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18/12/2018 | FRANCE | N°14PA03561

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 18 décembre 2018, 14PA03561


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 418 736,27 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subie le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis et, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert afin d'évaluer ces préjudices et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 40 000 euros à titre de provision.

Par un

jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014, le Tribunal administratif de Paris a reje...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 418 736,27 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subie le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis et, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert afin d'évaluer ces préjudices et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 40 000 euros à titre de provision.

Par un jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2014, Mme B...A..., représentée par le cabinet J.C.V.B.R.L, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser les sommes de 15 029,92 euros au titre des dépenses de santé et frais divers restés à sa charge, de 26 280 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation, de 23 840,15 euros au titre des pertes de gains actuelles, de 214 345,20 euros au titre des pertes de gain futures et de l'incidence professionnelle, de 52 341 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne après consolidation, de 14 400 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 50 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 7 500 euros au titre du préjudice esthétique, en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis ;

3°) à titre subsidiaire de désigner un médecin expert afin qu'il évalue les préjudices en lien avec la faute commise et de condamner l'AP-HP à lui verser une provision de 40 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa requête n'est pas irrecevable ; la proposition d'indemnisation amiable ne peut être assimilée à une décision de rejet ; le seul délai opposable est le délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation ;

- le praticien de l'hôpital Saint Louis qui a effectué, le 5 septembre 2007, la biopsie d'un ganglion cervical droit, a commis une faute en touchant le nerf spinal accessoire ;

- la réparation du préjudice résultant de cette faute incombe à l'AP-HP qui reconnaît d'ailleurs sa responsabilité ;

- le poste de préjudice relatif aux dépenses de santé et frais divers doit être évalué à la somme de 13 029,92 euros ; que cette somme est en lien direct avec le fait générateur de responsabilité ;

- elle a eu besoin d'être assistée dans les actes de la vie courante à hauteur de 2 heures et demi par jour pendant deux ans, puis une heure l'année suivante ; elle a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne avant la consolidation de son état pour un volume horaire total de 2 190 heures ; il conviendra de réparer ce poste de préjudice en lui allouant la somme de 26 280 euros ;

- elle a été, suite aux dommages subis, en arrêt de travail total du 6 septembre 2007 au 1er octobre 2010 ; compte tenu des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie, il y a lieu de retenir la somme de 5 053,15 euros s'agissant des pertes de salaire effectives ; en y ajoutant le bénéfice de la part de rémunération variable qu'elle aurait dû toucher, il convient d'évaluer ce poste de préjudice à la somme totale de 23 840,15 euros ;

- elle n'a pu reprendre son activité que fin septembre 2010, avec un horaire spécifiquement aménagé ; elle perd ainsi le bénéfice de trois primes qui ne lui sont désormais versées que pour moitié et ne verra pas ses meilleures années comptabilisées au titre de la retraite ; en résulte un préjudice annuel d'au moins 7 200 euros ; entre 2010 et 2018, elle perdra le bénéfice d'environ 900 points ARRCO et 180 points AGIRC ; son préjudice de retraite annuel total se chiffrera à 8 400 euros, soit un préjudice global de 214 345,20 euros ;

- elle nécessite toujours l'assistance d'une tierce personne après consolidation ; il y a lieu de lui allouer une somme de 52 341 euros à ce titre ;

- son déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à la somme de 14 400 euros ;

- le poste de préjudice relatif aux souffrances endurées sera justement réparé par une allocation de 15 000 euros ;

- son déficit fonctionnel permanent doit être évalué à la somme de 50 000 euros ; elle est diminuée dans sa capacité à jouir des plaisirs normaux de l'existence dès lors que chaque tentative d'exercice physique est entravée ;

- compte tenu de l'altération de son apparence physique, il sera fait une juste réparation de son préjudice esthétique en lui allouant une somme de 7 500 euros ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2014, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeD..., conclut à ce que la Cour constate que la responsabilité de l'AP-HP est engagée pour faute et que, par suite, il n'y a pas droit pour la requérante à sa prise en charge de son préjudice au titre de la solidarité nationale, et qu'elle le mette hors de cause.

