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01/04/2019 | FRANCE | N°18PA03638

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 01 avril 2019, 18PA03638


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 20 juillet 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes qu'il estime responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1813774 du 18 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2018, M. A..., représent

par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 20 juillet 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes qu'il estime responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1813774 du 18 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2018, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai de sept jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me B..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le premier juge a omis de statuer sur le moyen tiré de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'a pas été destinataire des informations contenues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 dans une langue qu'il comprend, à savoir la langue pachtou, dès lors que la brochure d'information A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " lui a été remise en langue farsi ;

- l'arrêté méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'arrêté méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il risque d'être renvoyé vers l'Afghanistan ;

Par un mémoire en défense enregistré le 28 janvier 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 18 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité afghane, entré irrégulièrement en France, a été reçu à la préfecture de police le 24 mai 2018 afin de solliciter son admission au séjour au titre de l'asile, où ses empreintes ont été relevées et une attestation de demande d'asile lui a été remise. Après consultation du fichier Eurodac, le préfet de police a demandé le 30 mai 2018 aux autorités allemandes, lesquelles ont implicitement accepté le 14 juin suivant, de prendre en charge la demande d'asile de M. A.... Par arrêté du 20 juillet 2018, le préfet de police a ordonné le transfert de M. A... vers l'Allemagne. M. A... relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... avait soulevé devant le premier juge le moyen tiré de la méconnaissance, par l'arrêté attaqué, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le tribunal administratif, en omettant de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant, a entaché d'irrégularité son jugement, lequel ne peut, dès lors, qu'être annulé.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".

5. M. A... soutient qu'il n'a pas été destinataire des informations prévues par les dispositions qui précèdent et, notamment, dans ses dernières écritures relatives à ce moyen, présentées en appel, que, s'il s'est vu remettre, le 24 mai 2018, soit le jour de sa demande d'asile, la brochure d'information B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce-que cela signifie ' " et la brochure " Eurodac " en langue pachtou qu'il comprend, la brochure d'information A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " lui a, en revanche, été remise en langue farsi qu'il ne comprend pas. Toutefois, si l'intéressé a été assisté lors de l'entretien qui s'est déroulé le 24 mai 2018 par un interprète agréé en langue pachtou et s'il a demandé également, en réponse à la notification de la convocation à l'audience du Tribunal administratif de Paris, l'assistance d'un interprète dans cette langue, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressé ne comprendrait que la langue pachtou et non la langue farsi, deuxième langue officielle de l'Afghanistan. En outre, il ressort du résumé de cet entretien que M. A... a certifié sur l'honneur que le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires lui avaient été remis, qu'il avait compris les termes de l'entretien et que les renseignements le concernant étaient exacts. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas bénéficié d'une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend, conformément à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013: " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".

7. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Si ni le résumé de l'entretien, qui porte seulement le tampon de la préfecture de police sur la dernière page, ni aucune autre pièce du dossier ne permet de déterminer l'identité et la qualité de l'agent ayant mené celui-ci, M. A... a eu la possibilité, lors de cet entretien, de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Par suite, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien individuel n'a, en tout état de cause, pas privé l'intéressé d'une garantie et n'a pas été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

8. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

9. M. A... fait valoir que, en cas de transfert vers l'Allemagne et dès lors que les autorités de ce pays ont rejeté sa demande d'asile, il risque d'être renvoyé vers l'Afghanistan où il serait exposé au risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de ce qu'il est originaire de la province de Nangarhar où sévit un climat de violence de haute intensité résultant d'un conflit armé interne et où les talibans et l'organisation Etat islamique sont très actifs. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne et non dans son pays d'origine. En outre, l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or M. A... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure d'asile ou que les juridictions allemandes n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. De plus, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités allemandes, alors même que la demande d'asile de M. A... a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de celui-ci, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

10. Eu égard à ce qui a été dit au point 10, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions dérogatoires susvisées dites " clauses discrétionnaires ", mentionnées à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peut qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 20 juillet 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 18 octobre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2019 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, président de chambre,

- Mme Julliard, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller,

Lu en audience publique le 1er avril 2019.

Le rapporteur,

P. MANTZ

Le président,

M. HEERS

Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03638


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03638
Date de la décision : 01/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03-03-01


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : BELYALETDINOVA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-04-01;18pa03638 ?
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