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18/04/2019 | FRANCE | N°18PA02679

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 18 avril 2019, 18PA02679


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 juillet 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1713940/3-2 du 6 juin 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 août 2018 et 6 décembre 2018, Mme A..., représentée par la SCP LBBa, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1713940/3-2 du

6 juin 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2017 de l'in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 juillet 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1713940/3-2 du 6 juin 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 août 2018 et 6 décembre 2018, Mme A..., représentée par la SCP LBBa, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1713940/3-2 du 6 juin 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2017 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée ; en particulier, l'inspecteur du travail s'est contenté de reprendre les éléments invoqués par la société ING Bank France sans exposer en quoi ces éléments caractérisaient une menace pour la compétitivité du groupe ;

- l'inspecteur du travail n'a pas vérifié la réalité de ces éléments ;

- il a limité son analyse aux résultats d'une unique activité française, celle de la banque des particuliers de la succursale ING Bank France, sans la mettre en perspective avec les excellents résultats du groupe ;

- l'inspecteur du travail a examiné les seuls résultats de la succursale française alors que son appréciation devait porter au niveau du secteur d'activité du groupe à l'échelle mondiale ;

- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation en estimant que le motif économique de la suppression de son poste de chargée de clientèle était établi alors que les éléments sur lesquels se fonde la société ING Bank France ne permettent pas d'établir l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité au niveau du secteur d'activité du groupe ING, ni même au niveau de l'ensemble des activités de la succursale française.

Par des mémoires, enregistrés les 9 novembre 2018 et 11 mars 2019, la société ING Bank NV, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A...au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me C...de la SCP LBBa, avocat de MmeA....

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., recrutée par un contrat à durée indéterminée le 17 septembre 2008, exerçait les fonctions de chargée de clientèle au sein de la société ING Bank France, succursale française de la société ING Bank NV appartenant au groupe ING d'origine néerlandaise. Par ailleurs, elle détenait le mandat de membre suppléant du comité d'entreprise. La société ING Bank France a informé le comité d'entreprise le 13 décembre 2016 de la mise en place d'un plan de réorganisation et de compression des effectifs de la société qui prévoyait notamment la fermeture du centre des relations clientèle situé à Reims et donc la suppression de 50 postes qui y étaient affectés dont celui de Mme A.... Par une décision du 20 mars 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi. Par un courrier du 13 juin 2017, la société ING Bank France a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme A...pour motif économique en faisant valoir notamment la nécessité d'opérer une transformation fondamentale de son modèle économique et opérationnel afin de sauvegarder la compétitivité de la société ING Bank France et de la société ING Bank NV. Par une décision du 7 juillet 2017, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement. Mme A... relève appel du jugement du 6 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ".

3. La décision de l'inspecteur du travail du 7 juillet 2017 vise les dispositions applicables du code du travail et mentionne la demande d'autorisation de licenciement, ainsi que l'entretien préalable et l'enquête contradictoire qui ont été menés. Elle précise le motif économique du licenciement de Mme A...du fait d'un contexte de forte concurrence dans le secteur bancaire, en particulier celui des banques de détail en ligne, défavorable à la société ING Bank France. Elle indique qu'afin de faire face à la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise, la société ING Bank France entend adopter une stratégie de développement des produits complexes et des produits de financements nécessitant le développement de capacités à conseiller les clients afin d'accroître le niveau des ventes et le nombre de produits dont un client dispose chez ING Direct et que cette stratégie aboutit notamment à externaliser le traitement des appels concernant des opérations simples afin de recentrer les appels afférents aux opérations complexes et spécialisées sur un seul centre de relations clients situé à Paris-Bercy et que cette opération entraîne la fermeture du centre de relations clients situé à Reims et emporte la suppression de la totalité des emplois qui y sont affectés, dont celui de chargé de clientèle occupé par MmeA.... Elle mentionne également la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi qui a alors été mise en oeuvre, détaille avec suffisamment de précision les différentes propositions de reclassement faites à l'intéressée et relève qu'il n'a pas été établi de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat détenu par Mme A.... La circonstance que l'inspecteur du travail mentionne certains éléments du document remis au comité d'entreprise par la société ING Bank NV lors de l'examen du plan de réorganisation et de compression des effectifs de la société ne saurait, en elle-même, entacher d'insuffisance la motivation. Ainsi, la décision contestée, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée. Par suite, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de l'inspecteur du travail du 7 juillet 2017.