L'ONIAM fait valoir que :

- le législateur a clairement consacré un principe de subsidiarité de l'intervention de la solidarité nationale aux termes duquel la prise en charge par l'ONIAM des conséquences d'un accident médical ne saurait intervenir qu'en l'absence de toute responsabilité des personnels ou établissements de santé à l'origine des dommages ;

- les préjudices de Mme A...résultent manifestement d'une maladresse constitutive d'une faute engageant la responsabilité de l'AP-HP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2015, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), représentée par MeF..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de MmeA... ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise destinée à évaluer les préjudices de Mme A....

L'AP-HP soutient que :

- si la Cour estimait que la requête est recevable, elle ne pourrait que confirmer le montant de l'indemnisation proposée par l'AP-HP ;

- à défaut, le rapport présenté par le médecin conseil de l'intéressée ne présentant pas davantage de valeur probante, la Cour ne pourrait qu'ordonner une nouvelle expertise.

Par un arrêt du 6 mai 2015, la Cour a annulé le jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 juin 2014 et ordonné, avant-dire droit, une expertise afin, notamment, de déterminer si la prise en charge de Mme A...a été conforme aux données acquises de la science à l'époque des faits et décrire la nature et l'étendue des préjudices en ayant résulté.

Le rapport d'expertise du docteur Vasseur a été déposé et enregistré le 23 septembre 2016.

Par deux mémoires enregistrés le 24 novembre 2016 et le 12 janvier 2017, Mme A...représentée par Me E...conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation de l'AP-HP à lui verser les sommes de 15 029,92 euros au titre des dépenses de santé et frais divers restés à sa charge, de 19 840 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation, et de 64 720 euros au titre de l'assistance par tierce personne après consolidation, de 23 840,15 euros au titre des pertes de gains actuelles, de 137 198,10 euros au titre des pertes de gain futures, de 228 500 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 17 446,88 euros au titre de frais d'adaptation du véhicule, de 9 300 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 27 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 2 000 euros et 7 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et permanent, de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel et 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément, en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis, ainsi qu'à la mise à la charge de l'AP-HP une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'AP-HP a reconnu sa responsabilité et seule reste en litige l'évaluation de ses préjudices ;

- le médecin conseil de l'AP-HP présent lors des opérations d'expertise n'a formulé aucune réserve orale ni écrite sur l'imputabilité des séquelles présentées par Mme A...ou sur la responsabilité de l'AP-HP n'est pas fondée à contester les conclusions du rapport ;

- les honoraires du docteur Bouchard qui a assisté Mme A...en qualité de médecin-conseil sont justifiés ;

- l'achat du véhicule équipé d'une boîte automatique postérieur à la date de la consolidation devra être indemnisé par une somme de 17 446,88 euros ;

- l'inaptitude de Mme A...à reprendre un travail à temps complet a été constatée par la médecine du travail ;

- c'est parce qu'elle n'a vu aucune issue à la poursuite de son activité antérieure qu'elle a accepté le plan de licenciement ;

- son projet de recherche antérieur à l'accident médical fautif, ne saurait lui être opposé par l'AP-HP pour contester l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels futures ;

- il lui sera alloué 137 198,10 euros au titre des gains professionnels futurs et 228 500 euros au titre de l'incidence professionnelle.

Par un mémoire enregistré le 27 décembre 2016, l'ONIAM représenté par Me D...conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que les conditions de son intervention ne sont pas réunies dès lors que les dommages subis par Mme A...ont pour cause exclusive une faute médicale commise à l'occasion de l'intervention chirurgicale du 5 septembre 2007 engageant la responsabilité de l'AP-HP.

