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21/02/2019 | FRANCE | N°18PA02649,18PA02650,18PA02943

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 21 février 2019, 18PA02649,18PA02650,18PA02943


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les trois décisions du 30 juin 2016 par lesquelles le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a autorisé la mise sur le marché des produits biocides Aquabac XT, Aquabac DF3000 et Aquabac 200G de la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA).

Par un jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018, rectifié par une ordonnance du 23 juillet 2018, le tribunal administratif

de Paris a annulé les décisions du 30 juin 2016 du ministre chargé de l'environn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les trois décisions du 30 juin 2016 par lesquelles le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a autorisé la mise sur le marché des produits biocides Aquabac XT, Aquabac DF3000 et Aquabac 200G de la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA).

Par un jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018, rectifié par une ordonnance du 23 juillet 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 30 juin 2016 du ministre chargé de l'environnement.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 1er août 2018 sous le n° 18PA02649 et un mémoire en réplique enregistré le 16 novembre 2018, la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA), représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Paris et l'ordonnance du 23 juillet 2018 du président de la 4ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de la société Sumitomo Chemical Agro Europe ;

3°) de mettre à la charge de la société Sumitomo Chemical Agro Europe le versement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais de procédure exposés en première instance et en appel.

Elle soutient que :

- seul le président du tribunal administratif tenait de l'article R. 741-11 du code de justice administrative, sans possibilité de délégation, le pouvoir de rectifier par ordonnance l'erreur matérielle contenue dans le jugement ; l'ordonnance du 23 juillet 2018 a été signée par un juge incompétent pour ce faire ;

- le jugement est irrégulier du fait de la contradiction de ses mentions au regard de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- la demande de première instance était tardive et donc irrecevable, la société Sumitomo Chemical Agro Europe n'ayant sollicité que le 24 mai 2017 l'annulation des décisions du 30 juin 2016, qu'elle qualifie en outre de décisions de l'ANSES, dont elle avait pourtant connaissance certaine depuis le 12 octobre 2016 ou au moins le 19 octobre 2016 ; il n'y avait pas lieu de requalifier la demande ;

- les premiers juges ont accueilli un moyen de procédure irrecevable car soulevé tardivement alors qu'il n'était pas d'ordre public ;

- l'ANSES était seule compétente pour procéder à l'évaluation des produits même après l'entrée en vigueur du règlement " biocides " ;

- les dispositions transitoires du règlement 528/2012 (UE) permettaient l'examen des demandes par le ministre chargé de l'environnement après évaluation par l'ANSES ; le tribunal, qui a cité à tort l'article R. 522-4, n'a pas tenu compte de ce que les demandes avaient été déposées le 30 août 2013 et même dès août 2012 auprès des autorités britanniques ;

- aucun des autres moyens de légalité externe articulés en première instance n'est recevable ;

- les moyens de légalité interne sont infondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 septembre 2018, la société Sumitomo Chemical Agro Europe, représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la société CERA le versement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais de procédure exposés en première instance et en appel.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- sa demande d'annulation des décisions du 30 juin 2016 était recevable ;

- le moyen de légalité externe retenu par les premiers juges est recevable et fondé ;

- la référence à l'article R. 522-4 n'est pas erronée, le serait-elle, la référence à l'article R. 522-17 produirait les mêmes effets.

II. Par une requête enregistrée le 1er août 2018 sous le n° 18PA02650 et des mémoires enregistrés les 21 septembre 2018 et 16 novembre 2018, la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA), représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) de prononcer, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution de l'article 1er du jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Paris, rectifié ;

2°) de mettre à la charge de la société Sumitomo Chemical Agro Europe le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le sursis à exécution du jugement peut être accordé sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative dès lors que :

- le jugement est irrégulier du fait de la contradiction de ses mentions, la rectification par ordonnance étant l'oeuvre d'un juge incompétent pour ce faire ;

- la demande de première instance était tardive et donc irrecevable ;

- les premiers juges ont accueilli un moyen de procédure soulevé tardivement et qui n'était pas d'ordre public ;

- les dispositions transitoires du règlement 528/2012 (UE) permettaient l'examen de ses demandes par le ministre chargé de l'environnement après évaluation par l'ANSES ;

- l'ensemble des autres moyens de première instance étaient infondés.

