Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société France Immo a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 novembre 2015 par laquelle le maire de Paris a préempté un bien sis 7 rue Alphonse Penaud à Paris (75020), cadastré BN n° 90, et la décision du 3 février 2016 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1604838/4-3 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 19 janvier 2018, 30 octobre 2018 et
13 novembre 2018, la société France Immo, représentée par Me Destarac, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1604838/4-3 du 23 novembre 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 9 novembre 2015 par laquelle le maire de Paris a préempté le bien sis 7 rue Alphonse Penaud à Paris (75020), cadastré BN n° 90, et la décision du 3 février 2016 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de préempter a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article
L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales, le maire du 20ème arrondissement de Paris n'ayant pas été régulièrement consulté ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été irrégulièrement notifiée au notaire en méconnaissance des dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ;
- elle est dépourvue de base légale dès lors que la délibération du conseil de Paris des 16 et 17 octobre 2006 instituant le droit de préemption urbain dans la zone concernée n'est pas exécutoire ;
- la ville de Paris ne pouvait, eu égard aux particularités de l'aliénation en cause, proposer une offre conformément au b) de l'article R. 213-8 du code de l'urbanisme mais devait proposer une nouvelle offre en application du c) de ce même article ;
- la décision de préempter est illégale en l'absence d'un réel projet d'action ou d'une opération d'aménagement, la réalisation de logements sociaux dans ce quartier non déficitaire du 20ème arrondissement ne correspondant à aucune des priorités du plan local de l'habitat et les services de la ville n'ayant produit aucune étude ;
- le projet donnant lieu à la décision de préempter en cause ne répond pas à un intérêt général suffisant eu égard à son coût pour la réalisation d'une dizaine de logements sociaux dans une zone ne présentant pas de déficit.
Par des observations enregistrées le 3 mai 2018, Mme C... D..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de constater que l'exercice du droit de préemption par la ville de Paris n'est pas conforme à la promesse de vente qui avait été consentie le 12 juin 2015 à la société France Immo car elle ne reprend pas les engagements de celle-ci ;
2°) de constater qu'elle a régulièrement notifié son intention de renoncer à l'aliénation en cause en application des dispositions de l'article R. 213-10 du code de l'urbanisme ;
3°) de faire droit aux conclusions de la requête de la société France Immo ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête de la société France Immo.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 août 2018 et 11 novembre 2018, la ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge solidairement de la société France Immo et de Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- MmeD..., qui était partie en première instance aux termes mêmes du jugement, est tardive pour faire appel ; ses conclusions propres sont en tout état de cause irrecevables ;
- aucun des moyens de la requérante et de l'intervenante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de procédure civile ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Legeai,
- les conclusions de Mme Nguyên Duy, rapporteur public,
- les observations de Me Destarac, avocat de la société France Immo, et de Me Falala, avocat de la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte authentique du 12 juin 2015, Mmes C...etE... D... ont promis à la vente à la société France Immo une parcelle de 263 m² cadastrée BN n° 90, sise 7 rue Alphonse Penaud dans le 20ème arrondissement de Paris et supportant cinq garages, au prix de 1 300 000 euros, assorti d'une clause de révision. La déclaration d'intention d'aliéner ce bien a été adressée par le notaire à la ville de Paris le 8 septembre 2015 et reçue le lendemain. Par décision du 9 novembre 2015, la ville de Paris a préempté ce bien aux prix et conditions fixés dans la déclaration d'intention d'aliéner. Par la présente requête, la société France Immo fait régulièrement appel du jugement du 23 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision de préemption du 9 novembre 2015 et de la décision du 3 février 2016 rejetant son recours gracieux. Mme E...D..., à laquelle la Cour a communiqué la requête d'appel, présente des conclusions au soutien de celle-ci et des conclusions propres.
Sur les conclusions de MmeD... :
2. L'article R. 421-1 du code de justice administrative dispose : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ".
3. Les conclusions de Mme D...tendant à ce que la Cour constate, d'une part, que la décision de préemption de la ville de Paris n'est pas conforme à la promesse de vente consentie à la société France Immo et, d'autre part, qu'elle a régulièrement notifié son intention de renoncer à l'aliénation ne sont pas dirigées contre une décision administrative et sont dès lors irrecevables. Elles ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de préemption du
9 novembre 2015 et du rejet du recours gracieux :
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de consultation du maire d'arrondissement :
4. Le deuxième alinéa de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige, dispose : " Le maire d'arrondissement donne son avis sur tout projet d'acquisition ou d'aliénation d'immeubles ou de droits immobiliers réalisées par la commune dans l'arrondissement (...). Il est informé des déclarations d'intention d'aliéner présentées en application du code de l'urbanisme pour des immeubles situés dans l'arrondissement. Le maire de la commune informe, chaque mois, le maire d'arrondissement de la suite réservée à ces déclarations d'intention d'aliéner (...) ". Il résulte clairement de ces dispositions que, s'agissant d'acquisitions décidées en faisant usage du droit de préemption, le maire de Paris n'est tenu que d'informer les maires d'arrondissement des déclarations d'intention d'aliéner présentées dans leur arrondissement, ainsi que de la suite qui leur a été donnée, et non de recueillir leur avis préalablement à l'exercice du droit de préemption.