Par un mémoire enregistré le 30 décembre 2016, l'AP-HP représentée par

Me F...conclut à ce que les indemnités sollicitées soient ramenées à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- la symptomatologie présentée par Mme A...est très atypique : les lésions neurologiques ont rapidement régressé et une pathologie rhumatismale associée touchant l'épaule et le membre supérieur semble avoir une part non négligeable dans les handicaps algiques de Mme A...sans pouvoir être imputée au fait générateur de responsabilité du service public ;

- les dépenses de santé actuelles dont Mme A...demande le remboursement ne peuvent être regardées comme résultant de manière directe et certaine du fait générateur de

responsabilité ;

- la demande au titre des frais divers ne peut qu'être rejetée dès lors que les honoraires d'assistance aux expertises sont des frais irrépétibles au sens de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et font peut-être double emploi avec les dépenses de santé au profit du docteur Bouchard, médecin conseil de la requérante ;

- les frais d'acquisition d'un futon ne peuvent être regardés comme directement liés au fait générateur ;

- la demande au titre de l'achat d'un véhicule doit être rejetée dès lors que l'expert indique que Mme A...peut utiliser un véhicule à conduite manuelle comme antérieurement à 2011 ;

- en ce qui concerne la demande au titre de l'assistance par une tierce personne, elle est critiquable pour la période postérieure au 7 février 2008 pour laquelle l'expert indique que la requérante est dans la capacité de se servir de ses membres supérieurs et notamment jusqu'au

31 août 2010 date à laquelle elle a repris son travail et pour laquelle l'expert indique qu'elle peut effectuer les activités ménagères quotidiennes à l'exception du port de certaines charges ;

- la demande d'indemnisation au titre de la perte de primes dont le versement est lié à la réalisation d'une prestation de travail, n'est pas un préjudice indemnisable ;

- l'interruption de l'activité professionnelle par Mme A...résulte d'un plan de départ volontaire en 2015 lié à un projet d'étude et non à une inaptitude et la demande d'indemnisation au titre de la perte de revenus et de l'incidence professionnelle devra être rejetée ;

- la demande au titre du déficit fonctionnel temporaire devra être ramenée à de plus justes proportions ;

- l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder 17 000 euros ;

- l'indemnité allouée au titre des souffrances endurées ne saurait excéder 3 000 euros ;

- l'indemnité demandée au titre du préjudice esthétique temporaire devra être rejetée et limitée à 700 euros en ce qui concerne le préjudice esthétique permanent ;

- l'indemnité sollicitée au titre du préjudice d'agrément devra être ramenée à de plus justes proportions ;

- l'indemnité sollicitée au titre du préjudice sexuel devra être ramenée à de plus justes proportions.

Par un arrêt du 29 juin 2017, la Cour a, avant-dire droit, ordonné une expertise complémentaire après avoir considéré que celle précédemment diligentée ne permettait pas, d'une part, de déterminer si la faute commise lors de l'exérèse du ganglion lymphatique de Mme A...lui avait fait perdre une chance de se soustraire au risque de lésion du nerf spinal accessoire, d'autre part, de savoir s'il pouvait y avoir un lien entre d'autres pathologies dont elle serait atteinte et les préjudices invoqués.

Le rapport d'expertise complémentaire du docteur Vasseur a été déposé et enregistré le 8 juin 2018.

Par des mémoires, enregistrés les 27 juin, 3 octobre et 5 novembre 2018, Mme A...conclut aux mêmes fins que précédemment et demande en outre dans le dernier état de ses écritures, la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral pour défaut d'information, celle de 4 062 euros au titre des dépenses de santé actuelles et 9 767,92 au titre des frais divers, celle de 29 202 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation, et de 84 964,31 euros au titre de l'assistance par tierce personne viagère, de 187 262,22 euros au titre de la perte de gains professionnels avant imputation de créance, de 245 123,60 euros au titre de l'incidence professionnelle, de

18 559,38 euros au titre de frais d'adaptation du véhicule, de 4 000 euros au titre de préjudice esthétique temporaire, de 25 000 euros au titre des souffrances endurées, en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis, que les frais du complément d'expertise soient mis à la charge de l'AP-HP, ainsi qu'à la mise à la charge de l'AP-HP des sommes de 3 000 et 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour la première instance et l'appel.