Il peut l'être également sur la base de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, car :

- elle fait état de moyens sérieux ;

- le jugement comporte des conséquences difficilement réparables, puisque l'interdiction d'emploi des stocks des produits Aquabac, pour un motif de pure procédure, nuit à la mission de service public qu'est la lutte contre les moustiques et impliquerait de procéder à l'indemnisation de centaines d'opérateurs économiques.

Par des mémoires en défense enregistrés le 4 septembre 2018 et le 15 octobre 2018, la société Sumitomo Chemical Agro Europe, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société CERA le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la société CERA dirigés contre le jugement ne sont pas fondés ;

- le maintien sur le marché des produits Aquabac fait courir un risque à la santé publique.

Le ministre de la transition écologique et solidaire a présenté des observations au soutien de la requête le 4 septembre 2018.

Il fait valoir que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en appliquant à une autorisation de mise sur le marché de produits biocides la procédure applicable à l'approbation de substances actives ; les évaluations produits avaient bien débuté le 1er septembre 2013 ;

- le motif d'annulation retenu par le tribunal est donc erroné et il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à exécution.

III. Par une requête enregistrée le 31 août 2018 sous le n° 18PA02943, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de la société Sumitomo Chemical Agro Europe.

Il soutient que :

- le jugement confond autorisation de mise à disposition sur le marché de produits biocides avec approbation d'une substance active, ce qui empêche sa bonne compréhension : il est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en appliquant aux décisions d'autorisation de mise à disposition sur le marché des produits biocides de la société CERA une procédure réservée à l'approbation d'une substance active ; les dispositions de l'article R. 522-4 du code de l'environnement n'étaient pas applicables ;

- pour l'application de l'article R. 522-17 du même code, les dossiers déposés auprès de l'autorité britannique étaient suffisamment consistants pour que le ministre en saisisse, dès le 30 août 2013, l'ANSES en vue de l'évaluation produits ; les évaluations produits avaient bien débuté le 1er septembre 2013 ; il incombait à l'ANSES, autorité compétente en vertu de la directive 98/8/CE, d'y procéder et le ministre était, en vertu de l'article R. 522-14 du code, l'autorité compétente pour statuer ;

- l'ensemble des autres moyens de première instance étaient infondés, comme exposé dans son mémoire de première instance ; notamment, les trois dossiers de demande d'AMM des produits Aquabac ont été déposés sur la plate-forme R4BP 2 gérée par l'ECHA et s'il ne lui a délivré des certificats de dépôt que le 6 septembre, c'est parce que les services du ministère ont demandé un deuxième dépôt sur le portail français Sindbad, qui ne doit pas pénaliser la demanderesse.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 octobre 2018, la société Sumitomo Chemical Agro Europe, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens du ministre dirigés contre le jugement ne sont pas fondés ;

- l'ANSES n'était plus compétente le 1er septembre 2013 pour se prononcer sur l'équivalence technique de la substance active contenue dans les produits Aquabac et la susbtance active d'une souche approuvée ;

- les dispositions transitoires du règlement biocides, et notamment son article 91, ne s'appliquaient pas ; au 1er septembre 2013, l'évaluation n'avait commencé ni devant l'ANSES ni devant les autorités britanniques ;

- l'erreur commise sur le texte applicable est sans influence, les articles R. 522-17 et R. 522-4 ayant en l'espèce des effets équivalents.

Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2018, la société CERA, représentée par MeB..., s'associe aux conclusions et moyens du ministre et réitère les conclusions et moyens de sa requête n° 18PA02649.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 ;

- le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et Conseil du 22 mai 2012 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pellissier,

- les conclusions de Mme Nguyên Duy, rapporteur public.

- les observations de Me Margaroli, avocat de la société CERA, de M.A..., représentant du ministre de la transition écologique et solidaire, et de Me D...et MeC..., avocats de la société Sumitomo.

