Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...E...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 1er août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement ainsi que la décision du 23 mars 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé son licenciement et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis.
Par un jugement n° 1617094 du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 juillet 2017, 13 et 29 mars 2019 MmeE..., représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 16 mai 2017 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge des parties succombantes la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de la procédure.
Elle soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de fait en déduisant de son absence aux réunions des délégués du personnel une absence par elle d'exercice de ses fonctions ;
- la décision du ministre est entachée d'un défaut de motivation ;
- le principe du contradictoire a été méconnu ;
- le licenciement n'est pas justifié ;
- il existe un lien entre le licenciement et le mandat.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 novembre 2017 et 27 mars 2019, la société Lancel Sogédi, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Lancel Sogédi soutient que :
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables en ce qu'elles n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable susceptible de lier le contentieux ;
- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle ne critique pas le jugement attaqué ;
- Mme E...n'a pas entendu contester la décision ministérielle du 23 mars 2017 ;
- les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2017, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 octobre 2017 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.
Une note en délibéré a été présentée pour Mme E...le 9 avril 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier,
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de M.B..., pour Mme E...et de MeD..., représentant la société Lancel Sogédi.
1. Mme C...E...a été recrutée en contrat à durée indéterminée à compter du
1er septembre 2010 par la société Lancel en qualité de vendeuse. Elle a été élue, le 4 février 2015, déléguée du personnel suppléant. Suite à un accident du travail, Mme E...a été placée en arrêt maladie du 16 janvier 2015 au 1er mars 2016. Le stand Lancel dans lequel elle exerçait ses fonctions depuis le 24 novembre 2014 au sein des Galeries Lafayette de Nice devant être fermé, la société Lancel a adressé à la salariée deux propositions de changement de lieu de travail, toujours dans le même secteur géographique. Suite à plusieurs courriers de relance et en l'absence de réponse de l'intéressée, la société Lancel a considéré que l'absence de réponse équivalait à un refus et que ce refus était fautif. Par un courrier du 1er avril 2016, la société a convoqué Mme E...à un entretien préalable à son licenciement, puis par un courrier du
25 avril 2016, la société Lancel a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour faute sa salariée. Par une décision du 1er août 2016, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement demandé. Mme E...a formé le 26 septembre 2016 un recours hiérarchique contre cette décision que le ministre du travail a implicitement rejeté. Par une décision du
23 mars 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré la décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspecteur du travail pour vice de procédure mais a confirmé sur le fond l'autorisation de licenciement de MmeE..., cette dernière relève appel du jugement du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du ministre du travail autorisant la société Lancel à la licencier.
Sur la régularité du jugement :
2. Le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient entaché d'une erreur de fait leur jugement en considérant que Mme E...avait été régulièrement convoquée aux réunions des délégués du personnel et en déduisant de son absence aux réunions des délégués du personnel une absence par elle d'exercice de ses fonctions, relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, Mme E...se borne à reprendre en appel le moyen développé dans sa demande de première instance, tiré de ce que la décision ministérielle contestée serait entachée d'un défaut de motivation quant à l'absence de lien entre son mandat et son licenciement, sans toutefois présenter aucun élément de fait ou de droit nouveau, ni produire de nouvelles pièces ou d'éléments probants. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter ce moyen.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. / L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. / Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur informe les destinataires mentionnés à l'article R. 2421-5 de la prolongation du délai. ". Aux termes de l'article R. 2421-11 du même code : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. / (...). ".
5. En vertu de ces dispositions, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. En revanche, aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire. Il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.
6. Par ailleurs, aux termes des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, aujourd'hui codifiées aux articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.
7. La requérante soutient que le ministre n'a pas respecté le principe du contradictoire en ne lui permettant notamment pas de faire valoir ses observations sur son licenciement. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée et son employeur ont été reçus le
8 décembre 2016 par la responsable de la contre-enquête et qu'elle a par la suite également transmis des courriers et eu des échanges téléphoniques avec cette même responsable. Mme E...a donc pu présenter ses observations avant le rapport transmis au ministre. Par suite, le moyen manque en fait et doit être écarté.
8. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
9. Il ressort des pièces du dossier que, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur l'absence de réponse de l'intéressée aux courriers du 18 février 2016, 3 mars 2016, 17 mars 2016 et 25 mars 2016, s'agissant du lieu dans lequel elle souhaitait être employée, dès lors que le stand Lancel sur lequel elle travaillait au sein des Galeries Lafayette de Nice était supprimé. Il est pourtant constant que la société Lancel Sogédi a proposé deux lieux de travail à Mme E...proches du lieu où elle était auparavant employée, tout en s'engageant à ce que, d'une part, les conditions de travail proposées soient compatibles avec les problèmes de santé qu'elle a rencontrés et qui ont justifié qu'elle soit placée en arrêt de travail et à ce que, d'autre part, aucune modification de son contrat de travail ne soit opérée. Au surplus, le contrat de travail signé par Mme E...incluait une clause de mobilité, qualifiée d'ailleurs de condition déterminante du contrat. Dans ces conditions, le changement de lieu géographique de travail de Mme E...ne représentait qu'un simple changement des conditions de travail, dont le refus par la salariée est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement.
10. En quatrième et dernier lieu, contrairement à ce qu'elle soutient, l'existence d'un lien entre la mesure de licenciement litigieuse et le mandat de délégué du personnel ou l'activité syndicale de Mme E...ne ressort pas des pièces du dossier.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Lancel Sogédi, que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la requérante à fin d'injonction, de même que ses conclusions indemnitaires, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise une quelconque somme à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E...la somme demandée par la société Lancel Sogédi au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Lancel Sogédi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E..., à la société Lancel Sogédi et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 avril 2019.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 17PA02382