bras droit a nécessité l'assistance d'une tierce personne non spécialisée pour l'accomplissement de gestes de la vie courante, à raison de deux heures par jour, du 23 octobre 2006 au 31 mars 2007. Il résulte de l'instruction que cette aide a été apportée par la famille de la victime. Compte tenu de ce qu'était, à l'époque des faits, le montant du salaire minimum augmenté des cotisations dues par l'employeur et afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant la somme de 3 830, 50 euros allouée par le jugement attaqué à la somme de 6 520 euros.

Quant aux pertes de gains professionnels actuels :

9. Il résulte de l'instruction que MmeA..., qui a été licenciée pour motif économique à l'été 2005 d'un poste d'" office manager ", a perçu à compter du 23 août 2005 des allocations de retour à l'emploi et ce jusqu'au 22 juillet 2006 inclus, date de son placement en arrêt maladie pour l'intervention de greffe du rein. Ce placement en arrêt maladie a été prolongé jusqu'au 30 novembre 2008 alors qu'il résulte des conclusions tant des rapports élaborés dans le cadre de la procédure amiable que du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris que les suites habituelles d'une intervention telle que celle réalisée le 23 juillet 2006 nécessite un arrêt de travail de trois mois, soit jusqu'au 23 octobre 2006. Mme A...a ensuite perçu une pension d'invalidité à compter du 1er décembre 2008, puis a retrouvé un emploi salarié, à temps non complet, à compter du 19 mars 2009 comme directrice administrative, financière et ressources humaines.

10. Il suit de là que la faute commise par l'AP-HP est d'abord à l'origine pour Mme A...de l'impossibilité de percevoir, à compter du 23 octobre 2006 et jusqu'au 23 novembre 2007 les allocations de retour à l'emploi, d'un montant de 96, 50 euros nets journaliers, qu'elle pouvait encore percevoir jusqu'à cette dernière date. La perte pour cette période de 396 jours, s'établit ainsi à la somme de 38 214 euros.

11. Compte tenu du parcours professionnel antérieur de l'intéressée, de l'emploi effectivement retrouvé en mars 2009 et de l'attestation du président de la fondation Greffe de Vie selon laquelle il a proposé à Mme A...de la recruter à compter du 1er octobre 2007, la faute commise par l'AP-HP doit également être regardée comme à l'origine pour Mme A...d'une perte de chance sérieuse de retrouver plus tôt un emploi, soit dès la fin de sa période d'indemnisation au titre des allocations de retour à l'emploi, le 24 novembre 2007.

12. En revanche, les médecins qui ont examiné Mme A...dans le cadre de la procédure amiable avec l'AP-HP ont relevé que l'intéressée n'était pas inapte à toute activité professionnelle, qu'elle pouvait reprendre un travail administratif " avec quelques limitations pour les travaux en hauteur ". L'expert désigné par le tribunal administratif de Paris a relevé les gênes et douleurs pour les tâches répétitives, la manipulation des dossiers ou la frappe mais n'a pas fait état de la nécessité d'une adaptation du temps de travail. De même, le rapport du médecin de la CRAMIF, qui a conduit à l'allocation d'une pension d'invalidité en retenant une insuffisance rénale chronique et en faisant également état de la paralysie du nerf grand dentelé droit, n'a pas estimé nécessaire un signalement pour reclassement professionnel. Mme A...produit enfin seulement des attestations de collègues et de son employeur selon lesquelles ses douleurs et sa fatigue la conduisent à ne pas exercer à temps plein. Dans ces conditions, au regard de la nature des fonctions professionnelles de Mme A... et de la nature ainsi que de l'étendue des séquelles qu'elle conserve, il ne résulte pas de l'instruction que le dommage supporté par Mme A...du fait de la faute commise lors de l'intervention du 23 juillet 2006 faisait obstacle à ce que l'intéressée reprenne une activité professionnelle à temps complet. Il suit de là qu'il y a lieu de considérer que la faute commise a privé Mme A...de la chance de retrouver plus tôt, dès le 24 novembre 2017, un emploi équivalent à celui qu'elle a retrouvé à compter du 17 mars 2009, soit un emploi à mi-temps, pour un salaire net de 1 613, 90 euros. Entre le 24 novembre 2007 et le 17 mars 2009, Mme A...aurait ainsi pu percevoir des revenus salariés nets de 25 338, 23 euros.

