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18/12/2018 | FRANCE | N°17PA03638

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 18 décembre 2018, 17PA03638


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des prélèvements sociaux mis à sa charge au titre de l'année 2013 à raison de la cession d'un bien immobilier situé au 7 rue Bastien Lepage et 81 rue de La Fontaine à Paris, 16ème.

Par un jugement n° 1600201 du 11 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a déchargé M. B...des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti au titre de la cession immobilière réalisée en 2013 rue Bastien Lepage et rue

de La Fontaine, à Paris, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des prélèvements sociaux mis à sa charge au titre de l'année 2013 à raison de la cession d'un bien immobilier situé au 7 rue Bastien Lepage et 81 rue de La Fontaine à Paris, 16ème.

Par un jugement n° 1600201 du 11 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a déchargé M. B...des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti au titre de la cession immobilière réalisée en 2013 rue Bastien Lepage et rue de La Fontaine, à Paris, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un recours et un mémoire, enregistrés les 30 novembre 2017 et 14 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600201 du Tribunal administratif de Paris du 11 octobre 2017 ;

2°) de remettre à la charge de M. B...les prélèvements sociaux dus au titre de l'année 2013 à raison de la cession d'un bien immobilier situé au 7 rue Bastien Lepage et 81 rue de La Fontaine à Paris, à concurrence du dégrèvement prononcé en exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que :

- les prélèvements sociaux en cause ont la qualification d'impositions directes suivant la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-654 DC du 9 août 2012, et l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 janvier 2004 n° 237395, cette qualification n'ayant pas été remise en cause par la CJUE dans son arrêt " de Ruyter " ;

- les prélèvements sociaux en litige sont dus, selon la même assiette et le même taux, par toutes les personnes qui réalisent, directement ou indirectement, des plus-values immobilières en France, quel que soit le lieu de leur résidence, sous réserve, le cas échéant, des conventions fiscales bilatérales ;

- une différence d'imposition entre contribuables, si elle existe, ne résulte pas de l'application de la loi fiscale française, mais de l'articulation entre le droit interne et le Règlement n° 883/2004 du Conseil du 29 avril 2004, qui s'est substitué à celui n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, de coordination des systèmes de sécurité sociale, tel qu'interprété par la Cour de justice ;

- l'existence d'une restriction aux mouvements de capitaux prohibée par le TFUE ne saurait être appréciée au regard d'un critère objectif lié à la situation du contribuable en matière de sécurité sociale, mais uniquement au regard soit du lieu de résidence, soit du lieu de l'investissement (Conseil d'Etat n° 367234 du 20 octobre 2014) ; les prélèvements en cause ont été mis à la charge de M.B..., sans considération de son lieu de résidence ou de celui de son investissement ;

- les prélèvements sociaux litigieux sont appliqués sans référence au lieu du domicile du contribuable ayant investi dans un bien immobilier en France et ne sauraient par conséquent constituer une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux, telle que l'a notamment jugé la CJUE dans son arrêt Van Hilten - affaire C-513/03 du 23 février 2006 ;

- M. B...a déclaré être résident australien et ne relève pas du régime de sécurité sociale d'un Etat au sein duquel s'applique le Règlement précité du 29 avril 2004 ; le principe d'unicité de législation sociale, issu dudit règlement, est inapplicable ;

- en réponse à la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 25 janvier 2017 n° 397881, la CJUE a, par une décision du 18 janvier 2018 C-45/17, jugé que " les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à la législation d'un État membre, (...), en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers autre qu'un État membre de l'Espace économique européen (EEE) ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d'une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu'un ressortissant de l'Union relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l'unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en vertu de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. " ; il résulte de cette décision que le fait qu'une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d'un État tiers non européen soumise aux prélèvements sociaux sur les revenus du capital, alors qu'une personne affiliée à un régime européen ne l'est pas, si elle constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par l'article 63 du TFUE, une telle restriction est justifiée par une différence de situation objective en application de l'article 65 du TFUE, dès lors que seuls les ressortissants de l'EEE et de la Suisse qui se déplacent à l'intérieur de ces États peuvent bénéficier du principe d'unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, prévu à l'article 11 du règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ; l'article 2 du règlement n° 883/2004 intitulé " Champ d'application personnel " dispose en effet au paragraphe 1 : " Le présent règlement s'applique aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants. " ; M.B..., résident australien, n'est pas ressortissant français, ni de l'EEE ou de la Suisse, comme il l'indique dans son mémoire. Son assujettissement aux contributions sociales ne saurait dès lors être contraire au règlement n° 883/2004 ni constituer une restriction à la libre circulation des capitaux garantie par l'article 63 du TFUE ;

