Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille Marylène E...et de leur fils M. B...E..., et Mme C... E...ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 422 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la carence de l'Etat dans la prise en charge adaptée de leur fils et frère, MaëlE..., atteint de troubles autistiques.
Par un jugement n° 1510175 du 20 octobre 2017, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2017, 11 et 13 mars 2019, M. et Mme D...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille Marylène E...et de co-tuteurs de leur fils M. B... E..., et Mme C...E..., représentés par Me Janois, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1510175 du 20 octobre 2017 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner l'Etat à verser à M. et Mme E...à titre personnel la somme de 32 000 euros au titre du préjudice financier subi depuis le 10 octobre 2010 ainsi que la somme de 37 500 euros chacun au titre des troubles dans les conditions d'existence et de leur préjudice moral et, au nom de leur fils Maël la somme de 45 000 euros et au nom de leur fille Marylène la somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence et de leur préjudice moral ;
3°) de condamner l'Etat à verser à Mme C...E...la somme de 15 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en vertu de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles, l'Etat est tenu à une obligation de résultat en ce qui concerne la prise en charge effective et pluridisciplinaire des enfants souffrant d'autisme ; toutefois, leur fils Maël n'a pas bénéficié d'une prise en charge dans une structure adaptée à ses besoins spécifiques proche de son domicile ; faute de places disponibles dans les instituts médico-éducatifs, il n'a pas pu être pris en charge après son départ de l'institut médico-éducatif Arc-en-ciel de Thiais qui n'était pas adapté à sa situation ; la prise en charge auprès du centre Le silence des Justes est inadaptée en raison de sa localisation impliquant d'importants trajets en voiture et il s'agit en outre d'une " structure de secours " ne prenant en charge l'enfant qu'à temps partiel ;
- leur fils n'ayant pas pu bénéficier des soins adaptés au syndrome autiste dont il est atteint compte tenu de l'absence de prise en charge adaptée en institution ou au sein d'un institut médico-éducatif, il a perdu une chance de voir son état évoluer favorablement ; son préjudice doit être évalué à 36 000 euros ;
- ils sont fondés à demander la somme forfaitaire de 2 000 euros au titre des frais postaux et de transports exposés depuis le 10 octobre 2010 ;
- M. E...a été contraint de cesser son activité professionnelle entre mars 2011 et avril 2013, ce qui a conduit à une réduction de 50 % de ses revenus mensuels ; il doit encore aujourd'hui s'occuper de son fils un jour par semaine du fait de sa prise en charge partielle par le centre Le Silence des Justes ; outre la perte de revenus, il a perdu une chance de voir son activité évoluer financièrement et professionnellement ; les préjudices subis depuis le 10 octobre 2010 doivent être évalués à la somme de 30 000 euros ;
- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral subis par M. et Mme E...et par les deux soeurs de Maël sont évalués à la somme totale de 72 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2019, la ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles,
- le code de l'éducation,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Janois, avocat des consortsE....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E...sont parents de trois enfants dont Maël, né le 17 octobre 1998, atteint de troubles envahissants du développement associés à des éléments autistiques diagnostiqués le 30 juin 2010. Par une demande en date du 2 avril 2015, reçue le 3 avril 2015, les consorts E...ont sollicité du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes le versement d'une somme totale de 186 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la carence des services de l'Etat dans la prise en charge adaptée de leur fils. Par une décision implicite, le ministre a rejeté leur demande. Les consorts E...relèvent appel du jugement du 20 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. L'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " I. - La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées est compétente pour : 1° Se prononcer sur l'orientation de la personne handicapée et les mesures propres à assurer son insertion scolaire ou professionnelle et sociale ; 2° Désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de l'enfant ou de l'adolescent ou concourant à la rééducation, à l'éducation, au reclassement et à l'accueil de l'adulte handicapé et en mesure de l'accueillir (...) / (...) III.- Lorsqu'elle se prononce sur l'orientation de la personne handicapée et lorsqu'elle désigne les établissements ou services susceptibles de l'accueillir, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées est tenue de proposer à la personne handicapée ou, le cas échéant, à ses parents ou à son représentant légal un choix entre plusieurs solutions adaptées./ La décision de la commission prise au titre du 2° du I s'impose à tout établissement ou service dans la limite de la spécialité au titre de laquelle il a été autorisé ou agréé. / (...) / A titre exceptionnel, la commission peut désigner un seul établissement ou service. / Lorsque l'évolution de son état ou de sa situation le justifie, l'adulte handicapé ou son représentant légal, les parents ou le représentant légal de l'enfant ou de l'adolescent handicapé ou l'établissement ou le service peuvent demander la révision de la décision d'orientation prise par la commission. L'établissement ou le service ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l'accompagnement sans décision préalable de la commission ".
3. Aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. ". Il résulte de ces dispositions que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que la prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en oeuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome.