13. Le montant total du préjudice résultant de la perte de revenus subie entre le 23 octobre 2006 et le 17 mars 2009 en lien avec la faute retenue à l'encontre de l'AP-HP s'établit ainsi à 63 552, 23 euros, correspondant aux sommes précitées de 38 214 euros et de 25 338,23 euros. La CPAM des Hauts-de-Seine justifie avoir servi à Mme A...entre le 23 octobre 2006 et le 30 novembre 2008 des indemnités journalières pour un montant de 34 730, 95 euros et la CRAMIF lui avoir servi une pension d'invalidité de 4 669, 01 euros, qu'il y a lieu de soustraire à la somme de 63 552,23 euros précédemment mentionnée. Est ainsi demeurée à la charge de la victime la somme de 24 152, 27 euros.

14. Il y a ainsi lieu de mettre à la charge de l'AP-HP cette somme de 24 152, 27 euros au titre des pertes de revenus professionnels non prises en charges subies par MmeA.... L'AP-HP doit en outre être condamnée à verser la somme de 34 730, 95 euros au titre des indemnités journalières servies par la CPAM des Hauts-de-Seine et la somme de 4 669, 01 euros au titre des arrérages de la pension d'invalidité servies par la CRAMIF.

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

Quant aux pertes de gains professionnels futurs :

15. Ainsi qu'il vient d'être dit, il ne résulte pas de l'instruction que la faute commise par l'AP-HP soit à l'origine pour Mme A...d'une obligation de travailler à temps non complet. La victime n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'elle subirait des pertes de gains professionnels futurs, compte tenu de l'infériorité du salaire qu'elle perçoit par rapport au salaire auquel elle soutient qu'elle aurait pu prétendre pour un emploi à temps complet. La demande présentée au titre de l'incidence de l'exercice d'un emploi à temps partiel sur les droits à retraite doit également être rejetée, pour les mêmes motifs. La CRAMIF ne peut par suite prétendre exercer son recours au titre de la pension d'invalidité sur ce poste de préjudice.

Quant à l'incidence professionnelle :

16. Les douleurs et gênes supportées par Mme A...sont à l'origine d'une fatigabilité et d'une pénibilité accrue au travail, dont il sera fait une juste appréciation du préjudice en résultant, en matière d'incidence professionnelle, à la somme de 10 000 euros. La CRAMIF justifie servir à Mme A... depuis le 20 mars 2009 une pension d'invalidité, d'un montant annuel initial de 15 271, 41 euros, porté à 16 599, 14 euros depuis le 1er avril 2017, qui doit être regardée comme réparant également l'incidence professionnelle du dommage. Mme A...ne supportant pas de préjudice non réparé par cette prestation, sa demande présentée au titre de l'incidence professionnelle doit être rejetée. Il y a par ailleurs lieu de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 10 000 euros au titre des prestations servies par la CRAMIF.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

17. Ainsi qu'il a été dit au point 31 du jugement attaqué, l'expert désigné par le tribunal a estimé que Mme A...avait supporté, en lien direct et exclusif avec l'atteinte du nerf grand dentelé droit, une période de déficit fonctionnel permanent du 23 octobre 2006 au 28 septembre 2007, puis une période de déficit fonctionnel temporaire partiel à compter du 29 septembre 2007 jusqu'à la date de consolidation qu'il a fixé au 19 mars 2009. En fixant à 10 000 euros la somme due à ce titre, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi.

Quant aux souffrances endurées :

18. Il résulte de l'instruction que Mme A...a suivi des séances de rééducation à un rythme soutenu en vue de récupérer la mobilité de son bras et d'améliorer sa résistance, que les douleurs occasionnées par l'atteinte au nerf grand dentelé droit ont fait l'objet d'une prise en charge par un centre anti-douleur et que l'intéressée a également été amenée à consulter un psychothérapeute. Les souffrances supportées par Mme A...ont ainsi été évaluée à 3 sur une échelle de 1 à 7 tant par l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris que dans le cadre de la procédure de transaction amiable avec l'AP-HP. En fixant à 4 500 euros la somme due à ce titre, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

19. Ainsi qu'il a été dit, MmeA..., qui est droitière, demeure limitée par une grande fatigabilité et des douleurs pour tous les gestes nécessitant de la force ou répétitifs, caractérisant un déficit fonctionnel permanent évalué à 8 % tant par l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris que dans le cadre de la procédure de transaction amiable avec l'AP-HP. En fixant à 11 000 euros la somme due à ce titre, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi.

Quant au préjudice esthétique permanent :

20. L'expert désigné par le tribunal administratif de Paris a évalué ce préjudice à 1 sur une échelle de 1 à 7, comme cela a également été le cas dans la procédure de transaction amiable engagée avec

l'AP-HP, du fait du léger décollement de l'omoplate droite que conserve MmeA.... En fixant à 1 000 euros la somme due à ce titre, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi.