Une note en délibéré présentée pour le ministre de la transition écologique et solidaire a été enregistrée le 7 février 2019.

Des notes en délibéré présentées pour la société CERA ont été enregistrées les 14 février et 15 février 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n°s 18PA02649 et 18PA02650 de la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA) et la requête n° 18PA02943 du ministre de la transition écologique et solidaire sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement du 29 juin 2018 modifié par l'ordonnance du 23 juillet 2018 :

2. L'article R. 741-11 du code de justice administrative dispose : " Lorsque le président du tribunal administratif, de la cour administrative d'appel ou, au Conseil d'Etat, le président de la section du contentieux constate que la minute d'une décision est entachée d'une erreur ou d'une omission matérielle non susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, il peut y apporter, par ordonnance rendue dans le délai d'un mois à compter de la notification aux parties, les corrections que la raison commande. / La notification de l'ordonnance rectificative rouvre, le cas échéant, le délai d'appel ou de recours en cassation contre la décision ainsi corrigée. / Lorsqu'une partie signale au président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel l'existence d'une erreur ou d'une omission matérielle entachant une décision, et lui demande d'user des pouvoirs définis au premier alinéa, cette demande est, sauf dans le cas mentionné au deuxième alinéa, sans influence sur le cours du délai d'appel ou de recours en cassation ouvert contre cette décision ". Le deuxième alinéa de l'article R. 222-22 du code de justice administrative dispose : " En cas d'absence ou d'empêchement, le président du tribunal administratif de Paris est remplacé par le vice-président du tribunal ou, à défaut par le président de section le plus ancien dans l'ordre du tableau (...) ".

3. Par une ordonnance du 23 juillet 2018, le président de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a signé, " pour le président du tribunal empêché ", une ordonnance rectifiant l'en-tête du jugement contesté qui mentionnait, à tort, que l'audience avait eu lieu le 15 juin 2017 et la lecture le 29 juin 2017, alors que les dates exactes, portées en dernière page du même jugement, étaient le 15 juin 2018 et 29 juin 2018. Si aucune disposition du code de justice administrative ne prévoit que le pouvoir de rectification que détient le président du tribunal en application des dispositions précitées de l'article R. 741-11 de ce code ne peut être délégué à un autre magistrat, ce pouvoir peut néanmoins être exercé, en cas d'empêchement du président, dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article R. 222-22 du code de justice administrative. En l'espèce, la rectification de l'erreur matérielle que contenait l'en-tête du jugement, demandée le 20 juillet 2018 par la société Sumitomo Chemical Agro Europe, ne pouvait intervenir postérieurement au 2 août 2018, un mois après la notification du jugement. Il n'est pas établi ni même allégué que le président du tribunal administratif de Paris n'était pas empêché durant cette période. Dès lors, le président de la 4ème section du tribunal a pu exercer en son nom, le 23 juillet 2018, le pouvoir que lui reconnait l'article R. 741-11 du code de justice administrative.

4. Il résulte de ce qui précède que les mentions du jugement relatives aux dates d'audience et de lecture ne sont entachées d'aucune contradiction. Au demeurant, dès lors que le caractère purement matériel de l'erreur qui affectait l'en-tête du jugement ne faisait aucun doute au regard de l'ensemble de ses autres mentions et que le jugement mentionnait, à la fin de son dispositif, l'exacte date de lecture, cette erreur n'aurait pas entaché le jugement d'irrégularité, alors même qu'elle n'aurait pas été corrigée par l'ordonnance contestée.

5. La circonstance que le jugement du tribunal administratif confondrait, comme le soutient le ministre, la procédure d'autorisation de mise sur le marché des produits biocides et celle d'approbation d'une substance active est de nature à entacher son bien-fondé mais ne constitue pas une insuffisance de motivation susceptible d'entraîner son annulation pour irrégularité. Ce moyen doit également être écarté.