- à supposer que les prélèvements sociaux en cause constituent une entrave à la liberté de circulation des capitaux pour les personnes affiliées à la sécurité sociale dans un Etat tiers, dans la mesure où les personnes affiliées au sein de l'UE, de l'EEE ou en Suisse en sont exemptées en application du Règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale, le prélèvement de solidarité de 2 % n'entre pas dans le champ d'application matériel de ce Règlement ;

- le règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 induit un double principe d'unicité d'affiliation à un régime de sécurité sociale et d'unicité de cotisation ; la Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans les arrêts du 15 février 2000 Commission c/ France, aff. C-169/98, et aff. C-34/98 qu'un prélèvement participant au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale relève du champ d'application du règlement n° 1408/71 s'il existe un lien direct et suffisamment pertinent entre ce prélèvement et certaines branches de la sécurité sociale énumérées à l'article 4 de ce règlement, alors même qu'il serait assis sur des revenus de la personne assujettie indépendamment de l'exercice de toute activité professionnelle ; une personne qui n'est pas affiliée à la sécurité sociale en France, mais dans un autre Etat au sein duquel s'applique le règlement en cause, ne peut pas se voir réclamer le paiement de contributions qui présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec le financement des branches de sécurité sociale en France ; dans son arrêt de Ruyter du 26 février 2015, la CJUE a rappelé que le critère déterminant pour apprécier le lien, direct et suffisamment pertinent, que doit présenter le prélèvement en cause avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale est l'affectation spécifique d'une contribution au financement de la sécurité sociale d'un Etat ; or, le prélèvement de solidarité de 2 % défini à l'article 1600-0 S du code général des impôts était affecté, avant le 1er janvier 2015, à trois fonds non dotés de la personnalité juridique dont les comptes étaient équilibrés par des subventions du budget général de l'Etat, à titre principal, au fonds national des solidarités actives (FNSA), et à titre secondaire, au fonds national des aides au logement (FNAL), et enfin, à titre marginal, au fonds de solidarité, ces trois fonds finançant des prestations dont l'objet est de garantir à tous un minimum de moyens d'existence ou une aide au logement dans un objectif de solidarité nationale ; dans un arrêt n° 392784 du 19 juillet 2016, le Conseil d'Etat a précisé que la contribution de 1,1 %, additionnelle au prélèvement social, prévue par l'article L. 262-24 du code de l'action sociale dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2012, contribution de 1,1 % qui a précédé l'entrée en vigueur du prélèvement de solidarité de 2 %, affectée au Fonds national des solidarités actives, dès lors qu'elle n'était pas spécifiquement affectée au financement d'une prestation relevant du Règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale n'entrait pas dans le champ d'application de ce Règlement, et donc que le principe d'unicité de législation sociale applicable ne pouvait pas être utilement invoqué par un contribuable pour contester le bien-fondé d'une telle contribution ; le prélèvement de solidarité n'était pas affecté de manière prépondérante au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale pendant la période litigieuse du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, avant l'entrée en vigueur de l'article 28 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui a affecté cette contribution à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ; il n'existe pas de lien direct et pertinent entre ce prélèvement et les branches de la sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 14081/71, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, de nature à permettre de le regarder comme entrant dans le champ d'application du règlement n° 883/2004, et soumis au principe d'unicité de cotisation que pose cette réglementation ; c'est donc conformément au droit de l'Union que ce prélèvement a pu être appliqué aux revenus du capital de personnes qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale en France ; enfin, par un arrêt n° 395065 rendu le 18 octobre 2017, le Conseil d'Etat a confirmé que le prélèvement de solidarité de 2 %, pour la période antérieure au 1er janvier 2015, n'entrait pas dans le champ d'application du Règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2018, M. A... B..., représenté par MeC..., demande à la Cour de rejeter les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics, et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3 000 euros pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens présentés par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre de Ruyter (C-623/13) ;