Quant au préjudice d'agrément :

21. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise et des justificatifs fournis par MmeA..., que l'intéressée n'est plus en mesure de s'adonner dans les mêmes conditions aux activités sportives et artistiques qu'elle pratiquait régulièrement avant l'intervention, telle le tennis, la peinture ou la guitare. En fixant à 1 500 euros la somme due à ce titre, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi.

En ce qui concerne le total des indemnités dues par l'AP-HP :

22. Il résulte de tout ce qui précède que le montant total des préjudices subis par Mme A... doit être fixé à 59 788, 94 euros. Compte tenu des provisions versées par l'AP-HP à Mme A...dans le cadre de la procédure amiable pour un montant de 17 516, 35 euros, l'AP-HP doit être condamnée à verser à l'intéressée la somme de 42 272, 59 euros. Il y a lieu de ramener le montant de la somme mise à la charge de l'AP-HP par le jugement attaqué de 178 231, 82 euros à 42 272, 59 euros.

23. Le montant total que l'AP-HP doit être condamnée à verser au titre des prestations servies par la CPAM des Hauts-de-Seine s'établit à la somme de 40 887, 11 euros. Il y a lieu de confirmer le jugement attaqué sur ce point.

24. Le montant total que l'AP-HP doit être condamnée à verser au titre des prestations servies par la CRAMIF s'établit ensuite à la somme de 14 669, 01 euros, correspondant à la somme de 4 669,01 euros, versée pour la période comprise entre le 23 octobre 2006 et le 17 mars 2009 (point 12 du présent arrêt) et à la somme de 10 000 euros, correspondant à l'incidence professionnelle (point 14 du présent arrêt). Il suit de là que la somme totale de 66 224, 51 euros ainsi que la rente annuelle de 8 266, 48 euros que les premiers juges ont condamné l'AP-HP à verser à la CRAMIF doit être ramenée à cette somme de 14 669, 01 euros.

25. Enfin, la CRAMIF a conclu avec la CPAM des Hauts-de-Seine en 2018 une convention relative au transfert de l'activité du recours contre les tiers qui emporte, aux termes de son article 4, le transfert de la totalité de ses créances à la CPAM. Il y a par suite lieu de condamner l'AP-HP à verser à la CPAM des Hauts-de-Seine, au titre des prestations qu'elle a servies et au titre des prestations servies par la CRAMIF, la somme totale de 55 556, 12 euros. Le jugement du tribunal administratif de Paris doit être réformé en ce sens.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

26. Compte tenu du montant de la condamnation mise à la charge de l'AP-HP au titre des débours exposés par la CPAM des Hauts-de-Seine par le présent arrêt, il y a lieu de confirmer la somme de 1 055 euros allouée par les premiers juges et non contestée en appel au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Cette indemnité, qui présente un caractère forfaitaire, étant allouée tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Sur les intérêts et la capitalisation :

27. Mme A...a droit aux intérêts sur la somme de 42 272, 59 euros à compter du 15 novembre 2011, date de sa dernière demande à l'AP-HP, comme elle le demande.

28. La CRAMIF a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 14 669, 01 euros à compter du 27 novembre 2015, date d'enregistrement de son premier mémoire devant les premiers juges.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, qui n'est pas dans la présente instance la partie pour l'essentiel perdante, le versement des sommes que MmeA..., la CPAM des Hauts-de-Seine et la CRAMIF demandent au titre des frais de l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 178 231, 82 euros que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mme A...par le jugement du 21 février 2017 du tribunal administratif de Paris est ramenée à la somme de 42 272, 59 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2011.

Article 2 : Les sommes de 40 887, 11 euros et de 66 224, 51 euros ainsi que la rente annuelle de 8 266, 48 euros que l'AP-HP a été condamnée à verser respectivement à la CPAM des Hauts-de-Seine et à la CRAMIF par le jugement du 21 février 2017 du tribunal administratif de Paris sont ramenées à la somme de 55 556, 12 euros à verser à la CRAMIF.

Article 3 : La somme de 14 669, 01 euros correspondant aux arrérages de pension d'invalidité servies à Mme A...portera intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2015.

Article 4 : Les articles 1er, 2, 3 et 4 du jugement du 21 février 2017 du tribunal administratif de Paris sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à Mme D...A..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine et à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 mai 2019.

Le rapporteur,

L. GUILLOTEAULe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17PA01363


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01363
Date de la décision : 16/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : ARAYO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-05-16;17pa01363 ?
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