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31/12/2018 | FRANCE | N°18PA02148

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 31 décembre 2018, 18PA02148


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Le foyer de Cachan " a demandé au Tribunal administratif de Melun, sous le n° 1601990, d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne a refusé d'autoriser le licenciement de M. D... Romil.

Pour sa part, M. Romil a demandé au Tribunal administratif de Melun, sous le n° 1608003, d'annuler la décision du 29 juillet 2016 par laquelle le ministre chargé du travail, après avoir retiré son rejet implicite du recours hi

rarchique formé par l'association " Le foyer de Cachan " contre cette décision ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Le foyer de Cachan " a demandé au Tribunal administratif de Melun, sous le n° 1601990, d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne a refusé d'autoriser le licenciement de M. D... Romil.

Pour sa part, M. Romil a demandé au Tribunal administratif de Melun, sous le n° 1608003, d'annuler la décision du 29 juillet 2016 par laquelle le ministre chargé du travail, après avoir retiré son rejet implicite du recours hiérarchique formé par l'association " Le foyer de Cachan " contre cette décision de l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne en date du 4 janvier 2016, a annulé cette décision et a autorisé le licenciement.

Par un jugement n° 1601990, 1608003 du 20 avril 2018, le Tribunal administratif de Melun, après avoir joint les deux demandes, a annulé la décision du ministre chargé du travail et a rejeté la demande de l'association " Le foyer de Cachan ".

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 juin 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 26 juillet 2018, l'association " Le foyer de Cachan ", représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de confirmer la décision du ministre chargé du travail en date du 29 juillet 2016 ;

3°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du

Val-de-Marne en date du 4 janvier 2016 ;

4°) de mettre à la charge de M. Romil et de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance qu'elle a exposés.

Elle soutient que :

- M. Romil a failli dans son obligation de surveillance et dans son obligation de remontée d'informations, ce qui justifie pleinement son licenciement ;

- il a par ailleurs manqué à ses obligations contractuelles en décidant de s'absenter trois jours sans en informer préalablement le directeur de l'établissement, manquement d'autant plus grave qu'il venait d'apprendre la commission de faits de nature criminelle au sein de l'internat à l'encontre d'une jeune fille, et ce pendant ses horaires de travail ;

- pour ces motifs, la décision du ministre n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation tandis que celle de l'inspecteur du travail l'est.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 octobre 2018, le ministre du travail conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de M. Romil devant le tribunal administratif.

Il s'en rapporte aux observations qu'il a formulées devant le tribunal administratif.

Par des mémoires enregistrés le 25 octobre, le 17 novembre et le 25 novembre 2018, M. Romil conclut au rejet de la requête, à l'annulation de la décision du ministre du travail en date du 29 juillet 2016 et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'association " Le foyer de Cachan " au titre des frais de l'instance sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un mémoire a été produit le 6 décembre 2018 pour l'association " Le foyer de Cachan ".

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Heers,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour l'association " Le foyer de Cachan " et de Me E... pour M. Romil.

Considérant ce qui suit :

1. L'association " Le foyer de Cachan ", qui a pour activité principale l'accueil, la formation et l'insertion de jeunes en difficulté au sein d'un lycée privé doté d'un internat, a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne a refusé d'autoriser le licenciement de M. Romil. Pour sa part, M. Romil, conseiller du salarié, a demandé l'annulation de la décision du 29 juillet 2016 par laquelle le ministre chargé du travail, après avoir retiré son rejet implicite du recours hiérarchique formé par l'association

" Le foyer de Cachan " contre cette décision de l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne en date du 4 janvier 2016, a annulé cette décision et a autorisé le licenciement. L'association relève appel du jugement n° 1601990, 1608003 du 20 avril 2018 par lequel le tribunal administratif, après avoir joint les deux demandes, a annulé la décision du ministre chargé du travail et a rejeté la demande de l'association " Le foyer de Cachan ".

Sur la décision du ministre en date du 29 juillet 2016 :

En ce qui concerne le moyen retenu par le tribunal administratif :

2. En application des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En l'espèce, pour autoriser le licenciement de M. Romil, le ministre a retenu qu'il avait fait preuve de graves négligences dans la surveillance des élèves internes et à tout le moins, n'avait pas pris les initiatives nécessaires pour informer la direction de la présence récurrente d'un élève externe, auteur d'agressions sexuelles sur des jeunes filles internes, après les cours. Il a également retenu qu'au regard des circonstances exceptionnellement graves survenues dans l'établissement et des responsabilités attachées à sa fonction de coordinateur d'internat encadrant une équipe de six surveillants dans un établissement pour adolescents en difficulté, le salarié se devait d'être présent lors de l'intervention de la brigade des mineurs dans ce contexte difficile et ne pas s'absenter trois jours sans autorisation, en prévenant le matin même son employeur, sans lui permettre de pallier cette situation afin d'assurer la surveillances des élèves internes. Le ministre a ainsi estimé que, pris dans leur ensemble, ces faits fautifs d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.