Elle soutient les mêmes moyens que précédemment et en outre qu'aucune information sur les risques de l'intervention ne lui a été délivrée, sachant qu'elle n'a pas été opérée par le chirurgien qui devait l'opérer initialement.

Par un mémoire enregistré le 27 août 2018, l'ONIAM conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2018 l'institut de prévoyance APGIS Vincennes (Dynalis) demande la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 420,63 euros au titre des frais de santé intervenus du 5 septembre 2007 au 31 août 2010, celle de 345,64 euros au titre des frais de santé intervenus du 1er septembre 2010 au 31 septembre 2016, celle de 126 517,39 euros au titre des prestations incapacité versées, 177 276,51 euros au titre des prestations invalidité également versées et à la mise à la charge de l'AP-HP de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire enregistré le 5 octobre 2018, l'AP-HP représentée par Me F...conclut à titre principal au rejet de la requête de Mme A...ainsi que des conclusions de la société Dynalis, et à titre subsidiaire à ce que les indemnités sollicitées soient ramenées à de plus justes proportions.

Elle soutient les mêmes moyens et, en outre, que l'existence d'une faute médicale ne se trouve nullement établie dès lors que l'on ne saurait déduire de l'absence de précisions, dans le compte-rendu opératoire, quant aux précautions à prendre afin d'éviter la lésion du nerf spinal accessoire, que le chirurgien ne les a forcément pas prises.

L'institut de prévoyance APGIS Vincennes (Dynalis) a présenté un mémoire, non communiqué, le 30 novembre 2018.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- les ordonnances des 5 octobre 2016 et 20 juin 2018, par lesquelles le président de la Cour a taxé les frais des deux expertises réalisées par le docteur Vasseur.

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant l'institut de prévoyance APGIS Vincennes (Dynalis), et de MeF..., représentant l'AP-HP.

1. Considérant que Mme B...A...a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis une biopsie chirurgicale d'un ganglion cervical droit, laquelle a donné lieu à des complications consistant en une importante dénervation du nerf spinal accessoire droit avec une atteinte du sterno-cléido mastoïdien et du trapèze droit ; qu'elle a adressé à l'AP-HP une réclamation préalable le 27 juin 2008 afin d'obtenir réparation des préjudices résultant pour elle de cette intervention ; qu'après enquête médicale amiable contradictoire menée par son médecin-conseil, l'AP-HP a reconnu sa responsabilité et a, par décision en date du 5 décembre 2011, proposé une indemnisation à Mme A...à hauteur de 25 819 euros, déduction faite de l'indemnité provisionnelle de 2 000 euros qui lui avait été versée spontanément par l'AP-HP ; que cette proposition est restée sans réponse ; que Mme A...a adressé une nouvelle demande indemnitaire qui a été rejetée le 21 mai 2013 ; que par un arrêt du 6 mai 2015, la Cour a annulé le jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 juin 2014 rejetant comme irrecevable sa requête tendant à la condamnation de l'AP-HP à l'indemniser de ses préjudices et a ordonné la désignation d'un expert ; que ce rapport du docteur Vasseur, a été déposé le 23 septembre 2016 ; que par un arrêt du 29 juin 2017, la Cour a de nouveau, avant-dire droit, ordonné une expertise après avoir considéré que celle précédemment diligentée ne permettait pas, d'une part, de déterminer si la faute commise lors de l'exérèse du ganglion lymphatique de Mme A...lui avait fait perdre une chance de se soustraire au risque de lésion du nerf spinal accessoire, d'autre part, de savoir s'il pouvait y avoir un lien entre d'autres pathologies dont elle serait atteinte et les préjudices invoqués ; que le rapport d'expertise complémentaire du docteur Vasseur a été déposé le 8 juin 2018 ; que Mme A...a alors chiffré précisément l'ensemble de ses préjudices ; que l'AP-HP conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que le montant des indemnités soit ramené à de plus justes proportions ; l'ONIAM demande quant à lui à être mis hors de cause ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

2. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des documents médicaux disponibles que, lors de la pratique de l'exérèse de ganglion lymphathique, l'abord chirurgical se doit d'être très prudent lors de la dissection et de la pose des écarteurs, cette chirurgie du cou étant extrêmement minutieuse et nécessitant de parfaitement prendre ses repères, d'inciser très prudemment et de mettre les tissus sous traction de manière très délicate ; qu'il ressort cependant des deux rapports d'expertise du docteur Vasseur, qu'aucune précaution particulière n'a été prise au cours de l'intervention de Mme A...pour limiter le risque important de lésion du nerf spinal accessoire, ainsi qu'en témoigne le compte rendu opératoire totalement muet sur le sujet ; que si l'AP-HP fait valoir qu'aucune faute ne saurait être retenue à son encontre dès lors que l'expert ne précise pas le mécanisme lésionnel, il n'en demeure pas moins que, dans les circonstances de l'espèce, et alors qu'aucune autre pathologie rhumatismale de type tendinopathie ou syndrome de parsonage Turner n'a pu être identifiée chez Mme A...comme pouvant être à l'origine de ses douleurs et du déficit fonctionnel observé, la faute imputée à l'AP-HP doit être considérée comme étant à l'origine de l'intégralité de ses préjudices, la lésion du nerf spinal accessoire ayant entraîné une attitude vicieuse de la région cervico brachiale droite avec abaissement du moignon droit et contracture du trapèze droit ;

Sur la réparation des préjudices de MmeA... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des dépenses de santé :

3. Considérant que Mme A...demande le remboursement d'une somme de 4 062 euros correspondant à des frais de kinésithérapie, d'ostéopathie et de médicaments pour un total de 1 112 euros dont elle justifie la réalité au dossier ; que si elle sollicite en outre la prise en compte des honoraires de trois médecins différents, seuls ceux du docteur Bouchard apparaissent comme étant en lien avec les dommages dont il est demandé réparation dans la présente instance ; qu'il y a lieu, par suite, de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 812 euros à ce titre ;

S'agissant des pertes de revenus, de retraite et de l'incidence professionnelle :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'expertise du docteur Vasseur du

23 septembre 2016 que Mme A...a été placée en arrêt de travail total du 6 septembre 2007 au

1er septembre 2010 ; que l'expert relève qu'elle a repris son travail à mi-temps à compter de cette dernière date et que son déficit fonctionnel et ses douleurs ont entraîné une certaine pénibilité dans l'exercice de celui-ci, favorisée par la position assise prolongée devant un ordinateur avec une activité des membres supérieurs sur le clavier ; que Mme A...fait ainsi valoir que si elle aurait dû percevoir, pour cette période, des salaires d'un total de 168 222 euros (soit 4 395 euros de salaire net mensuel sur une période 37 mois), elle n'a toutefois en réalité perçu de la part de son employeur et de son organisme complémentaire qu'une somme de 163 168,85 euros, soit un différentiel non contesté par l'AP-HP de 5 053,15 euros qu'il convient de lui accorder ; que la perte des primes estimée par l'intéressée à la somme de 18 787 euros ne saurait en revanche donner lieu à remboursement, s'agissant de sommes versées en contrepartie de prestations de travail qui n'ont pu être réalisées ;