5. A Paris, les maires d'arrondissements reçoivent toutes les semaines la liste des déclarations d'intention d'aliéner déposées la semaine précédente et portant sur les immeubles situés dans leur arrondissement. Cette procédure de transmission ouvre la possibilité aux maires de solliciter des informations complémentaires et d'émettre des avis le cas échéant. Il ressort des pièces du dossier que le maire du 20ème arrondissement de Paris a été destinataire, le
10 septembre 2015, de la liste des déclarations d'intention d'aliéner enregistrée entre le 3 et le
9 septembre, incluant le bien en cause. La requérante n'apporte aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle le maire du 20ème arrondissement aurait pu ne pas recevoir cette liste, qui mentionnait la superficie exacte du terrain en litige, son adresse et son prix. La circonstance que la liste n'indique pas que " le terrain à bâtir " supportait cinq garages n'est pas de nature à avoir faussé son information. Dès lors, le maire du 20ème arrondissement a été régulièrement informé de la déclaration d'intention d'aliéner portant sur le bien préempté et le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la motivation insuffisante de la décision de préemption :
6. L'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable à la décision litigieuse, dispose : " Les droits de préemption (...) sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut (...) se référer aux dispositions de cette délibération (...) ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit si, d'une part, elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en oeuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
7. La décision de préemption litigieuse, qui cite les textes applicables du code de l'urbanisme, mentionne qu'elle est prise sur le fondement de la délibération du Conseil de Paris 2011 DLH 89 des 28 et 29 mars 2011 adoptant le programme local de l'habitat entre 2011 et 2016, modifié par délibération 2015 DLH 19 des 9 et 10 février 2015, et dans le cadre des actions mises en oeuvre pour mener à bien ce programme. Elle mentionne également que le territoire parisien se caractérise par un taux de logements sociaux de 18,5% au 1er janvier 2014 et que l'accroissement de la part de logements locatifs sociaux constitue un des objectifs de la politique de l'habitat sur l'ensemble du territoire parisien afin de se rapprocher du seuil de 25 % de logements sociaux imposé par la loi. Elle précise que le droit de préemption est exercé sur le bien en cause en vue de réaliser un programme comportant environ une dizaine de logements sociaux. Elle définit ainsi avec suffisamment de précision la nature du projet en vue duquel la décision de préempter est prise et l'action de la politique locale de l'habitat à laquelle se rattache ce projet, alors même qu'elle ne rappelle pas ce qu'est précisément, dans le programme local de l'habitat, l'objectif de construction de logements sociaux dans le 20ème arrondissement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de préemption attaquée doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la tardiveté de la préemption du fait de l'irrégularité de sa notification au notaire :
8. D'une part, le troisième alinéa de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme dispose que " le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption ". Le cinquième alinéa du même article prévoit que la décision du titulaire du droit de préemption d'acquérir le bien " est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien. Le notaire la transmet aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner ". Il résulte de ces dispositions que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Compte tenu du rôle joué par le notaire dans la vente ou la transmission de ce bien et de l'obligation qui lui est faite de transmettre la décision de préemption aux différentes personnes intéressées par la décision d'aliénation du bien en cause, la notification de cette décision au notaire, dans le délai de deux mois prescrit par le troisième alinéa de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, constitue une condition de légalité de la préemption.
9. D'autre part, l'article R. 213-25 du code de l'urbanisme dispose : " Les demandes, offres et décisions du titulaire du droit de préemption et des propriétaires prévues par le présent titre sont notifiées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, par acte d'huissier, par dépôt contre décharge ou par voie électronique (...) ". L'article 654 du code de procédure civile dispose que la signification doit être " faite à personne ". L'article 655 du même code précise : " Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. / L'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification. / La copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire. / La copie ne peut être laissée qu'à condition que la personne présente l'accepte et déclare ses nom, prénoms et qualité. / L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise ".