4. D'une part, il ressort du contrat de M. Romil qu'il exerçait des fonctions de coordinateur d'internat, " fonction 22 ", laquelle, d'après la convention collective applicable, consiste à assurer notamment " la qualité de vie individuelle et collective des internes et leur sécurité individuelle et collective, dans le respect du règlement de l'internat (...) ". D'autre part, il est constant qu'en sa qualité de coordinateur d'internat, il était responsable de la coordination des six surveillants, et donc responsable, comme l'a d'ailleurs noté l'inspecteur du travail, de la sécurité des internes. En tout état de cause, en vertu du règlement intérieur de l'établissement, produit pour la première fois en appel, tous les adultes exerçant au sein de l'établissement ont en charge la surveillance des élèves sur le site. Par ailleurs, M. Romil représentait l'internat aux réunions du GEC (Groupe éducatif et de coordination), qui se réunissait chaque semaine afin de permettre l'échange et la remontée des incidents et informations utiles tant au sujet de l'externat que de l'internat. Enfin, il est constant que la direction de l'établissement devait être informée sans délai de la survenance de faits graves. En sa qualité de cadre référent, M. Romil était l'interlocuteur de la direction pour l'internat.

5. Il ressort des pièces du dossier que, le jeudi 15 octobre 2015 vers 19 heures, soit pendant son service, M. Romil a croisé un élève externe, qu'il avait d'ailleurs déjà surpris à plusieurs reprises auparavant à une heure où cet élève n'était plus censé rester dans l'établissement et qu'il l'avait alors " expulsé ", sans toutefois porter ces incidents récurrents à la connaissance de sa hiérarchie ni du GEC. Cet élève externe se trouvait ce 15 octobre dans le gymnase de l'école avec une interne. Il a alors demandé à cet externe de sortir sans, cette fois, l'accompagner ni s'assurer qu'il était effectivement sorti, et a ainsi méconnu l'obligation qui pesait sur lui de s'assurer que l'élève externe avait effectivement quitté l'établissement dès lors, qu'en application du règlement intérieur, il devait avoir quitté les lieux à la fin des cours. La circonstance que le gymnase ne se trouve pas dans l'enceinte de l'internat, que ce serait la mission d'autres membres du personnel de s'assurer que les externes sont tous sortis, et que l'étendue du site ainsi que sa configuration complexe, associées à un sous-effectif en personnel, rendent la surveillance des élèves particulièrement difficile, restent sans incidence sur le manquement à cette obligation. Quant à la circonstance, alléguée par M. Romil, selon laquelle il soupçonnait cette jeune fille de se prostituer, loin de justifier son abstention, cette circonstance lui faisait d'autant plus obligation, s'agissant d'une mineure, d'intervenir pour faire respecter le règlement et d'informer sa hiérarchie. Ce n'est que le 6 novembre suivant, alors que le GEC se réunissait tous les vendredis, que M. Romil a noté cet incident sur le cahier de transmission d'informations en précisant seulement qu'il " se serait passé quelque chose ". Outre ce retard significatif dans la remontée d'informations, le caractère vague de celle-ci en réduisait sensiblement l'utilité.

6. Ainsi, outre l'abstention à faire respecter le règlement par un externe dont il avait déjà constaté à plusieurs reprises la présence indue sur le site, peu important à cet égard qu'il s'agisse de locaux extérieurs à l'internat dès lors qu'ils étaient situés dans l'enceinte de l'établissement, M. Romil a manqué à son obligation de surveillance et de protection des mineurs, y compris contre eux-mêmes, ainsi qu'à son devoir d'information de tout incident susceptible d'affecter la sécurité de ces mineurs. Certes la dangerosité de cet élève externe n'est apparue que par la suite, lorsque, le 12 novembre 2015, la jeune fille qui se trouvait avec lui dans le gymnase le 15 octobre a confié à un membre du personnel avoir été violée par lui le 3 novembre suivant ; de même, il n'est apparu que par la suite que le même 15 octobre 2015, environ une demi-heure après que M. Romil l'a croisé dans le gymnase, ce même externe a agressé sexuellement une autre interne. Toutefois, l'obligation de M. Romil de faire respecter le règlement intérieur et de se conformer lui-même aux missions découlant de son contrat et de sa qualité de cadre référent avait précisément pour finalité de prévenir toute dérive grave.