5. Considérant, en second lieu, que Mme A...a repris son travail chez Sanofi, ainsi qu'il vient d'être dit, début septembre 2010 avec un horaire aménagé à la suite des préconisations de la médecine du travail et ce, jusqu'à son licenciement en septembre 2015 ; qu'elle admet ne pas avoir eu de diminution de salaire durant cette période mises à part ses primes et son intéressement, lesquelles ne peuvent donner lieu à indemnisation au titre des pertes de gains professionnels ; qu'il résulte en outre de l'instruction qu'elle n'a pas été licenciée pour inaptitude en raison de son état de santé mais que l'arrêt de son activité professionnelle a fait suite à sa souscription d'un plan de départ volontaire en 2015 à la suite duquel elle a bénéficié de formations correspondant à un projet d'études en neurosciences entrepris antérieurement à sa biopsie ganglionnaire ; que, dans ce contexte, il y a lieu d'allouer une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, le préjudice de retraite n'étant en l'espèce, et pour les raisons susmentionnées, pas établi ;

S'agissant de l'assistance par tierce personne :

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la difficulté pour Mme A...d'utiliser son membre supérieur droit déficitaire ainsi que les douleurs qui en ont résulté, ont induit la nécessité d'une assistance par tierce personne à raison de 2 heures par jour pour la période allant du 9 septembre 2007 au 7 février 2008 afin de l'aider dans la réalisation des tâches ménagères de type ménage, vaisselle ou courses ; qu'elle est en droit de percevoir la somme de 4 256 euros sur la base de 152 jours à raison de 14 euros l'heure ; que pour la période allant du

8 février 2008 jusqu'à la date de consolidation et de reprise du travail, soit le 31 août 2010, ses besoins ayant alors été évalués à une heure par jour, Mme A...aura droit à une somme de 14 040 euros sur la base de 936 jours à raison de 15 euros l'heure ;

7. Considérant, d'autre part, que pour la période postérieure, l'expert ayant chiffré les besoins de Mme A...à hauteur de deux heures hebdomadaire, soit 96 heures pour une année sur la base de 16 euros l'heure, ce chef de préjudice devra être évalué à la somme de 45 069 euros après application, pour une femme âgée de 54 ans à la date de consolidation, du coefficient de revalorisation de 29,342 selon le barème de capitalisation 2018 publié à la Gazette du Palais ;

S'agissant des frais divers :

8. Considérant que si Mme A...demande le versement d'une somme de 9 767,92 euros correspondant à des frais d'assistance à expertise, à des honoraires d'avocats et à l'achat d'un canapé de type futon, seul l'aménagement d'un boitier automatique dans son véhicule doit donner lieu à remboursement au vu des préconisations de l'expert pour un montant de 5 000 euros au titre des frais divers, les frais d'assistance à expertise ayant déjà été indemnisés dans le cadre des dépenses de santé restées à la charge de la requérante et les honoraires d'avocat l'étant dans le cadre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

9. Considérant que d'après le docteur Vasseur, le déficit fonctionnel temporaire de MmeA..., doit être évalué, pour la période allant du 9 septembre 2007 au 7 février 2008, à 50 % et, pour la période allant du 8 février 2008 au 31 août 2010, à 25 % ; que, compte tenu de ces taux, en prenant respectivement une base de calcul de 8 euros par jour pour la première de ces périodes et 4 euros pour la seconde, il y a lieu d'allouer à l'intéressée les sommes respectives de 1 216 euros et 3 744 euros, soit un total de 4 960 euros ;

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

10. Considérant que le déficit fonctionnel permanent dont se trouve atteinte Mme A...ayant été chiffré par l'expert à 15%, il y a lieu de lui attribuer, compte tenu de son âge à la date de consolidation de son état de santé, une somme de 20 000 euros ;

S'agissant des souffrances endurées :

11. Considérant que les souffrances endurées par Mme A...en raison des nombreuses explorations et consultations médicales subies, des séances de rééducation et traitements médicamenteux par voie orale ou par injection ainsi qu'en raison de ses troubles anxieux, ont été évaluées à 4 sur une échelle allant de 1 à 7 par le docteur Vasseur ; qu'elles pourront être indemnisées en lui allouant la somme de 8 000 euros ;