10. Ainsi que le permet l'article R. 213-25 du code de l'urbanisme, la ville de Paris a fait signifier par acte d'huissier au notaire de Mmes D...sa décision de préempter du 9 novembre 2015, à l'adresse de son office. Il ressort des pièces du dossier qu'en l'absence du notaire destinataire, une copie a été remise sous pli fermé au comptable présent, dûment identifié et qui a accepté de la recevoir. Un avis de passage comportant toutes les mentions prévues par l'article 655 précité a été laissé, le 9 novembre 2015, à l'adresse du notaire. L'acte indique que le clerc d'huissier n'a pu, lors de son passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte. Il relate ainsi de façon suffisamment précise les circonstances ayant rendu impossible une signification à personne. Selon les dispositions de l'article 664-1 du code de procédure civile, la date de signification de l'acte d'huissier est celle de cette signification à domicile régulière, effectuée le 9 novembre 2015. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige est illégale faute pour le notaire d'avoir été régulièrement informé, dans un délai de deux mois, de la décision de la ville de Paris de préempter le bien en cause ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de base légale :
11. L'article L. 211-1 du code de l'urbanisme dispose : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan (...) ". L'article R. 211-2 de ce même code dispose : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. / Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué ".
12. Par délibération des 16 et 17 octobre 2006, le conseil de Paris a institué, en application de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme, le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d'urbanisme approuvé et sur les périmètres des plans de sauvegarde et de mise en valeur du Marais et du 7ème arrondissement. Cette délibération transmise au contrôle de légalité le 19 octobre 2006 a fait l'objet d'un affichage durant deux mois en mairie à compter du 19 octobre 2006, d'une publication au bulletin municipal officiel de la ville de Paris le
28 novembre 2006 et d'une insertion le 20 octobre 2006 dans les journaux " Le Parisien " et " Libération " qui, s'il est un journal national, n'en est pas moins largement diffusé à Paris. Cette délibération a donc reçu la publicité requise par les dispositions combinées des articles R. 211-2 et R. 211-4 du code de l'urbanisme et est devenue exécutoire le 20 octobre 2006. Par suite, le moyen selon lequel la décision de préemption litigieuse serait dépourvue de base légale ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'impossibilité, pour la ville de Paris, de préempter aux prix et conditions indiqués dans la déclaration d'intention d'aliéner :
13. L'article R. 213-8 du code de l'urbanisme dispose : " Lorsque l'aliénation est envisagée sous forme de vente de gré à gré ne faisant pas l'objet d'une contrepartie en nature, le titulaire du droit de préemption notifie au propriétaire : / a) Soit sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption ; / b) Soit sa décision d'acquérir aux prix et conditions proposés, y compris dans le cas de versement d'une rente viagère ; / c) Soit son offre d'acquérir à un prix proposé par lui et, à défaut d'acceptation de cette offre, son intention de faire fixer le prix du bien par la juridiction compétente en matière d'expropriation (...) ".
14. D'une part, la ville de Paris a manifesté son souhait d'acquérir le bien en cause aux prix et conditions fixés par la déclaration d'intention d'aliéner, à savoir 1 300 000 euros pouvant être ramenés à 1 250 000 euros s'il s'avérait que les constructions envisagées par l'acquéreur nécessitent des fondations spéciales. La décision de préemption litigieuse entre ainsi dans le champ d'application des dispositions précitées du b) de l'article R. 213-8 du code de l'urbanisme. La société France Immo soutient que la ville de Paris ne pouvait reprendre dans sa décision la clause de révision du prix, selon elle liée au projet défini entre elle-même et
Mmes D...et nécessairement différent de celui de la ville de Paris. Toutefois il ressort des termes-mêmes de la décision de préemption que la ville a entendu accepter l'ensemble des conditions de délai et de procédure figurant dans la note jointe à la déclaration d'intention d'aliéner, qui ne sont pas liées à un projet précis, et donc renoncer à la révision du prix dans le cas où ces conditions ne seraient pas réunies. Dans ces circonstances, le moyen tiré du caractère incertain du prix fixé par la décision de préemption doit être écarté.