Sur le bien fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

6. Par une requête enregistrée le 30 septembre 2016, la société Sumitomo a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de trois décisions " prises par l'ANSES " le 1er août 2016 et le 2 août 2016 et autorisant la mise sur le marché des produits biocides Aquabac XT, Aquabac DF3000 et Aquabac 200G de la société CERA, à la suite d'une publication sur le site de l'agence européenne ECHA indiquant que ces autorisations délivrées par la France débutaient à ces dates. A l'occasion d'une instance en référé qui a donné lieu à un jugement de rejet le 19 octobre 2016, le ministre chargé de l'environnement a révélé que ces trois décisions, dont il était l'auteur, étaient datées du 30 juin 2016. Le 7 décembre 2016, à la suite d'une demande de régularisation du tribunal, la société Sumitomo a versé au dossier les décisions du 30 juin 2016, en indiquant qu'il s'agissait des décisions attaquées qu'elle n'avait pu produire précédemment du fait de leur absence de publication et dont elle n'avait eu connaissance que lors de l'instance de référé. Il ressort ainsi des pièces du dossier que la société Sumitomo a demandé l'annulation des décisions litigieuses moins de deux mois après en avoir eu connaissance, même si ce n'est qu'à compter de son mémoire en réplique du 24 mai 2017 qu'elle a formellement requalifié ses conclusions en demandant l'annulation des décisions du ministre du 30 juin 2016. La société CERA n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait dû rejeter pour tardiveté les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 91 du règlement (UE) 528/2012 du 22 mai 2012, entré en vigueur le 1er septembre 2013 : " Les demandes d'autorisation de produits biocides soumises aux fins de la directive 98/8/CE dont l'évaluation n'est pas terminée au 1er septembre 2013 sont évaluées par les autorités compétentes conformément aux dispositions de ladite directive ". L'article R. 522-14 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 30 juin 2016, disposait : " L'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide prévue par l'article L. 522-4 est délivrée par le ministre chargé de l'environnement, après évaluation par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et, le cas échéant, avis de la commission des produits chimiques et biocides (...) ".

8. Pour juger que la mise sur le marché des produits biocides de la société CERA avait illégalement été autorisée le 30 juin 2016 par le ministre chargé de l'environnement après évaluation par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), le tribunal administratif de Paris a estimé que dès lors que l'évaluation des produits ne pouvait être considérée comme en cours le 1er septembre 2013, l'ANSES était incompétente pour procéder à cette évaluation. Cependant il ressort de l'examen des dispositions nationales applicables que, même dans le cadre du règlement européen du 22 mai 2012 visé par les arrêtés attaqués, l'ANSES est restée l'autorité nationale chargée d'évaluer les produits biocides, préalablement à la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché par le ministre chargé de l'environnement.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner si le moyen ainsi retenu était recevable, la société CERA et le ministre chargé de l'environnement sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris, qui n'a pas cité les dispositions nationales applicables à l'autorisation de mise sur le marché des produits biocides mais celles concernant l'approbation des substances actives, a considéré que les produits avaient été évalués par une autorité incompétente pour ce faire.

10. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Sumitomo en première instance et en appel.

En ce qui concerne les autres moyens :

11. L'article 19 du règlement 528/2012 du 22 mai 2012 précité prévoit qu'un produit biocide ne peut être autorisé que si les substances actives qu'il contient " sont approuvées pour le type de produit concerné " et que " toutes les conditions spécifiées pour ces substances actives sont remplies ". Le paragraphe 1 de l'article 20 de ce règlement prévoit ainsi que le demandeur d'une autorisation de mise sur le marché de produit biocide " accompagne sa demande des documents suivants : a) (...) iii) un dossier ou une lettre d'accès pour le produit biocide conforme aux exigences énoncées à l'annexe II pour chaque substance active contenue dans le produit biocide (...) ". Aux termes de l'article R. 522-15 du code de l'environnement : " La demande d'autorisation, rédigée en français, est adressée au ministre chargé de l'environnement par le responsable de la première mise sur le marché ou par un mandataire (...) / La demande comprend : 1° Un dossier concernant le produit biocide (...) 2° Pour chaque substance active biocide contenue dans le produit biocide, une lettre d'accès ou un dossier. / Le contenu des dossiers mentionnés ci-dessus est défini par l'arrêté prévu au troisième alinéa de l'article R. 522-3. Ils doivent notamment comporter une description détaillée et complète des études effectuées et des méthodes utilisées ou une référence bibliographique à ces méthodes ".

12. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la substance active contenue dans les produits Aquabac commercialisés par la société CERA, le Bacillus Thuringiensus israelensis, sérotype H14, souche BMP 144 (Bti-BMP 144) ne figurait pas, à la date de la demande comme à celle des décisions autorisant la mise sur le marché, sur la liste des substances actives approuvées par la Commission européenne. La société CERA indique avoir joint à ses dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché une demande de reconnaissance d'équivalence technique entre cette substance et la substance active Bacillus Thuringiensus israelensis, sérotype H14, souche AM65-62 (Bti-AM 65-62) qui avait été inscrite sur cette liste, à la demande de la société Sumitomo, par une directive 2011/78/UE de la Commission du 20 septembre 2011 modifiant la directive 98/8/CE.

13. Les décisions contestées du 30 juin 2016 ont été prises par le ministre chargé de l'environnement au vu d'un courrier de l'ANSES du 22 décembre 2015 lui transmettant les trois avis du 1er octobre 2015 concernant les produits biocides Aquabac. Ce courrier et les avis joints mentionnaient que la substance active contenue dans les produits n'était pas approuvée et que si l'ANSES la reconnaissait équivalente à la substance Bti-AM 65-62, les dossiers ne pouvaient être considérés comme " compensés " en ce qui concerne la substance active dès lors que les négociations étaient toujours en cours entre les deux sociétés pour l'accès à certaines données. Il ressort d'un courrier adressé le 8 septembre 2016 par l'ANSES au ministre de l'environnement que ce n'est que le 22 juillet 2016 que cette " lettre d'accès " délivrée par la société Sumitomo a été déposée à l'ANSES par la société CERA et que ce n'est qu'à cette date que les dossiers de demande pouvaient être considérés comme complets. Dès lors, la société Sumitomo est fondée à soutenir, comme elle l'a fait dès l'introduction de sa demande de première instance par un moyen qui est dès lors et en tout état de cause recevable, que le ministre chargé de l'environnement n'a pu légalement approuver, le 30 juin 2016, la mise sur le marché des trois produits biocides, alors que des éléments indispensables à son appréciation ne figuraient pas dans les dossiers de demande. Ce motif, qui n'est pas un motif de simple procédure, suffit à justifier l'annulation des décisions litigieuses.

14. Il résulte de ce qui précède que la société CERA et le ministre chargé de l'environnement ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les trois décisions du 30 juin 2016 par lesquelles le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a autorisé la mise sur le marché des produits biocides Aquabac XT, Aquabac DF3000 et Aquabac 200G.

Sur la demande de sursis à exécution :

15. Dès lors que la Cour se prononce, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant l'annulation du jugement n° 1616903/4-2 du 29 juin 2018, les conclusions de la société CERA tendant à ce qu'en soit ordonné le sursis à exécution sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Société Sumitomo Chemical Agro Europe, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, la somme demandée par la Société CERA au titre des frais qu'elle a exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société CERA la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Sumitomo Chemical Agro Europe pour sa défense.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 18PA02850 de la société CERA.

Article 2 : La requête n° 18PA02849 de la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires, ses conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'instance n° 18PA02850 et la requête n° 18PA02943 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire sont rejetées.

Article 3 : La société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires versera une somme de 1 500 euros à la société Sumitomo Chemical Agro Europe en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires, au ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire et à la société Sumitomo Chemical Agro Europe.

Délibéré après l'audience du 7 février 2019 à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 février 2019.

Le président-assesseur,

S. DIÉMERT

La présidente de chambre,

rapporteur

S. PELLISSIER

Le greffier,

A. LOUNIS La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18PA02649, 18PA02650, 18PA02943


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02649,18PA02650,18PA02943
Date de la décision : 21/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY
Avocat(s) : CABINET FIELDFISHER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-21;18pa02649.18pa02650.18pa02943 ?
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