7. Enfin, M. Romil, qui n'a averti son employeur que le matin du 17 novembre 2015 qu'il s'absentait pendant trois jours pour participer au congrès de son syndicat, alors que cette manifestation était programmée depuis plusieurs mois, a méconnu les dispositions de l'article R. 3142-3 du code du travail. Si cette faute a seulement retardé l'audition de l'intéressé, le 19 novembre, par la brigade des mineurs, à la suite de la plainte déposée au pénal pour les agressions commises par l'élève externe, M. Romil ne conteste pas n'avoir pas pris les mesures pour assurer la surveillance des élèves pendant son absence, alors que le défaut de préavis plaçait l'employeur dans la nécessité de lui trouver d'urgence un remplaçant. Il a commis ainsi une nouvelle faute en rapport direct avec la sécurité des élèves.

8. En retenant l'ensemble des négligences fautives énoncées aux points 4 à 7, le ministre a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, et alors même que M. Romil n'avait jusqu'alors aucun antécédent disciplinaire, autoriser le licenciement pour fautes d'une gravité suffisante de l'intéressé, dont l'ancienneté dans l'établissement ainsi que dans ses fonctions lui permettait précisément de prendre toute la mesure des risques que son attitude faisait encourir aux élèves internes. Il s'ensuit que c'est à tort que, pour annuler cette autorisation, le tribunal administratif a retenu le moyen tiré d'une erreur d'appréciation du ministre.

9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. Romil à l'encontre de la décision du ministre.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. Romil :

10. En premier lieu, le signataire de l'acte attaqué, M. A...B..., avait compétence pour ce faire, en vertu d'une délégation du directeur général du travail en date du

11 août 2015, publiée au Journal officiel du 14 août suivant.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre a organisé une nouvelle enquête dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique formé le 2 mars 2016 par l'employeur de M. Romil et que la convocation à cet entretien adressée à M. Romil était accompagnée d'une copie de ce recours accompagné de ses dix pièces jointes. M. Romil ne saurait donc invoquer une méconnaissance du principe du contradictoire en ce qu'il n'aurait pas eu accès aux pièces et témoignages sur la base desquels le ministre a pris sa décision.

12. En troisième lieu, M. Romil soutient que le ministre ne pouvait, pour écarter l'absence de lien avec le mandat, se borner à adopter une formule vague et générale, insuffisante pour concrétiser l'absence de lien. Il ne précise toutefois pas quels indices auraient pu être relevés en sens contraire par le ministre, tandis que la formule employée par ce dernier tend à attester qu'il a opéré le contrôle qu'il lui appartenait d'effectuer.

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'association " Le foyer de Cachan " est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision du ministre chargé du travail en date du

29 juillet 2016.

Sur la décision de l'inspecteur du travail en date du 4 janvier 2016 :

14. Les conclusions tendant à l'annulation de cette décision sont dépourvues d'objet dès lors que, par l'effet du présent arrêt, la décision du ministre chargé du travail en date du 29 juillet 2016, qui avait annulé celle de l'inspecteur du travail, redevient exécutoire.

Sur les frais de l'instance :

15. Il y a lieu de mettre à la charge de M. Romil le versement à l'association " Le foyer de Cachan " d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. Romil à l'encontre de l'association " Le foyer de Cachan ", qui n'est pas la partie perdante à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1601990, 1608003 du Tribunal administratif de Melun, en date du 20 avril 2018, est annulé.

Article 2 : La demande n° 1608003 de M. Romil devant le tribunal administratif ainsi que ses conclusions devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de l'association

" Le foyer de Cachan " tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Val-de-Marne en date du 4 janvier 2016.

Article 4 : M. Romil versera une somme de 1 000 euros à l'association " Le foyer de Cachan " au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Le foyer de Cachan ", à M. D...Romil et au ministre chargé du travail.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, président de chambre,

- Mme Julliard, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Lu en audience publique le 31 décembre 2018.

Le président-rapporteur,

M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,

M. JULLIARDLe greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne à la ministre chargée du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision

N° 18PA02148 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02148
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute - Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : BEAUCHENE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-31;18pa02148 ?
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