15. D'autre part, Mme D...soutient que la promesse de vente qu'elle avait signée avec la société France Immo était assortie d'une condition suspensive concernant l'obtention d'un permis de construire pour un immeuble de deux étages plus combles sur rez-de-chaussée et qu'elle n'entendait pas acquiescer à une autre construction. Toutefois, il ressort des termes de la promesse de vente que cette condition suspensive n'était consentie qu'au bénéfice de l'acquéreur et ne peut donc être utilement invoquée par MmeD..., vendeur, à l'encontre de la décision de préempter prise par la ville de Paris. Par ailleurs, s'il est constant que la promesse de vente comportait un engagement des deux associés de la SCI de rétrocéder une partie de la parcelle BN n° 90 à Mme C...D...et de construire un mur mitoyen, la ville de Paris a pu légalement préempter au prix indiqué sans mentionner cet engagement omis dans la déclaration d'intention d'aliéner.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de réalité d'un projet d'aménagement :
16. Comme dit au point 6 ci-dessus, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
17. D'une part, l'existence d'un projet de construction de logements sociaux est valablement établie par la référence à la délibération du conseil de Paris des 15 et
16 novembre 2010, modifiée par délibération des 9 et 10 février 2015, arrêtant le programme local de l'habitat (PLH) entre 2011 et 2016 et le cadre des actions à mettre en oeuvre par la ville de Paris pour mener à bien ce programme définitivement adopté les 28 et 29 mars 2011. Ces documents fixent pour objectif d'atteindre 25 % en 2030 de logements sociaux parmi les résidences principales à Paris, alors que ce taux n'est que de 18,5 % au 1er janvier 2014 et prévoient que " l'ensemble du territoire parisien demeurera soumis au régime du droit de préemption urbain et la ville continuera d'user de son droit de préemption urbain sur tous les arrondissements, pour l'acquisition de terrains et d'immeubles ". En ce qui concerne le 20ème arrondissement de Paris, la fiche d'action qui lui est consacrée constate qu'il n'est pas déficitaire en logements sociaux mais indique que " compte tenu de l'ampleur des besoins en logements sociaux sur Paris, la ville entend poursuivre le développement d'une offre de logement social dans cet arrondissement au cours du programme local de l'habitat en veillant à inscrire ce développement dans une logique de mixité sociale à l'échelle des quartiers ". Cette même fiche précise que " l'ensemble des voies permettant de créer des logements sociaux seront exploitées, notamment le droit de préemption urbain qui permet l'acquisition de terrains, d'immeubles existants à usage d'habitation ou à usage mixte habitat-activités (...) ainsi que d'immeubles à usage d'activités, bureaux notamment, pour des opérations de transformation en logement social par changement de destination ". Si ce plan d'action identifie, dans le 20ème arrondissement, des opérations de renouvellement urbain ou de traitement de l'insalubrité résiduelle du bâti permettant la réalisation de logements sociaux, notamment dans les quartiers en construction de Paul Meurice et de la Porte de Vincennes, il n'exclut nullement l'exercice du droit de préemption urbain en vue de la création de logements sociaux en dehors du périmètre de ces opérations, notamment sur un terrain qui, en l'espèce, ne comportait que cinq garages en
rez-de-chaussée et était identifié par la déclaration d'intention d'aliéner elle-même comme " terrain à bâtir ". Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la ville de Paris aurait annoncé son intention de ne pas construire de nouveaux logements sociaux dans le quartier où se situe ce terrain, ni même d'ailleurs que ce quartier du 20ème arrondissement comporterait un taux élevé de logements sociaux.
18. D'autre part, la décision litigieuse fait état de la réalisation envisagée, sur le terrain préempté, d'un programme comportant la construction d'une dizaine de logements sociaux. La ville de Paris a produit une étude réalisée par une société prestataire qui, à la suite d'une visite sur le terrain le 9 octobre 2015 et en vue d'une " commission DIA " du 23 octobre 2015, a proposé deux hypothèses pour la construction d'un immeuble R+3 (8 ou 11 logements) et conclut à la faisabilité du projet. La ville de Paris démontre ainsi suffisamment la réalité et l'antériorité de son projet de création de logements sociaux, alors même que les caractéristiques de la construction n'étaient pas encore, à la date de la préemption, arrêtées.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut d'intérêt général :
19. La mise en oeuvre du droit de préemption urbain doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de vérifier si le projet d'action ou d'opération envisagé par le titulaire du droit de préemption est de nature à justifier légalement l'exercice de ce droit.
20. Si la société France Immo soutient que de nombreux logements sociaux ont été créés ces dernières années dans le 20ème arrondissement, lequel se caractérise par un pourcentage important de logements sociaux, supérieur à la moyenne parisienne, de telles circonstances ne sont pas de nature à ôter à l'opération d'aménagement en cause son caractère d'intérêt général, compte tenu du déficit de logements sociaux sur le territoire parisien et des objectifs fixés par la loi et le plan local de l'habitat. Contrairement à ce que soutient la société France Immo, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet critiqué serait contraire à l'objectif de mixité sociale, également poursuivi par les textes. Il ne résulte pas de l'évaluation faite dans l'étude de faisabilité du coût prévisionnel de l'opération que celui-ci serait excessif au regard de l'intérêt général résultant de la création desdits logements sociaux. Par suite, le maire de Paris a pu légalement décider de préempter le bien considéré en vue de réaliser cette opération d'aménagement.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la société France Immo n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la ville de Paris n'étant pas partie perdante. Les conclusions présentées par Mme D... sur le fondement des mêmes dispositions doivent également être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société France Immo une somme de 1 500 euros à verser à la ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société France Immo et les conclusions de Mme D... sont rejetées.
Article 2 : Il y a lieu de mettre à la charge de la société France Immo une somme de 1 500 euros à verser à la ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société France Immo, à Mme C...D...et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Legeai, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.
Le rapporteur,
A. LEGEAI La présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. A...La République mande et ordonne au préfet de la région Ile de France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00245