En ce qui concerne la légalité interne :

4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés protégés, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

5. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision de l'inspecteur du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au présent article. ". Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un motif économique pour lequel l'employeur peut solliciter une autorisation de licenciement, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise. En l'état du droit applicable au présent litige, cette menace s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, comme il a déjà été dit, que la société ING Bank France est une succursale de la société de droit néerlandais ING Bank NV et que ces deux entités exercent les mêmes activités bancaires, tant dans le secteur de la banque de détail que dans celui de la banque d'investissement. Ainsi, il convient d'apprécier la réalité du motif économique au niveau des activités bancaires de la société ING Bank NV.

7. Il ressort des termes mêmes de la décision de l'inspecteur du travail que celui-ci a défini le périmètre de son appréciation au secteur bancaire de la société ING Bank NV et notamment de sa succursale ING Bank France et que, contrairement à ce que soutient la requérante, son appréciation quant à l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité de la société ING Bank France a porté sur ces deux entités.

8. En deuxième lieu, il est constant que la mise en oeuvre du plan de réorganisation et de compression des effectifs de la société ING Bank France a été décidée alors que cette société comme la société ING Bank NV avaient d'excellents résultats économiques et financiers. En particulier, il ressort des pièces du dossier que la société ING Bank France avait dégagé un bénéfice net de plus de 70 millions d'euros au titre de l'année 2016 tandis que le bénéfice net de la société ING Bank NV était de 4,6 milliards au titre de l'année 2016, soit un bénéfice en forte hausse par rapport à celui des années précédentes. Toutefois, il ressort du document d'information économique relatif au plan de réorganisation et de compression des effectifs de la société ING Bank France présenté au comité d'entreprise le 13 décembre 2016 que le coefficient d'exploitation de cette société était de 71 % en 2015, soit un taux supérieur aux taux moyens des banques françaises (66,4 %) et des banques européennes (59 %), et le coefficient d'exploitation de la seule activité de la banque des particuliers atteignait 101% au titre de l'année 2015. Par ailleurs, il ressort de ce même document ainsi que du rapport du cabinet d'experts comptables Syndex du 21 février 2017 que les résultats de l'activité de la banque des particuliers se dégradaient en raison notamment d'un développement insuffisant de son offre de produits financiers trop centrée sur l'offre de livret épargne qui connaissait une diminution très importante des dépôts ( 618 millions d'euros entre 2015 et 2016) et pour lequel un taux de rémunération inférieur à celui de ses concurrents était proposé. La société ING Bank France devait faire face à une concurrence de plus en plus importante des banques traditionnelles qui avaient également développé des filiales " en ligne directe " mais aussi de nouveaux acteurs comme Orange Bank ou FinTechs. Afin de rester concurrentielles et alors que la digitalisation des services bancaires de leurs concurrents s'était accélérée et que les " GAFA " (Google, Apple, Facebook et Amazon) proposaient également des services innovants, la société ING Bank NV et la société ING Bank France devaient rapidement opérer une mutation technologique pour améliorer leurs outils et les services digitaux proposés à leurs clients. Ainsi, comme cela ressort du rapport d'expertise comptable Syndex, le modèle économique même de l'activité de banque des particuliers de l'ING Bank France était défaillant et n'était plus adapté à la conjoncture économique et seule, l'activité de banque d'investissements était rentable et permettait d'assurer l'équilibre entre ces deux activités. Dans ces conditions, alors en particulier que plus de la moitié des emplois de la société ING Bank France était affecté à l'activité de la banque des particuliers, la société ING Bank NV établit l'existence d'une menace pesant sur sa compétitivité. Si Mme A... reprend les éléments critiques avancés par le cabinet d'experts comptables portant sur le choix de fermer le centre de relations clientèle de Reims dont, en particulier, celui tiré de ce que cette fermeture génèrerait avant tout des économies de coûts, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation sur le bien-fondé de la mesure décidée par la société ING Bank NV pour remédier à la menace pesant sur la compétitivité de la société. Il s'ensuit que l'inspecteur du travail, qui s'est livré à un contrôle approfondi de la demande dont il était saisi, a pu légalement autoriser le licenciement pour motif économique de MmeA....

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A...demande au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...le versement de la somme que la société ING Bank NV demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société ING Bank NV tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à la société ING Bank NV et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 avril 2019.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02679


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02679
Date de la décision : 18/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS LBBA

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-04-18;18pa02679 ?
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