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31/12/2018 | FRANCE | N°18PA01386

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 31 décembre 2018, 18PA01386


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

19 février 2018 par lequel le préfet de police a prononcé sa remise aux autorités norvégiennes.

Par un jugement n° 1803516/8 du 28 mars 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2018, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du magistr

at désigné du Tribunal administratif de Paris du

28 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

19 février 2018 par lequel le préfet de police a prononcé sa remise aux autorités norvégiennes.

Par un jugement n° 1803516/8 du 28 mars 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2018, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris du

28 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par MmeC....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de ce que son arrêté était insuffisamment motivé ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 22 novembre 2018, Mme C...conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me B...en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- L'arrêté attaqué est motivé de façon fantaisiste et en contradiction tant avec les textes en vigueur qu'avec l'état de la jurisprudence ;

- il est contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'aucun retour utile ne lui permettra de voir sa situation examinée à nouveau par la Norvège et qu'elle risque de subir, en cas de retour en Irak, des traitements inhumains et dégradants.

Par une décision du 23 novembre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à MmeC....

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- et les observations de Me A...substituant MeB..., représentant MmeC....

1. Considérant que MmeC..., ressortissante irakienne née le 15 décembre 1984, a sollicité le 30 novembre 2017 son admission au séjour au titre de l'asile ; que les autorités norvégiennes, saisies par le préfet de police, ayant accepté de reprendre en charge Mme C...en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet de police a décidé le 19 février 2018, qu'elle serait remise aux autorités norvégiennes ; que, par un jugement du 28 mars 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de police de réexaminer sa demande ; que le préfet de police relève appel de ce jugement ;

Sur la requête d'appel présentée par le préfet de police :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé " ; qu'aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ;

3. Considérant d'une part, que s'il résulte effectivement du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de la décision du 7 juin 2016 (C-63-15) de la Cour de justice de l'Union européenne qu'" (...) un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l'application erronée d'un critère de responsabilité énoncé au chapitre III dudit règlement (...) ", aucune disposition, ni aucun principe n'impose à l'autorité préfectorale de mentionner les critères de détermination de l'Etat responsable qu'elle a retenus tels qu'ils figurent aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement précité pour considérer que les autorités d'un autre Etat membre étaient responsables de la demande d'asile ; qu'en outre, alors même qu'une telle mention ne figurerait pas dans la décision attaquée, il est toujours possible au demandeur d'asile placé en " procédure Dublin " de critiquer, à l'appui d'un recours devant le juge administratif le bien-fondé de la décision préfectorale et ainsi le préfet devra nécessairement exposer devant ce juge les critères et les modalités de leur mise en oeuvre qui l'ont conduit à estimer que tel Etat membre était responsable de la demande d'asile et d'obtenir l'annulation de la décision de transfert dans l'hypothèse où l'administration s'est livrée à une application erronée de ces critères, de sorte que l'absence d'une telle mention ne méconnaît pas le droit au recours effectif de l'intéressé et ne le prive d'aucune garantie ;

4. Considérant d'autre part, que l'arrêté portant transfert de Mme C...aux autorités norvégiennes vise notamment le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; qu'il rappelle la date et le lieu de naissance de la requérante et précise qu'elle s'est présentée au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 30 novembre 2017 et qu'elle s'est vue remettre une attestation de demande d'asile-Procédure Dublin ; qu'il ressort de la comparaison des empreintes digitales de Mme C...au moyen du système Eurodac que l'intéressée a sollicité l'asile auprès des autorités norvégiennes les 22 et 23 septembre 2015 ; que cet arrêté indique en particulier que les autorités norvégiennes ont été saisies le 4 décembre 2017 d'une demande de reprise en charge sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement UE n° 604/2013 -lequel concerne l'hypothèse où le demandeur a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre- et que ces autorités ont accepté, le 5 décembre 2017, leur responsabilité concernant la demande d'asile de Mme C...sur le fondement de l'article 18 (1) (d)- ce qui permettait d'en déduire qu'il s'agissait de l'Etat où une première demande d'asile avait été présentée et rejetée ; que l'arrêté en litige mentionne également que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressée ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3§2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ; qu'enfin, il ressort des mentions de cet arrêté que le préfet de police a examiné la situation de Mme C...au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et en a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile ; que, dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que le magistrat délégué par la présidente du tribunal administratif de Paris ne pouvait retenir, pour annuler l'arrêté du 19 février 2018 portant remise de Mme C...aux autorités norvégiennes, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation ;

Sur la demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif :

5. Considérant qu'aux termes du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile ; que la mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis " ; qu'en cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement ; qu'aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) " ; qu'aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 " ; qu'aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant " ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen " ; qu'aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) " ; qu'en vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi " ; que l'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé " ;

7. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision ; que ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai ; que son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C...a sollicité l'asile en France le 30 novembre 2017 ; que la consultation du fichier Eurodac a révélé qu'elle avait déjà formé une demande d'asile en Norvège les 22 et 23 septembre 2015 ; que les autorités norvégiennes ont accepté de la reprendre en charge le 5 décembre 2017 ; que le préfet de police a, par décision du 19 février 2018, ordonné la remise de l'intéressée aux autorités norvégiennes ; que le délai de six mois imparti à l'administration pour procéder à son transfert à compter de la décision d'acceptation des autorités norvégienne du 5 décembre 2017 a été interrompu par la présentation d'une demande de l'intéressé devant le tribunal administratif de Paris, le

5 mars 2018, tendant à l'annulation de cet arrêté ; que, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, ce délai de six mois a recommencé à courir à compter du jugement du 28 mars 2018 par lequel le tribunal a annulé l' arrêté de transfert du préfet de police et enjoint ce dernier à réexaminer la situation de Mme C...dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement ; qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'autorité préfectorale aurait décidé de porter à dix-huit mois le délai de remise, après avoir constaté que l'intéressée aurait pris la fuite ou qu'il aurait été emprisonné ; qu'il est constant que cette décision n'a fait l'objet d'aucun commencement d'exécution et que Mme C...continue à demeurer sur le territoire français postérieurement à l'expiration du délai de six mois à compter de l'accord de reprise en charge des autorités norvégiennes du 5 décembre 2017 ; que dans ces conditions, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, la Norvège est libérée de son obligation de reprise en charge de Mme C...et la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de cette dernière est transférée à la France ; que, dès lors, l'arrêté du 19 février 2018 n'est plus susceptible d'exécution ; qu'il en résulte que la requête de première instance de Mme C...tendant à son annulation est devenue sans objet ; qu'il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit auxdites conclusions présentées MmeC..., tant devant le tribunal administratif que devant la Cour ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mars 2018 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentée par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris.

Article 3 : Les conclusions de Mme C...présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, tant devant le tribunal administratif que devant la Cour, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...C...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 4 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 18PA01386


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01386
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Eléonore PENA
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : KEMPF

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-31;18pa01386 ?
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