4. Il résulte de l'instruction que, saisie par M. et Mme E...d'une demande d'orientation pour leur enfant Maël, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du Val-de-Marne a, par une décision du 16 décembre 2010, émis un avis favorable pour l'accueil de l'enfant dans un institut médico-éducatif (IME) pour la période comprise entre le 18 octobre 2010 et le 31 octobre 2011 et a désigné l'IME Arc-en-ciel à Thiais. Maël a ainsi bénéficié d'une prise en charge dans cet IME à compter de novembre 2010. Toutefois, devant la fréquence des crises clastiques, la directrice de cet établissement a, le 18 mars 2011, " prononcé la sortie définitive " de l'enfant de l'IME sans avoir au préalable demandé la révision de la décision d'orientation prise par la CDAPH en méconnaissance des dispositions de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles. Il est constant que l'Etat ne saurait être tenu pour responsable de la décision unilatérale du 18 mars 2011 de l'IME Arc-en-ciel de ne plus accueillir l'enfant.
5. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'une prise en charge de leur enfant au sein d'un autre IME aurait été proposée à M. et Mme E...malgré leurs nombreuses demandes adressées tant aux IME qu'aux établissements et hôpitaux susceptibles d'accueillir leur enfant ainsi qu'au directeur de l'agence régionale de santé, les demandes également en ce sens de la responsable des orientations de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Val-de-Marne adressées à plusieurs IME et, enfin, les décisions de la CDAPH du Val-de-Marne des 18 juillet 2013 et 7 mai 2015 décidant d'un accueil en IME. Il ressort des décisions des établissements rejetant ces demandes que ce refus de prise en charge de l'enfant est motivé par l'absence de places disponibles. Seul, le centre Le Silence des Justes, géré par l'association du même nom et qui n'est pas un IME, a pu accueillir Maël à temps partiel à compter du 1er février 2012 dans l'attente d'une place dans un IME. Cette prise en charge partielle, bien que validée par la décision de la CDAPH du Val-de-Marne du 18 juillet 2013, ne constituait qu'une solution palliant à l'absence de prise en charge adaptée de l'enfant au sein d'un IME et ne saurait être regardée comme une prise en charge pluridisciplinaire spécifiquement adaptée aux troubles de Maël dans le cadre d'un IME, tel que préconisée par la CDAPH du Val-de-Marne. L'absence de prise en charge spécifiquement adaptée aux troubles de Maël E...dans un IME du 18 mars 2011 au 19 juin 2018, date de sa prise en charge en accueil de jour au sein de " L'ETAPP'H " de Lagny-sur-Marne, soit pendant plus de sept ans, révèle une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une prise en charge pluridisciplinaire au sens de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles. Cette carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat au titre de la période courant, comme il vient d'être dit, du 18 mars 2011 au 18 juin 2018. Dans les conditions ci-dessus décrites, les circonstances qu'à la suite de l'exclusion de Maël de l'IME Arc-en-ciel le 18 mars 2011, la CDAPH du Val-de-Marne n'a pas pris de nouvelle décision d'orientation de l'enfant avant le 18 juillet 2013, qu'elle n'a pas plus désigné d'IME et que M. et Mme E...n'ont pas contesté cette absence de désignation devant le tribunal du contentieux de l'incapacité de Paris (12ème) ne sauraient constituer des causes exonératoires de responsabilité de l'Etat. Par suite, l'Etat doit être reconnu entièrement responsable des préjudices subis par les consortsE....
Sur les préjudices des consortsE... :
6. L'état de l'instruction ne permettant pas à la Cour de déterminer le montant du préjudice financier et du préjudice de carrière subis par M. E...du fait de la nécessité de se consacrer à son fils Maël consécutive à la carence fautive de l'Etat dans la prise en charge adaptée de l'enfant dans un IME, il y a lieu d'ordonner, avant-dire droit, une mesure d'instruction aux fins de permettre aux consorts E...de produire dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, d'une part, les avis d'imposition de M. et Mme E... à compter de l'année 2013, l'ensemble des bulletins de paie de M. E...pour la période comprise entre janvier 2010 et juin 2018, ainsi que tous éléments permettant d'établir ces chefs de préjudices, et, d'autre part, tous éléments en leur possession susceptibles de justifier les frais postaux et des frais de déplacements que les consorts E...ont engagés dans le cadre de leur démarche tendant à ce que leur fils soit accueilli dans une structure adaptée.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête des consortsE..., procédé par ces derniers à la mesure d'instruction dont l'objet est défini au point 6 des motifs du présent arrêt.
Article 2 : Il est accordé aux consortsE..., pour l'exécution de la mesure d'instruction prescrite à l'article 1er ci-dessus, un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Toutes conclusions et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E..., à Mme A...E..., à Mme C... E...et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à l'Agence régionale de santé d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 avril 2019.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03629