- l'arrêt n° C-45/17 du 18 janvier 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, modifiée ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lescaut,

- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., résidant en Australie, a réalisé au titre de l'année 2013 une plus-value immobilière résultant de la vente d'un immeuble, situé au 7 rue Bastien Lepage et 81 rue de La Fontaine, à Paris 16ème. M. B...a été assujetti au titre de l'année 2013, et à raison de cette plus-value, pour un montant total de 12 249 euros, aux prélèvements sociaux prévus aux articles 1600-0 C et suivants du code général des impôts sur le fondement des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts. Par jugement du 11 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, du prélèvement social, de la contribution additionnelle de 0,3 % et du prélèvement de solidarité de 2 % auxquels M. B...a ainsi été assujetti, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, et aux termes, d'une part, de l'article 1600-0 C du code général des impôts : " La contribution sociale généralisée sur le revenu du patrimoine est établie conformément aux dispositions de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. ". Aux termes de ce dernier article, dans sa version issue de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : a) Des revenus fonciers (...) c) Des revenus de capitaux mobiliers (...). ". Aux termes de l'article 1600-0 F bis du même code : " I Le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale. ". Aux termes de cet article L. 245-14 dans sa version issue de la loi du 16 août 2012 : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes mentionnés aux I et II de l'article L. 136-6. Sont également soumises à ce prélèvement, à raison des revenus mentionnés au I bis de l'article L. 136-6 du présent code, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts. " Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 dans sa version applicable à l'espèce : " I. - Il est institué une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts. Sont également soumis à cette contribution les revenus désignés au I bis de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 1600-0 S du code général des impôts dans sa version applicable aux revenus du patrimoine perçus à compter du 1er janvier 2012 : " I. - Il est institué : 1° Un prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ; 2° Un prélèvement de solidarité sur les produits de placement mentionnés à l'article L. 136-7 du même code. II. - Le prélèvement de solidarité mentionné au 1° du I est assis, contrôlé et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. Le prélèvement de solidarité mentionné au 2° du même I est assis, contrôlé et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale. III. - Le taux des prélèvements de solidarité mentionnés au I est fixé à 2 %. IV. - Le produit des prélèvements de solidarité mentionnés au I est affecté à hauteur de : 1° 1,45 point au fonds mentionné à l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles ; 2° 0,45 point au fonds mentionné à l'article L. 351-6 du code de la construction et de l'habitation ; 3° 0,1 point au fonds mentionné à l'article L. 5423-24 du code du travail. ".

3. Aux termes, d'autre part, du 1 de l'article 2 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable depuis le 1er mai 2010 : " Le présent règlement s'applique aux ressortissants de l'un des Etats membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un Etat membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs Etats membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants ".

4. Il résulte clairement de ces dispositions, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 18 janvier 2018, Frédéric Jahin contre Ministre de l'économie et des finances, Ministre des affaires sociales et de la santé, C-45/17, que le règlement ne s'applique qu'à des personnes qui sont ou ont été soumises à la législation de sécurité sociale d'un ou de plusieurs Etats membres de l'Union européenne, sans que le fait d'être un ressortissant ou un résident fiscal d'un Etat membre, non affilié au régime de sécurité sociale de cet Etat, suffise à faire entrer dans le champ du règlement. Il résulte également clairement de ces dispositions, qui s'inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne, que le règlement ne s'applique pas à des personnes qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale dans un Etat tiers à l'Union européenne, autre que les Etats membres de l'Espace économique européen ou la Suisse, Etats auxquels l'application du règlement a été étendue par voie d'accords internationaux, alors même que ces personnes auraient été, antérieurement à leur affiliation dans cet Etat tiers, affiliées à un régime de sécurité sociale dans un Etat membre de l'Union européenne.