S'agissant du préjudice esthétique :

12. Considérant que, dans son rapport d'expertise, le docteur Vasseur a évalué à 2,5 sur 7 le préjudice esthétique temporaire de Mme A...tenant à cinq mois d'immobilisation du bras et un abaissement de l'épaule droite, et à 1 sur 7 ce même préjudice à titre permanent pour un petit abaissement de l'épaule droite ; qu'il en sera fait une juste appréciation en lui accordant une somme de 1 500 euros pour l'ensemble de la période ;

S'agissant du préjudice d'agrément :

13. Considérant que l'expert ayant considéré que Mme A...demeurait en mesure de continuer les activités sportives et de loisirs qui étaient les siennes avant l'accident (photographie, marche à pied, vélo et gymnastique à la maison) tout en relevant malgré tout des difficultés à la marche de randonnée avec sac à dos et des limitations dans les exercices de gymnastique imposées par la douleur, son préjudice d'agrément pourra être réparé à hauteur de 1 000 euros ;

S'agissant du préjudice sexuel :

14. Considérant que, s'agissant de ce chef de préjudice, l'expert indique que la baisse de libido alléguée trouve avant tout son origine dans les douleurs ressenties et la prise médicamenteuse ; qu'il en sera par suite fait une juste appréciation en allouant à Mme A...une somme de 1 500 euros ;

S'agissant du préjudice moral lié au défaut d'information :

15. Considérant que si Mme A...sollicite le versement d'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral qui aurait résulté pour elle d'un défaut d'information, un tel manquement n'est en l'espèce aucunement établi ; que ses conclusions présentées sur ce fondement ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP le versement à Mme A...de la somme de 134 190,15 euros ;

Sur les conclusions présentées par l'organisme de prévoyance APGIS :

17. Considérant que l'organisme de prévoyance APGIS demande, pour la première fois devant la Cour, le remboursement des frais et prestations versés au bénéfice de Mme A...en lien avec la faute médicale commise ; qu'elle atteste ainsi, par les différents documents qu'elle a annexés à ses écritures, du versement à Mme A...d'une somme de 420,63 euros au titre des frais de santé intervenus entre le 6 septembre 2007 et le 31 août 2010, d'une somme de 345,64 euros au titre de ces mêmes frais intervenus entre le 1er septembre 2010 et le 30 septembre 2016, d'une somme de 126 516,39 euros au titre des prestations incapacité pour la période allant du

6 septembre 2007 au 31 août 2010, et de celle de 177 276,51 euros au titre des rentes d'invalidité ; que, dès lors, il y a lieu de condamner l'AP-HP à lui verser une somme totale de 304 559,17 euros ;

Sur les frais d'expertise :

18. Considérant que les frais des deux expertises du docteur Vasseur respectivement taxées et liquidées aux sommes de 2 880 et 2 232 euros (allocations provisionnelles de 1 000 euros comprises) par ordonnances du président de la Cour des 5 octobre 2016 et 20 juin 2018, sont mis à la charge définitive de l'AP-HP ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 4 000 euros à verser à Mme A...;

DÉCIDE :

Article 1er : L'AP-HP est condamnée à verser à Mme A...la somme de 134 190,15 euros.

Article 2 : L'AP-HP est condamnée à verser à l'organisme de prévoyance APGIS la somme de 304 559,17 euros.

Article 3 : Les frais des deux expertises d'un montant total de 5 112 euros (les deux allocations provisionnelles de 1 000 euros chacune comprises) sont mis à la charge définitive de l'AP-HP.

Article 4 : L'AP-HP versera à Mme A...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, à la société Dynalis (Sapia Gestion), à la Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, à la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 4 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 18 décembre 2018.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 14PA03561


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA03561
Date de la décision : 18/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : CABINET J.C.V.B.R.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-18;14pa03561 ?
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