5. Il découle de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter, C-623/13, rendu à la suite d'une saisine par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, d'un Etat membre de l'Espace économique européen (EEE) ou de la Suisse ne peut être soumise aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française qui entrent dans le champ du règlement du 29 avril 2004. En revanche, ce règlement ne fait pas obstacle à ce qu'une personne affiliée à la sécurité sociale dans un Etat tiers à l'Union européenne autre que la Suisse ou les Etats membres de l'Espace économique européen soit soumise à ces mêmes prélèvements. M.B..., résident australien, n'étant ni ressortissant français, ni ressortissant de l'EEE ou de la Suisse, son assujettissement aux contributions sociales ne saurait, dès lors, être contraire au règlement n° 883/2004 précité du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004.

6. Aux termes, en second lieu, du 1 de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites " ; qu'aux termes du 1 de l'article 64 du même traité : " L'article 63 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l'Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux (...) " ; qu'aux termes du 1 de l'article 65 du même traité : " L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : / a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (...) ".

7. Par l'arrêt du 18 janvier 2018, Jahin contre Ministre de l'économie et des finances, Ministre des affaires sociales et de la santé, C-45/17, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'une législation telle que la législation française relative à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle à ce prélèvement qui réserve un traitement plus favorable aux ressortissants de l'Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre Etat membre, d'un Etat membre de l'Espace économique européen ou de la Suisse qu'à ceux qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d'un Etat tiers, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux entre un Etat membre et un Etat tiers, qui est, en principe, interdite par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

8. Elle a cependant jugé qu'une telle restriction à la libre circulation des capitaux entre un Etat membre et un Etat tiers était susceptible d'être justifiée, au regard des stipulations précitées de l'article 65, paragraphe 1, sous a), du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, par la différence de situation objective qui existe entre une personne physique, ressortissant d'un Etat membre, mais résidant dans un Etat tiers à l'Union européenne autre qu'un Etat membre de l'Espace économique européen ou la Suisse et qui y est affiliée à un régime de sécurité sociale, et un ressortissant de l'Union résidant et affilié à un régime de sécurité sociale dans un autre Etat membre.

9. Il résulte des points 7 et 8 ci-dessus que la circonstance qu'une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d'un Etat tiers à l'Union européenne, autre que les Etats membres de l'Espace économique européen ou la Suisse soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française entrant dans le champ du règlement du 29 avril 2004, alors qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre autre que la France ne peut, compte tenu des dispositions de ce règlement, y être soumise, ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers, au sens de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

10. Enfin, par une décision n° 395065 du 18 octobre 2017, le Conseil d'Etat a jugé, pour les motifs exposés aux points 4 à 11 de sa décision, que le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 2015 n'entrait pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a, pour le motif ci-dessus rappelé aux points 7 à 10, accordé la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social sur les revenus du patrimoine, de contribution additionnelle à ce prélèvement et de prélèvement de solidarité auxquelles il a été assujetti sur les revenus du patrimoine qu'il a perçus en France au titre de l'année 2013 à raison de la cession du bien situé rue Bastien Lepage et rue de La Fontaine, à Paris.

12. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...tant devant elle que devant le Tribunal administratif de Paris.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5, que M. B...ne peut se prévaloir du principe d'unicité de législation posé par l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, ni du principe prohibant les doubles cotisations qui en découle.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a accordé à M. B...la décharge des contributions sociales mises à sa charge au titre de l'année 2013 à raison de la vente d'un immeuble, situé au 7 rue Bastien Lepage et 81 rue de La Fontaine, à Paris 16ème. Il est, par voie de conséquence, fondé à demander que soit remise à la charge de M. B...la somme de 12 249 euros.

Sur les conclusions de M. B...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. B...demande au titre des frais qu'il a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600201 du Tribunal administratif de Paris du 11 octobre 2017 est annulé.

Article 2 : La somme de 12 249 euros, correspondant au montant des contributions et prélèvements sociaux déchargés à tort par le Tribunal administratif de Paris, est remise à la charge de M.B....

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à M. A... B....

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris (pôle fiscal Parisien 1 - service du contentieux d'appel déconcentré).

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- Mme Lescaut, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 décembre 2018.

Le rapporteur,

C. LESCAUTLe président,

S.-L. FORMERYLe greffier,

C. RENÉ-MINE

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

9

N° 17PA03638


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03638
Date de la décision : 18/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-08-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Plus-values des particuliers. Plus-values immobilières.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Christine LESCAUT
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : CHEMOULI DALIN STOLOFF BOINET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-18;17pa03638 ?
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